CHAPITRE 19

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La lune était haute dans le ciel dénué de nuages. Les étoiles scintillaient paisiblement, insensibles à ce qu'il se passait sur terre. Assise dans le vieux fauteuil de Golfied, je détournai les yeux de la fenêtre. L'oncle de Yhann m'avait servi un thé brûlant qui me réchauffait les paumes. Le chien – qui s'appelait Borg – était venu se coucher à mes pieds. Je crois qu'il m'appréciait. Je tournai la tête vers la cuisine, où Yhann, Golfied et Gwenel discutaient encore autour de la table. Les autres avaient rejoints les écuries peu de temps auparavant, où ils allaient passer la nuit.

J'écoutai distraitement la conversation des trois hommes, soudain épuisée par cette journée.

— Soyez très prudents lors de votre voyage, Yhann, déclara Gwenel. Je n'ai pas voulu évoquer le sujet devant mes compagnons, mais les soldats sont plus nombreux dernièrement dans la région. Et ils ne font pas de quartiers.

— Pourquoi ? demanda mon ami en fronçant les sourcils.

J'entendis Gwenel soupirer. Il avait l'air très soucieux, un pli barrait son front.

— Les clans barbares des Terres Noires attaquent de plus en plus les villages de Dorlämar. Ils pillent, brûlent, violent.

Je réprimai un frisson à ses paroles.

— Le roi ne pouvait pas rester les bras croisés, acquiesça Yhann. Les clans doivent sentir que le Royaume est sous tension, et veulent en profiter.

Gwenel hocha la tête, le regard si vieux que je ne voulais même pas imaginer ce qu'il avait pu voir.

— Entre les clans et les soldats, nous avons subi de nombreuses pertes dernièrement. Le moral est au plus bas.

Un silence pesant flotta dans l'air. Je serrai ma tasse entre mes mains. Je n'arrivais pas à me faire à l'idée que des gens mourraient chaque jour ici. Pour leur liberté, leur vie, un avenir meilleur. Sans peur, sans forme d'esclavage. Ils se battaient tous les jours dans le seul désir de vivre au lieu de survivre. Comment reprendre une vie normale lors de mon retour à Imar ? Comment ne pas trouver chaque désir ou inquiétude complètement futile en comparaison ? Je préférais ne pas y penser pour l'instant. Il fallait d'abord que je réussisse à retraverser la frontière avant tout. Et c'était loin d'être gagné.

— Je suis désolé, dit Yhann d'une voix basse.

Golfied servit du cidre aux deux hommes. Puis, il se passa la main sur son visage fatigué.

— Il y a de nombreuses nouvelles inquiétantes en ce moment. Les soldats ont encore arrêté plusieurs sorciers et sorcières dans les régions. Certains ne refont jamais surface. (Il prit une nouvelle inspiration) Personne n'a vu de licornes depuis des années. Quant à savoir si elles sont parties ou ont connu un sort plus funeste... Le Mal se répand dans le Royaume. Il ne s'agit pas seulement de la Répression. Quelque chose de bien pire arrive, je le sens.

Je repensais soudain aux paroles de Säya. Que chacun avait son rôle à jouer, que l'on le veuille ou non. Qu'il ne fallait pas perdre de vue qui étaient nos véritables ennemis. Elle en savait bien plus que ce qu'elle nous avait révélé.

La peur me prit soudain à la gorge. N'était-elle pas en danger ? Si les soldats arrêtaient les sorcières, ils pouvaient s'en prendre à elle. Säya était puissante, et détenait des informations de grandes valeurs. J'espérais qu'elle allait bien, qu'elle était en sécurité.

— Nous l'avons aussi senti, répondit Gwenel d'un ton bas, comme s'il avait peur que quelqu'un les entende. Des wendigos ont été vus dans les montagnes. Ils ont attaqué des marchands sur les routes.

Chroniques de Vahaïra : L'Héritière de la luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant