Cinquième journée

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   Un cours d'italien venait de se finir, laissant l'après-midi libre à Roland, il avait hâte de retourner chez lui, ne supportant plus les jeunes qui essayaient de dire Mozzarella en imitant l'accent Italien. Il rangeait ses affaires, dans un fond de bruit de couloirs. Les lycéens passaient devant la porte laissée ouverte, criant, riant et discutant du week-end qu'ils venaient de passer. Le professeur de langues se mit alors à repenser à Vivien. À ses beaux yeux et ses lèvres charnues. Il donnerait tout au monde pour pouvoir poser les siennes une dernière fois dessus. Mais Vivien l'avait fait souffrir, il avait été son premier amour et sa première déception. Il souffla et ferma quelques secondes ses paupières qu'il ouvrit de si tôt en entendant le tant désiré épeler son prénom. Il se tourna vers la porte, feignant un sourire et sentit une sorte de pression au cœur, comme si on lui enserrait la poitrine quand il le vit. Ses cheveux mi-courts étaient décoiffés et sa chemise était mal boutonnée.

« Le principal m'a dit de te demander combien coûtait le voyage pour aller en Italie.
- Tu viens ?
- J'y étais un peu forcé. »

Roland déglutit. Il ne savait pas que son amour d'adolescence allait venir à ce voyage. Lui, qui pensait être accompagné que par de vieilles pimbêches, mais non. Vivien y serait, cela le rendit très nerveux. Mais il se reprit, rassemblant son peu de courage. Il farfouilla dans son sac et en sortit un papier fraîchement plié qu'il tendit au professeur d'histoire, en évitant de frôler ses doigts.

« C'est moins cher que je ne le pensais, dit Vivien dans sa barbe. On y passera donc quatre jours. C'est convenable. Nous allons aller à Vérone !
- Oui, nous y séjournons dans une auberge de jeunesse. Puis nous irons visiter Venise et deux villages aux alentours de Vérone.
- Ça va être fabuleux... je fais le chèque à quel ordre ?!
- Du lycée.
- Merci. »

Roland hocha la tête et récupéra son papier. Il continua à ranger ses affaires, passa son sac sur son épaule et en relevant la tête, il constata que Vivien était toujours là.

« Je peux t'accompagner jusqu'au parking ?
- Si tu veux. »

Roland ferma la porte à clefs, puis suivit de Vivien, il allait les déposer à la vie scolaire. Les deux professeurs n'osaient pas parler. Marchant côte à côte, les mains dans les poches et des milliers de questions remuant leur cerveau.
Ils souriaient en voyant des élèves qu'ils reconnaissaient ou des collègues. Ils arrivèrent enfin au parking. Roland possédait une vieille Renaud rouge délavée. Elle semblait fatiguée, à bout.
Il l'allume et se tourna vers Vivien.

« Tu commences à quelle heure lundi ? Lui demanda-t-il, paraissant timide.
- Je n'ai pas cours le lundi, mais mardi oui, à partir de dix heures, répondit Roland.
- Quelle belle vie ! Ironisa Vivien. »

Un silence pesant s'installa, les mettant dans une gêne indescriptible. Ils se regardaient dans le blanc des yeux, comme s'ils tentaient de déchiffrer ce que l'autre ressentait.

« Je dois y aller, je travaille ce soir, murmura Roland, pour ne pas briser ce moment d'intimité, sans faire un mouvement.
- Où ça ? Demanda le professeur Luis sur le même ton.
- Dans un café rétro avant la rocade.
- Ok. »

Vivien fit un pas en avant. Roland aussi. Ils étaient assez proches pour entendre clairement leur respiration. Ils faisaient à peu près la même taille, mais Roland était un poil plus grand, ce qui ne se remarquait pas. Ce dernier se pencha, emmenant ses lèvres sur celles de Vivien, on aurait pu croire qu'il allait l'embrasser. Mais il frôla sa joue et lui claqua une bise sur les deux, le plus vite possible. Vivien expira fort dû à cette proximité soudaine. Il sourit. Roland ne lui rendit pas son sourire et monta précipitamment dans sa voiture. Il fit tourner le moteur et sans un dernier regard à Vivien, il sortit du parking et longea la montée qui menait vers les habitions de la commune.

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  Le professeur Henryk avait lâché ses fidèles pulls pour aller travailler contre une chemise à manches courtes noire et un tablier bleu ciel. Il mettait son habit du soir, pour son travail du soir. Il avait besoin de gagner plus d'argent, alors il s'était trouvé un petit boulot dans ce restaurant/café rétro au thème des années cinquante. Une des serveuses était une amie qu'il s'était faite en arrivant dans cette commune. Il travaillait comme serveur et plongeur dans ce restaurant. Ce deuxième métier ne lui plaisait pas énormément, mais s'il voulait payer correctement son loyer, il devait y travailler.
Tandis qu'il rangeait les tasses par ordre de couleurs comme lui avait indiqué son patron. Son amie, Ophélie, venait se plaindre d'un client à Roland, elle disait qu'il en foutait partout, adulte et se comportant comme un gosse ! Le professeur riait face à ce qu'elle lui racontait.

« Cette semaine, comment ça allait ? Lui demanda-t-elle. T'avais l'air épuisé avant-hier.
- J'ai pas dormi correctement depuis cinq jours !
- Pourquoi donc ?
- Au lycée, j'ai retrouvé mon amour de jeunesse. Il est professeur d'histoire. Il n'a pas changé et ne m'a même pas reconnu ! Il faisait parti de mes nombreux rêves et cauchemars aussi cette semaine.
- Si tu l'as recroisé, ça veut dire que vous étiez faits pour vous retrouver, pour finir ensembles.
- Non merci !
- Ah bon ? Il n'est pas beau ?
- Si, il est magnifique... mais, il y a dix ans, il m'a laissé tomber comme une merde, Ophélie. C'était affreux. »

«  Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écœure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine ! »

Paul Verlaine

Verlaine cherche RimbaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant