Tirer sa révérence

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- bien Béatrice, nous avons bien avancé aujourd'hui et le temps qui nous est accordé vient de prendre fin. On se revoit donc jeudi comme d'habitude. (Dis le docteur Marcel, en fermant son précieux carnet à la couverture en cuir opaque où il notait toutes les observations qu'il faisait lors de ses séances avec ses patients).
- très bien docteur (lui répondit-elle un peu soucieuse).
- quelque chose vous tracasse ? Elle réfléchit un court instant, sembla hésiter et se rappela le petit slogan ou la petite citation du docteur Marcel : <<la vérité ne peut que guérir>>. Alors elle décida de faire comme indique ce slogan/citation ;
- et bien docteur... Aujourd'hui c'est la rentrée au lycée de Bella et le proviseur m'a convoqué pour venir récupérer des affaires à elle qui étaient restées là-bas...mais j'appréhende. Le docteur Marcel réajusta ses lunettes sur son nez, poussa un petit soupir et répondit :
- allez-y.
- mais vous m'avez dit que je devais prendre mon temps, qu'aller trop vite dans ma guérison me desservirais et que je n'avais pas encore franchie toutes les étapes du deuil.
- c'est vrai, je l'ai dit, mais, en y allant peut-être que cela déclenchera quelque chose chez vous qui nous aidera à avancer.
- mais si je n'y arrive pas. Il sortit son téléphone de sa poche et le brandit devant elle ;
- j'ai mon téléphone et il fonctionne très bien.
- et qu'est-ce que ça veut dire ?
- que quoi qu'il se passera ou ne se passera pas, vous pouvez m'appeler. Béatrice souffla un grand bol d'air, se leva en serrant la main de Marcel et le remercia puis elle sortit de son bureau, traversa les couloirs labyrinthiformes de l'hôpital jusqu'au hall d'entrée et sortit de l'immense bâtiment baigné dans la peinture immaculée pour se rendre au lieu susmentionné. C'était ça à présent la vie de Béatrice Assin, elle vivait chez la sœur du docteur Marcel, Carmen, car elle ne pouvait toujours pas accéder à sa maison tant qu'il ne lui disait pas qu'elle le pouvait. Elle allait à la thérapie deux jours par semaine, le lundi et le jeudi. Quant aux fêtes de fin d'année, elle avait préféré faire l'impasse en expliquant que la saint sylvestre était la fête préférée de sa fille car elle représentait pour elle, une page blanche qu'on devait maculer à l'encre noire chaque jour de l'année et que Noël était pour elle-même une fête dont elle avait le plaisir d'entendre chaque année sa fille se plaindre de la société de consommation, ce qui ne l'arrêtait jamais lors de la décoration de la maison pour le plus grand déplaisir de sa fille, désormais, elle ne le fera plus car, elle n'était plus.

                          Béatrice arriva sur les lieux du lycée, se gara en face de celui-ci, elle prenait un moment pour respirer et se préparer mentalement à affronter ce lieu où la présence de sa fille était si forte. Puis, elle se remémora sa conversation avec madame Barral, les aveux qu'elle lui avait fait, la vidéo... Son expression changea quelque peu mais redevint neutre. Elle descendit de sa voiture, la referma, traversa la route qui séparait les deux trottoirs, entra dans l'enceinte du lycée en traversant la grande cour et pénétra l'intérieur des bâtiments. Comme à son habitude, Martin Dahoré était bondée d'occupants qui tranaillaient parmi ses couloirs avant le début des cours et durant les pauses. Elle avança dans ce couloir censé la mener au bureau du proviseur en évitant du regard tous les curieux qui la dévisageait. Elle était presque arrivée au bureau de monsieur Athié, quand quelque chose ombragea son regard et élançait ses yeux jusqu'à en écarter ses paupières sur l'objet qui semblait tant avoir retenu leur attention. Elle s'avança mais avant même qu'elle n'atteigne l'endroit où était installé cette chose elle fut témoin d'une scène qui fit naître en elle une fureur qui n'avait point de nom ; deux filles vinrent déposer des fleurs sur un autel en mémoire de sa fille. Elle avança alors plus rapidement et dès qu'elle fut proche du dit autel, elle le mit en pièces, tout le travail qu'il avait nécessité fut réduit à néant en quelques minutes, elle jetais les fleurs, déchirait les petits mots sur les cartes de toutes les couleurs, dégrafa la photo personnalisée de sa fille du mur, elle redoublait de colère, mais dans son déchaînement, elle ne s'appercut pas qu'elle était déjà encerclée par une meute d'élèves comme dans une embuscade. Elle se retourna alors après avoir fini sa besogne et les vit, les uns la fixait comme une bête curieuse et les autres toujours accompagnés de leurs fidèles téléphones, la filmait ;
- ARRETEZ DE FILMER ! ( hurla t-elle à leur intention). Mais ils se délectaient de ce spectacle fascinant qui se jouait sous leurs yeux.
- vous n'êtes qu'une bande de vautours ! Hypocrites ! Ma fille, lorsqu'elle était en vie, vous la maltraitiez et la persécutiez. Maintenant qu'elle n'est plus là vous jouez aux camarades respectueux et aimants. Vous devriez avoir honte ! C'est à cause de vous que mon bébé n'est plus là... Parmi la foule des chuchotements se levaient déjà et on pouvait distinguer certains plus que d'autres : << franchement, telle mère telle fille>>; << elle est totalement cinglée>>; << pas étonnant que sa fille ce soit suicidée avec une mère pareille>>... Elle continua de parler jusqu'à ce qu'elle reçu la vive lumière blanche d'un flash dans les yeux, on venait de la photographier, ce geste eut raison de sa folie, elle se lança à corps perdu sur quelques élèves qui la filmait, elle se saisit de leurs téléphones et les fracassa sur le sol ;
- mais elle est folle celle-là! ( harga l'une des victimes)
- Oui je le suis ! Parce que vous m'avez arraché ma fille ! Et dans toute l'agitation que produisit Béatrice, une retardataire vint faire son apparition, passa de force entre les élèves qui lui barrait le passage et découvrit enfin le visage de la représentatrice et écarquilla quelque peu les yeux sous la surprise. Béatrice rencontra également son regard qui se voulait inquiet et plein de bonnes intentions, alors s'approcha de ce regard familier ;
- regarde, ma petite Becca, regarde ce qu'ils ont fait ces hypocrites à ma fille. (Dit-elle avec une expression de pitié extrême). Becca la saisit par le bras, elles se jetaient des coups d'oeil durant un temps qui semblait s'être figé rien que pour laisser à leur commutation visuel de se comprendre, une fois cela fait, il reprit sa course et les deux interlocutrices se prirent dans les bras, Béatrice pleura un bon coup, toute sa rage et sa douleur, elle les confia à ses larmes, dès qu'elle fut à même de parler, Becca entreprit de la questionner:
- Béatrice, que faites-vous ici? La dénommée s'essuya le visage et répondit :
- j'ai été convoquée par votre proviseur pour venir récupérer les affaires de Bella. Becca leva les yeux au ciel et lâcha:
- cet abruti de va chier! Je peux vous accompagner si vous le voulez ?
- ce serait gentil chérie. (Lui dit-elle en lui caressant la joue). Elles se tournèrent finalement dans la direction du bureau de tout à l'heure. Elle toquèrent à la porte et la secrétaire leur autorisa l'accès.
- bonjour je suis Béatrice Assin...
- ah ! Madame Assin, je vous présente mes sincères condoléances, monsieur Athié vous attend dans la salle de réunion avec les professeurs de feue votre fille. Suivez moi s'il vous plaît. Elle passa la première et ouvrit la voie à Béatrice et Becca, dans le couloir où se trouvait l'autel désormais en lambeaux de Bella, les spectateurs s'étaient dispersés, à l'instant le moins attendu, la sonnerie retentit dans tous les couloirs marquant le début de la journée des cours.
- vous devriez vous rendre à votre classe. (Dit la secrétaire du proviseur à l'intention de Becca)
- de quoi je me mêle ? (Arga Becca avec un ton hautain à souhait). Béatrice lui lança un regard désapprobateur qui fit baisser le sien et lui fit murmurer un <<désolée>>.
- tu devrais y aller, tu vas être en retard (intima Béatrice à Becca)
- mais vous... Béatrice lui fit signe de ne pas contester son ordre de la main et en fit un autre avec son index diriger vers un autre couloir pour lui intimer d'obéir. Becca n'opposa aucune résistance, car Béatrice était comme une seconde mère pour elle depuis que la sienne n'était plus, également. Ça lui faisait presque plaisir de se faire réprimander par elle car ça lui donnait la sensation d'être importante aux yeux de quelqu'un. Béatrice continua le reste du chemin avec la secrétaire du proviseur. Elles entrèrent finalement dans la salle de réunion où trônait une grande table ronde autour de laquelle étaient rangés douze sièges. Comme annoncé, le proviseur s'y trouvait avec les professeurs de Bella, ils étaient débout à côté d'une table moins imposante à côté de laquelle se trouvait une dizaine de chaises en plastique empilées, sur la petite table était posée une grande boîte blanche avec des trous des deux côtés supérieures des faces carrées de la boîte.
- madame Assin ! Bonjour (fit le proviseur), Annette, vous pouvez nous laisser. (Ordonna t-il à sa secrétaire). Et elle sortit, laissant les concernés entre eux.
- madame Assin, je vous présente mes plus sincères condoléances pour... cette...(balbutia t-il, sans même terminer sa phrase)
- perte? Épreuve ? Deuil ? Horrible tragédie ? Vous avez l'embarras du choix (persifla Béatrice avec un ton sévère et agacé. Et elle continua), après tout, quand les gens me voient, ils utilisent chacun une expression divers pour qualifier ce qui est arrivé à ma fille, comme si masquer sa chute volontaire de plusieurs mètres par des mots tendres et légers allait faire quoi que ce soit. La salle resta silencieuse un instant et le proviseur tenta une nouvelle approche :
- je suis dés...
- la diplomatie n'est vraiment pas votre fort! On dirait. (Lança t'elle en penchant sa tête sur le côté).
- euh... Et bien...
- et si nous allions plutôt droit au but ? (Proposa t-elle).
- et bien pourquoi pas ? Comme je vous l'ai dit au téléphone, il s'agit de récupérer les affaires que votre fille avait laisser ici, histoire que vous ayez de quoi vous rappeler d'elle. Béatrice plissa les yeux à cette fin phrase et lança promptement :
- parce que vous croyez que c'est quelques livres d'écoles qui me permettront de ne pas oublier ma fille ? Un nouveau silence s'installa et plongea l'ambiance de la salle dans une tension à en couper le souffle au couteau.
- madame Assin (entreprit madame Barral), ces affaires, sont votre propriété maintenant, il s'agit de copies contenant les résultats aux évaluations de votre fille qui a réussi avec brio à se hisser à la troisième place du classement trimestriel, mais également, des livres, des affaires de sport, et d'autres affaires relevant de l'intimité. Nous sommes conscients que cela n'est pas facile pour vous mais il était inconcevable de les jeter.
- très bien. Donnez les moi. Un homme très barbu placé à la droite du proviseur se saisit de la boîte et la lui remise. Elle tourna ses talons prête à s'en aller mais le proviseur la retint à son grand malheur ;
- on avait espéré vous dire quelques mots par rapport...
- parce que vous n'estimez pas déjà avoir dit trop de bêtises ? (Lui demanda t'elle, d'un ton glacial). Et il se tu, la laissant poursuivre sa route. Elle retourna à sa voiture et souffla un grand bol d'air, elle prit sa clé de voiture et l'introduisit dans son entrée mais ne démarra pas tout de suite, elle attrapa son téléphone, le pianota et l'apporta à son oreille :
- docteur j'ai besoin de vous parler. Elle écoutait attentivement les dires du docteur Marcel à travers le combiné et répondit au bout d'un moment :
- très bien on se retrouve là-bas. Je pense y être dans quelques minutes. Elle écoutait encore un minuscule laps de temps avant d'égarer un <<ok>>, et raccrocha. Démarra son automobile et se rendit à un point précis de la ville. Une dizaine de minutes plus tard, elle se garait devant un café. Elle alla s'installer à une table pour attendre le docteur Marcel, ce dernier arriva sur les lieux avec quelques minutes de retard.
- je suis navré pour mon retard, mauvaise circulation.
- ce n'est pas grave.
- alors que c'est il passé ?
- et bien j'ai pris mon courage à deux mains et j'y suis allée.
- et? Elle entama son histoire en marquant certains passages, d'intonnations, de réactions vives qui lui valait certains coups d'œil indiscrets mais elle n'en avait cure et continuait son récit sous le regard attentif de Marcel. À la fin de son récit, le docteur esquissa un léger sourire que Béatrice ne manqua pas de noter.
- ça vous fait rire ? (Gronda t-elle).
- oui un peu. (Admit il)
- pardon ? J'ai l'air de faire des blagues là ?
- non. Ne vous méprenez pas Béatrice, si j'ai l'air aussi enjoué c'est parce que contre toute attente cette visite à débloquer quelque chose chez vous.
- et quoi donc ?
- la colère. Béatrice le dévisagea sans trop intégrer l'information qu'il venait de lui donner, il continua alors, remarquant l'expression sur le visage de cette dernière :
- la colère est la deuxième étape du deuil et vous l'avez franchie. Ça y est. On avance, petit à petit mais on avance. L'expression faciale de Béatrice devint plus rassurée et plus calme.
- il ne reste plus qu'à travailler sur cette émotion pour franchir une autre étape.
- ok...
- et si nous commandions, après tout nous sommes dans un lieu commercial. C'est moi qui vous invite bien entendu. Elle ne broncha pas et se contenta de détailler la carte du menu. Ils firent leurs commandes et on les leurs apportèrent. Ils restèrent encore un peu à discuter après le déjeuner et dès qu'ils eurent finis, docteur Marcel régla la note et sortirent du café en prenant chacun un sens différent, Béatrice rentrait chez Carmen et lui retournait à l'hôpital.

prédateurs chassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant