Les Limbes

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Drago ne perçoit plus les derniers événements que par flashs. Il se souvient à peine des minutes qui suivent l'éclair vert, l'écho du sortilège impardonnable dans l'air... Il se rappelle de la stupéfaction de Weasley. Il se rappelle avoir jeté sa baguette au loin, immédiatement, et levé les mains de part et d'autre de sa tête, comme s'il en avait terminé de sa mission sur cette Terre et que plus rien, désormais, ne dépendait de son ressort. Il se rappelle le corps du garçon étendu sur le sol... Et un défilé de conséquences, qui se perdaient à mesure qu'il plongeait de plus en plus profondément dans un sentiment de plénitude extrême...

Non pas le genre de plénitude qu'il a pu connaître avec Hermione. Ce qu'il a éprouvé dans ces derniers instants de relative lucidité, ce n'était pas du bonheur, ou de la satisfaction vis-à-vis de son geste. Non, uniquement la paix. Comme si un liquide chaud avait soudain rempli toutes les failles de son être, pour le colmater et ne plus rien laisser s'échapper. Drago était devenu aussi lisse et impénétrable que du béton, insensible au monde extérieur, tandis que Weasley reprenait peu à peu ses esprits, se remémorait malgré lui son rôle d'Auror, et le plaçait en état d'arrestation.

Drago n'a pas protesté. A aucun instant, il n'a songé à justifier son acte, à poser des mots sur le surréalisme de cette scène. Tandis que Weasley liait ses poignets dans une entrave magique et convoquait ses collègues pour examiner le lieu du crime, il n'a pas dit un mot, malgré toutes les tentatives de l'Auror pour l'amener à se confier, pour comprendre, pour lui trouver des circonstances atténuantes...

Jamais Drago n'aurait imaginé que Weasley puisse être autant atteint par sa disparition imminente. Mais cela s'ajoute à la longue liste des choses qui ne sont plus en mesure de le toucher. Quelque part au fond de lui, un relent de culpabilité – un de plus – regrette d'avoir commis un meurtre aussi brutal juste sous ses yeux. A défaut de pouvoir être son ami, Drago commençait de plus en plus sincèrement à éprouver une réelle affection pour Weasley... Il ne méritait pas ça. Surtout après leur dernière discussion au sujet d'Hermione. Comment empêcher Weasley de lui en vouloir à présent, alors qu'il vient de commettre l'irréparable ? Sans doute l'une des seules choses au monde capables de le séparer de sa bien-aimée à jamais, la condamnant par conséquent à un nouveau cycle de tourments sans fin...

Hermione. Cela aussi, Drago s'efforce de ne pas y penser. Dans un premier temps, cela lui est facile. Ses sensations se fondent les unes dans les autres comme de la cire perdue ; elles abandonnent toute forme et ne constituent plus qu'un agglomérat monstrueux. A mesure que cette journée interminable s'étire, elle perd en consistance, se dilate telle la pâte distendue d'un chewing-gum, jusqu'à ce qu'il n'en distingue plus rien. Il se souvient vaguement des interrogations des premiers Aurors, débarqués à même sa boutique, du corps du gamin que l'on enlève, de l'attroupement au dehors lorsque la rumeur du meurtre finit par se répandre dans l'Allée des Embrumes, et de sa voix qui répond aux questions des enquêteurs, laconique, sans expression, révélant la vérité crue sans chercher à l'enjoliver, ni y rattacher la moindre émotion.

A un moment donné, sans qu'il soit réellement capable de le situer dans le temps, Potter est présent. Drago voit son visage se décomposer à côté de celui de Weasley lorsqu'il réalise que la petite Pensine posée sur le comptoir contient le souvenir de l'assassinat de Narcissa Malefoy. Personne n'a encore rien dit à Hermione.

Cette pensée transperce la surface de son esprit ; une fois ; deux fois, sans jamais franchir ses lèvres. Il n'en a pas la force. Il se laisse glisser, porter par le flot. Il ne se sent déjà plus la moindre obligation envers tous ces Aurors qui lui demandent des réponses. A quoi peuvent bien servir les réponses, si ce n'est à satisfaire leur curiosité personnelle ? Lui-même a déjà toutes les réponses qu'il lui fallait. Son rôle est terminé ; il s'est scellé lorsqu'il a levé cette baguette et prononcé ces deux mots, ces mots qu'il n'avait jamais osé lancer du temps de la guerre. Avec quelle facilité il les a édictés, pourtant, dans l'atmosphère confinée de sa petite boutique...

Perfect Sense (Dramione)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant