CHAPITRE 8

35 8 13
                                    



Ce fut comme si nous avions lâché une bombe.

Le silence s'installa, s'insinua entre nous, creusa un fossé qui semblait s'agrandir de seconde en seconde. Il vint me tourner autour, s'enrouler autour de moi, en moi, me compresser le cœur, si fort que je crus que j'allais suffoquer, si fort que je sentis ma cage thoracique craquer, craquer sous le poids amer et cinglant de ce rejet, de cette haine envers mon peuple, sous l'assaut de cette colère vieille d'un siècle et demi, d'une colère sans limites, née dans un bain de sang, parmi les cris de centaines de personnes, et qui me revenait au visage en l'espace d'un seul instant. Mon souffle se coupa, je vacillai, reculant d'un pas.

— Mère, ça suffit.

La voix de Yhann était tranchante. Froide. Il me regarda, mais j'étais incapable de bouger, parler, voire réfléchir. Je parvenais tout juste à respirer.

Ileana jeta un regard peu amène sur son fils, avant de prendre une nouvelle inspiration.

— Pourquoi as-tu besoin de voir Sayä ? finit-elle par demander d'un ton sec.

Yhann me regarda avant de s'adresser à sa mère.

— Anna doit rentrer chez elle. Je dois savoir où trouver Elenwynn ; elle seule pourra ouvrir un portail vers Imar si Sayä en est incapable.

Ileana réfléchit quelques minutes.

— Elle ne révèlera jamais cette information. Sayä conserve ce secret depuis des années, elle ne prendra pas le risque que quelqu'un puisse le connaître.

La détresse m'accabla d'un seul coup. J'allais passer le reste de ma vie dans un monde qui me haïssait, et qui ne m'accepterait jamais. Si j'arrivais à vivre assez longtemps pour cela.

— Laisse-moi essayer.

Ileana hocha la tête en silence et sortit de la pièce sans un regard pour moi. Une fois la porte refermée, un frisson me parcourut et j'enroulai mes bras autour de moi.

— J'aurais du te prévenir...

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demandai-je d'un ton brusque.

Il fallait que je sache d'où venait une telle haine envers mon peuple, la raison de cela. Yhann passa sa main dans ses cheveux, le visage sombre.

— Je veux savoir, insistai-je, j'ai besoin de savoir.

Et je me doutais bien que ce n'était pas un conte de fées.

— Assieds-toi, m'intima t-il, avant de prendre place en face de moi à la table.

Je regardai mon compagnon chercher ses mots, puis se lancer :

— Il y a environ cent cinquante ans, Vahaïra était constitué de trois peuples : les hommes, les elfes, et les hommes d'Eglaïn. Ces derniers étaient une minorité qui vivait en harmonie avec la nature et les elfes, ils parlaient leur langage et avaient une relation particulière avec eux. Ils étaient aussi les seuls hommes à pouvoir dresser et monter les dragons. Tout le monde se respectait dans la mesure du possible, et chacun restait sur son territoire. Cela faisait plusieurs siècles que la cohabitation se passait bien, malgré quelques désaccords.

» Un jour, l'on ne sait comment, une trentaine d'Imaldiens parvinrent à pénétrer en Vahaïra. Ils étaient de toute origine, venant de toute part sur votre planète. Ils avaient tous été happés par une porte lors d'un orage très violent. Personne ne sait pourquoi ou comment cela a pu se produire. Le roi de l'époque, Almerin, les accueillit chaleureusement, voulant partager nos cultures et nos savoirs. Les elfes et les hommes d'Eglaïn furent plus réticents, ils étaient méfiants envers ce peuple sans magie. Mais Almerin ne les écouta pas, il offrit plusieurs postes prestigieux aux meilleurs des Imaldiens et la plupart s'intégrèrent très vite.

Chroniques de Vahaïra : L'Héritière de la luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant