CHAPITRE PREMIER

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Le feu ravageait déjà la moitié du village. Les flammes atteignaient les toits, dévoraient la nuit. Leur chaleur engloutissait l'oxygène, transformait l'atmosphère en un immense brasier.

Des cris montaient vers le ciel. De la terreur, de la peur, de la douleur. 

Les cris et le crépitement du feu semblaient se répondre dans une symphonie effroyable.

Je pris appui contre le mur d'une maison, à la lisière du village. La sueur roula le long de ma colonne vertébrale, je m'essuyai le front du revers de la main. La chaleur était insoutenable.

Derrière moi, j'entendais les charpentes craquer, les toits s'effondrer. Le son de mon souffle haché se mêlait au chaos.

Il fallait fuir. Ils continueraient tant qu'ils n'auraient pas mon cadavre à leurs pieds.

Ils me pourchasseraient sans relâche.

Je regardais en direction de la route qui se dessinait à quelques mètres de moi. Je savais qu'elle menait à un village voisin. Je pouvais tenter de m'y cacher, il ne se trouvait qu'à quelques kilomètres.

J'avais une chance de leur échapper.

Un énorme fracas retentit, je sursautai. Un bâtiment venait de s'écrouler non loin. Les flammes léchaient le ciel sombre dans une danse macabre, sans pitié.

Tu ne peux pas te cacher, pensai-je brusquement. Si je fuyais dans une ville voisine, ils finiraient par me retrouver et les habitants subiraient le même sort. Ils réduiraient chaque village en cendres pour me mettre la main dessus.

Je ne pouvais pas faire ça. Je ne pouvais pas condamner d'autres vies.

Je tournai la tête à droite. A quelques pas, un petit chemin sinueux apparaissait derrières les bâtisses, entre les prés. Je savais qu'il conduisait à un plateau montagneux qui surplombait la mer. Là haut, je pourrais les affronter. Une bonne fois pour toutes.

Plus d'échappatoire. Plus de fuites. Plus de victimes innocentes.

Il était temps d'en finir.

Soudain, au dessus du chant des flammes, des voix s'élevèrent, comme portées par le vent.

— Hé, la fuyarde, tu penses pouvoir nous échapper ? Tu penses pouvoir lui échapper ? cria une première voix, rauque, abîmée.

Un rire terrifiant fit trembler la nuit.

— Tu vas mourir, la fuyarde ! Ta vie lui appartient ! s'exclama une autre, si grinçante qu'il était impossible de définir si c'était un homme ou une femme.

La colère me submergea, balaya les voix macabres. C'est ce qu'on verra.


Sans un regard en arrière, je m'élançais vers le chemin sinueux menant au plateau. Les flammes gigantesques éclairaient les alentours avec une vivacité effrayante. Je savais qu'ils me verraient emprunter cette route. Mais je comptais bien là-dessus.

Qu'ils me suivent, qu'ils s'éloignent du village. Je priais pour qu'il reste quelques survivants.

Je courrais sur la terre battue du chemin, entourée de prés où paissaient en général de nombreux moutons. Cette nuit, aucun animal n'était en vue.

Au bout de quelques kilomètres, la pénombre reprit ses droits. Si je voyais un peu où je posais les pieds, c'était seulement grâce à la lumière crue de la lune. Une lune pleine, ronde, magnifique. Ma seule alliée à présent.

Je repris mon souffle quelques instants, avant de repartir à l'assaut du chemin sinueux et grimpant.

Les pierres roulaient sous mes pieds. Plus je montais, plus je sentais la fatigue gagner mes membres. Je trébuchais plus d'une fois, essayant de me fier à mon instinct et à la lune pour ne pas me rompre une cheville.

Chroniques de Vahaïra : L'Héritière de la luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant