Les Sélénites sont Mimes

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 La lune ronde était épinglée haut dans le ciel dégagé. Son halo bleu qui couronnait la pâleur immaculée embrasait le ciel noir.

L'été se prolongeait et étirait encore sa chaleur dans la nuit épaisse. Le bois étendait ses ombres noires dans le silence sourd. Un silence étourdit, vil, mais pas total. Une course rapide se détachait sur le sol meuble. Le pas était feutré, presque inaudible, il épousait la terre couverte par une mousse dense et molle. Les végétaux amortissaient le mouvement félin qui glissait sous la lumière blanche qu'émettait l'astre plein.

La sorcière était chasse depuis plusieurs heures déjà, sa cape longue glissait sur ses jambes musclées et suivait la cadence souple à chaque pas. Les plis formés par l'habit reflétaient chaque rayon lunaire qui parvenait à traverser les branches hautes.

Cela faisait maintenant cinq cycles qu'elle parcourait la forêt interdite à sa recherche. Les vacances d'été avaient marqué une pause pendant cette battue, ces deux mois de chaleur avaient probablement été les plus longs de sa vie. Elle avait été exaltée par cette chasse, l'excitation avait ébranlé tout son être et animé son esprit par une passion sans limites. Son souffle était court et elle luttait pour l'étouffer, le garder sourd. Silencieux. Si cette traque avait été une véritable frénésie, c'était son obsession. Sa patience était mise à rude épreuve et elle voulait un résultat.
Neuf mois plus tôt, elle avait entendu un hurlement guttural, profond, glaçant qui avait serpenté entre les arbres creux. C'était une opportunité qu'elle ne pouvait pas laisser filer. Tout cela était bien trop beau. Elle avait traqué sans relâche la créature depuis huit  mois maintenant. Elle n'était pas parvenue à l'identifier tout à fait, mais connaissait ses habitudes. Elle l'avait entendue souvent. Parfois, plusieurs fois par nuit. Il n'avait jamais laissé un cadavre derrière lui. en vérité, cela l'étonnait beaucoup. Ce sont des chasseurs nés. Taillés pour le meurtre. Leurs corps souples, élancés étendus et rapides ne laissait aucune possibilité d'absolution à leurs proies malchanceuses.

Si la chair de la sorcière comptait parmi leur régime alimentaire, elle était bien décidée pas constituer son repas. Pas cette fois. Elle connaissait trop bien les créatures, en tout cas, assez pour ne pas être considérée comme cible facile. À vrai dire, ces bêtes avaient été son sujet de prédilection, avant tout cela en tous cas. Elle les avait étudiées avec soin, ferveur et presque par obsession malsaine. Durant les cycles précédents qui l'avaient éloignée de l'animal, elle avait pu élaborer une dizaine de pièges. Tous avaient été déclenchés. Pas un seul n'avait été comblé. La bête était profondément intelligente.

Et cela promettait un jeu passionnant. Cependant sa patience arrive et à son terme et cette fois elle était bien déterminée à ne pas quitter le lieu sans son trophée. Elle allait mettre un terme à cette partie là. Lever le masque, même si lui fallait retrouver la créature après sa métamorphose au première lueur de l'aube. Elle aurait manqué un cycle à nouveau, mais connaitrait au moins sa précieuse identité.

Un hurlement retentit enfin et glissa sur les troncs à l'écorce noueuse jusqu'à leurs cimes épaisses. Il pétrifia tout son corps ardent. L'appel avait attisé sa fougue, elle y répondit en essayant de l'imiter au plus possible. Un grognement bestial, caverneux, lui parvint. Elle avait complétement localisé sa provenance cette fois. Il était proche. Elle raffermit la prise nerveuse sur sa baguette et conservait son antidote à base d'argent dans son habit. La bête était à la frontière de son territoire, en l'attirant juste à l'extérieur, elle aurait l'avantage. La surprise de son attaque suffirait peut-être.

Elle entendait les pas timides se rapprocher entre les souches et sur la mousse qui imprimait ses empreintes.

La sorcière avait dissimulé sa carcasse dernière un arbre, au seuil d'une clairière baignée dans la clarté lunaire. Elle avait espéré que l'argile marécageuse dont elle s'était enduite serait suffisante pour masquer son odeur, même à cette distance. Elle ne put réprimer un sourire cynique à cette pensée. Qui aurait pu croire que cette boue était salvatrice...

Une créature bipède s'avança dans le puits de lumière blanche. Méfiante, elle avait avancé les oreilles plaquées sur sa nuque, sa truffe humide humait l'air tiède et transpirant de l'été qui touchait à sa fin. Ses membres se risquèrent doucement dans la lumière. Un liquide opaque glissait de se gueule béante. Un sang frais coulait abondement entre ses crocs qui luisaient. Un fluide visqueux, argenté aux nuances bleues. La créature lécha le sang avec gourmandise alors que les dernières gouttes perlaient sur son pelage gris aux reflets immaculés.

La sorcière se maudit. Jamais un seul cadavre retrouvé dans son sillage.  Le premier avait été une licorne. La bête humectait l'air ambiant, la femme ne pouvait laisse filer l'opportunité mais hésitait maintenant. Elle observa discrètement la créature. Le Lycaon était fin, athlétique, plus encore que les majeurs représentants de l'espèce. Elle sentait les muscles rouler sous l'épiderme fin. Les antérieurs de l'animal pendaient contre son tronc, ses pattes postérieurs étaient robustes, souples, sa détente devait être spectaculaire. Elle grogna. L'animal était robuste, s'était nourri. Mais il était à sa porté, enfin et si sa carrure élastique ne présageait rien de bon, l'individu avait une taille légèrement inférieure à la moyenne. Elle observa une dernière fois ses crocs découverts qui luisaient dans la nuit. La créature était haletante, son souffle court, erratique. La sorcière prit une profonde inspiration et pria pour que la viande dont s'était délectée la créature ait été suffisante pour l'enivrer encore. Elle se découvrit et abandonna sa cape, pour libérer sa chevelure ondulée et optimiser ses mouvements. Son emprise se fit encore plus forte sur sa baguette puis elle sortit de l'ombre.

Les opposants se jaugèrent un instant, le souffle coupé, mutuellement plongés dans leurs regards assoifés et désireux. La chasse serait terminée dans quelques instants. Que ce soit pour l'un ou l'autre, un corps allait être abattu.

On entendit un hurlement désespéré jaillir entre les arbres pour rejoindre le ciel obscurcit. La lumière des sorts qui l'avaient accompagnée s'était évaporée et le silence pesait à nouveau sur la forêt interdite.

Le chasseur victorieux tirait son butin au cœur du bois noir avec une satisfaction qui avait électrisé sa carcasse. La nuit ne faisait que commencer et les lèvres se retroussèrent sur la mimique suffisante.

Car même démasquée, la lune est muette et complice des crimes pernicieux, ne connait pas les remords et ignore les vivants.

La lune change de Mue et les humains de peau [Bellamione]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant