CHAPITRE 17

28 4 14
                                    


                                                                             ANNA

Cela faisait des heures qu'une certaine tension régnait entre nous. Bien que lui comme moi prétendions du contraire et discutions de la pluie et du beau temps, cette tension était bien là. J'avais l'impression que son refus cachait quelque chose. Il avait été si glacial. Et il avait changé de sujet dès que j'avais tenté de revenir sur la question. J'étais profondément agacée par son attitude. Je me sentais mise de côté, comme un enfant qui ne doit pas écouter les conversations des adultes.

Yhann avait pourtant essayé de me changer les idées – ou de me faire oublier mon souhait. Il m'avait appris qu'il y avait un deuxième camp rebelle proche d'ici, appelé le camp de l'Est. Ne posséder qu'un seul camp, avec tous les rebelles réunis à un seul et même endroit, aurait été bien trop dangereux. Si le camp avait été découvert, ils auraient tous péri. Ils ne pouvaient pas prendre ce risque. Les chefs des deux camps étaient frères : Nikandras dirigeait celui de l'Ouest et son frère ainé, Abriel, gérait celui de l'Est. Yhann m'avait expliqué qu'ils étaient à l'origine d'un mouvement rebelle uni. Ils étaient partis à la recherche des fuyards, des familles qui refusaient d'obtempérer, des villageois prêts à les soutenir en secret. Ils avaient ensuite fondé le premier camp, puis le second lorsque leur nombre s'était accru. A présent, leaders de la rébellion, ils étaient activement recherchés par les Commandants des armées des différentes régions. Mais les deux frères s'étaient construit un excellent réseau de soutien, d'oreilles à l'affût des mouvements militaires et personne n'avait encore jamais réussi à les attraper. De plus, ils jouaient sur les rumeurs pour diriger l'armée sur de fausses pistes. Une bonne partie du peuple soutenait leur mouvement en secret, bien que la plupart n'ose pas se dresser contre les lois de leur roi.

Je trouvais toute cette organisation impressionnante. Mais cela ne me rendait que plus curieuse de connaitre la raison pour laquelle Yhann était parti. Je me demandais quels pouvaient bien être les désaccords qu'il avait évoqués.

Nous avions quitté la forêt et rejoint une route peu fréquentée. Nous croisions quelques marchands avec des charrettes lourdes de chargements divers. Parfois, c'était de simples voyageurs, tout comme nous. Je devais avouer que j'étais un peu nerveuse à l'idée de rencontrer des soldats. Le danger permanent était encore une chose à laquelle je devais m'habituer.

Au bout d'une petite heure à bon train, j'aperçus des palissades au loin. La route devint peu à peu plus occupée par une population hétéroclite de mendiants, voyageurs, commerçants, villageois. Des petites maisons bordaient de ça et là notre chemin, et de nombreux enfants observaient les gens passer. A leur allure crasseuse, je devinais leur pauvreté. La population riche devait vivre à l'intérieur de la ville, laissant les miséreux à l'extérieur, sans protection contre les loups-garous ou les bandits. Je croisai le regard d'une fillette qui ne devait pas avoir plus de sept ans. Elle avait l'air affamé. Je n'avais qu'une envie : lui offrir de la nourriture et une couverture chaude. Mais je savais qu'il ne fallait pas se faire remarquer. Je baissai la tête, honteuse d'abandonner ses enfants à leur sort.

Nous avions ralenti l'allure. La ville de Feriha était entièrement entourée de grandes palissades en bois, la protégeant de toutes attaques venant de l'extérieur. Deux tours en bois se dressaient face à nous, reliée par une porte gigantesque. Je pouvais voir des sentinelles faire la ronde sur les remparts. La porte était gardée par une poignée de soldats qui maintenaient l'ordre et surveillaient les allers et venus.

— Ferment-ils la porte tous les soirs ? demandai-je discrètement à Yhann.

Ce dernier hocha la tête. Je remarquai qu'il était sur le qui-vive. Les soldats étaient nombreux autour de nous, il y avait de quoi être nerveux. Mais nous n'étions pas les seuls voyageurs et après nous avoir jeté un bref coup d'œil, les sentinelles nous laissèrent passer.

Chroniques de Vahaïra : L'Héritière de la luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant