Début du deuxième mois

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Sur le parking du lycée, dans le brouillard du matin, Vivien feuilletait le livre du film sur Verlaine et Rimbaud que Roland avait malencontreusement fait tomber. Il voulait des indices avant de lui redonner. Il passait les pages à une vitesse impressionnante, jusqu'à qu'il ne s'arrête sur une où une phrase avait été surlignée. C'était Verlaine qui demandait avec passion à Rimbaud :

« Est-ce que ce n'est pas suffisant de savoir que je t'aime plus que je n'ai jamais aimé personne auparavant et que je t'aimerai toujours ? »

Et sur le côté était écrit avec une écriture qu'il connaissait que trop bien, au crayon à papier :

« Était-ce donc vrai ? Ou n'était-ce qu'un mensonge ? »

Vivien ne put s'empêcher de souffler, agacé par lui-même. S'il aurait pu revenir dans le temps, il l'aurait fait avec plaisir, il se serait donné trois claques et aurait défendu Roland ce fameux vendredi soir. Rien d'autre ne paraissait surligné, mais à la fin du livre, il y avait écrit avec un stylo plume et avec une immense précaution :

« On n'est pas sérieux quand on a 17 ans » Arthur Rimbaud

Cela voulait-il dire que Roland était d'accord avec cette citation de Rimbaud ? Si Roland pensait qu'à dix-sept ans on n'était pas sérieux, il devait sûrement pouvoir pardonner à Vivien sa lâcheté de l'époque. C'était le premier qui avait eu l'idée de tout recommencer à zéro, tels des inconnus.
Le jeune professeur d'histoire passa une main sur son front, ses cheveux auburn tombaient dessus. Il frotta ses yeux avec sa manche et claqua la porte de sa voiture. Son grand manteau marron volait derrière lui tandis qu'il se dirigeait vers l'établissement. Tous les élèves étaient déjà en cours, à cette heure-ci il serait peut-être seul en salle des professeurs.
Tandis qu'il marchait dans la cour d'entrée, son regard croisa celui d'Edmond, le principal qui l'observait depuis son bureau, sa tour. Les mains dans les poches, il fixait Vivien. Il arborait un pantalon de costume noir et une chemise blanche avec quelques boutons ouverts dévoilant le haut de son torse. Il aurait pu paraître menaçant de là-haut, mais pour Vivien, oh que non. Il était le seul à le connaître pour de vrai. Il connaissait son corps, ses râles, les choses les plus intimes du principal se trouvaient dans l'esprit du professeur d'histoire. Ce dernier rompit le contact et entra dans le bâtiment.
Il passa vite fait dans la salle des professeurs, en essayant d'oublier le regard vénéneux d'Edmond. Il aurait encore voulu retourner dans le passé pour ne pas avoir couché avec Edmond. En cette matinée grise, Vivien n'avait que des remords, visiblement. Il se demandait ce que désirait son patron, depuis qu'il était arrivé, il n'avait fait que le regarder de cette manière où avait même essayé de flirter avec lui.

Le livre était rangé dans la poche de son manteau, bien au chaud, attendant les mains de son propriétaire. Pour se rendre dans sa prochaine salle de cours, Vivien devait passer par la cour intérieure du lycée où l'on pouvait apercevoir l'intérieur des salles de classe. En poussant la porte vitrée, il aperçut au loin dans une salle, Roland. Là, devant une vingtaine d'élèves écoutant attentivement son Italien. Vivien s'approcha doucement, embrassant le professeur d'italien des yeux. Roland faisait de grands gestes et semblait parler assez fort, heureux. Il écrivit un mot en italien sur le tableau à craies. Venezia. Il devait parler du voyage qui serait fait dans quelques semaines. Vivien n'avait même pas commencé à faire ses bagages, lui qui avait l'habitude de tout prévoir à l'avance. Il allait dans une des villes les plus romantiques avec son premier amour.
Tout à coup, son élève préférée, la petite Lily aux cheveux bleus, se retourna dans la salle pour apercevoir Vivien. Son regard alla du professeur d'histoire, au professeur d'italien. Vivien remarqua tout de suite qu'elle l'avait vu, sa bouche formait un o et elle fronçait les sourcils, intriguée. Il fit semblant qu'il ne l'avait pas vu et continua son chemin.
Quand il posa la main sur la poignée, la sonnerie retentit et une horde d'élèves circulèrent dans les couloirs. Vivien ferma la porte derrière lui. Il était un peu secoué. Il s'assit à son bureau, les mains sur son visage et souffla. Il savait. Tout recommençait. Vivien retombait amoureux de Roland. Ou alors il l'avait toujours aimé.

Verlaine cherche RimbaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant