Dernière semaine

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Vivien garait sa voiture sur le parking du café vintage où Roland travaillait à mi-temps tandis que ce dernier slalomait entre les tables pour passer les commandes aux clients.
Le professeur d'histoire observa pendant une longue seconde l'enseigne gigantesque trônant au-dessus du café. Elle venait éclairer son visage d'un rouge vif. Cet endroit se situait entre la rocade et l'entrée de la ville, beaucoup de touristes des alentours et de chauffeurs de camions venaient s'y arrêter.

La clochette de la porte tinta, et Roland tomba face à face avec Vivien. Ils s'échangèrent un sourire et le surnommé Verlaine s'assit à une table libre près des fenêtres où il pouvait observer le soleil se coucher à grande vitesse. Des rayures roses et orangées venaient tinter le ciel. Roland vint à sa rencontre, l'air timide, tirant sur sa chemise noire obligée de porter pour le travail.

« C'est la première fois que je viens, admit Vivien. Salut...
- Hé, répondit Roland, les joues en feu. Qu'est-ce que tu voudrais prendre ?
- Juste un café. Tu finis bientôt ? »

Le serveur se tourna vers une grosse horloge vintage qui annonçait vingt heures moins cinq et répondit en jouant avec son stylo.

« Dans cinq minutes en fait.
- On pourrait aller sur le parking pour fumer et discuter, proposa Vivien avec un sourire espiègle.
- Oui, ça serait super. Je vais chercher ton café. »

Son amie Ophélie l'attendait derrière le comptoir, les bras croisés. Quand il fut à sa proximité, elle se pencha vers lui, avec de grands yeux, elle demanda :

« C'est qui ce type avec qui tu viens de causer ? Il y a de la tension entre vous deux ! C'est lui, alors ?!
- Ouais, répondit Roland en lançant un regard furtif derrière lui. Il veut qu'on aille fumer sur le parking...
- Seigneur, on dirait deux adolescents...
- Tu peux lui passer sa commande, il a demandé un café simple s'il te plaît, je dois me préparer.
- Aucun problème. Je vais servir ton Roméo. »

Il leva les yeux au ciel et s'éclipsa derrière une porte où était inscrit « privé » en jaune, tandis que la jeune femme préparait le café de Vivien. Ce dernier fixait le parking d'un air ennuyé.
Il but son café d'une traite quand il fut arrivé et au moment où Roland sortit de cette pièce privée, Vivien était déjà au comptoir à payer ce qu'il avait commandé. Roland lui lança un sourire et s'éclipsa à l'extérieur. Il aperçut la voiture de son ex-petit ami et s'en approcha. Il s'appuya sur le capot et sortit son paquet de Marlboro.

« Puis-je ? demanda une voix rauque à Roland qui tirait déjà sur sa cigarette. »

Ce dernier passa son paquet à Vivien qui se servit tranquillement et en alluma une à son tour. Le ciel devenait de plus en plus obscur, la lune commençait à éclairer les deux jeunes hommes. Le bruit des clients à l'intérieur venait animer la scène ainsi que les voitures qui passaient sur la route d'à côté. Vivien tapait frénétiquement du pied, sa main gauche était à quelques centimètres de la droite de Roland, et rien qu'en pensant qu'il pouvait la toucher juste en levant son index, le fit frémir. Il essaya de se concentrer sur autre chose, sinon leur soirée finirait comme la dernière avec Roland partant à grande vitesse. 

« C'est déjà dans deux jours, commença Roland. 

- De quoi ? demanda Vivien qui essayait de se concentrer sur sa cigarette.

- Le voyage en Italie !

- Oh. C'est vrai. Ça va être chouette.

- J'espère qu'on pourra s'éclipser le soir, je vais pouvoir te montrer des endroits que j'aime bien. »

Vivien déglutit. Il ne s'attendait pas à ça. Roland allait lui montrer des choses qu'il aime. Il allait faire partie des loisirs de Roland. 

« J'ai hâte, murmura Vivien en souriant. »

Sur cette phrase, ils se fixèrent un instant, un sourire scotché sur leurs lèvres. Ils auraient pu s'embrasser sur le moment, éclairés par l'astre de nuit, mais l'envie n'était pas présente chez aucun des deux. Ils étaient bien, à fumer, seuls, en tant qu'amis. 

« Attends, j'ai quelque-chose qui t'appartient, avoua le professeur d'histoire en faisant le tour de la voiture pour aller prendre quelque chose du côté conducteur. »

Il revint doucement, les mains enveloppant ce qui paraissait à un livre. Il le tendit à Roland, une boule à la gorge. Le professeur d'italien leva les sourcils en comprenant de quel livre il s'agissait. 

« Tu l'avais fait tomber par terre il y a quelques semaines, puis j'ai oublié de te le redonner, excuse-moi. 

- Ce n'est rien, ne t'inquiète pas. Merci beaucoup. »

Quand Roland le reprit, leurs doigts se frôlèrent, ils firent exprès de prendre leur temps pour rester sous le contact des mains de l'autre. 

« Je dois y aller, murmura Roland. On se voit lundi pour le voyage...  Merci. 

- Oui, à lundi, répondit Vivien un peu triste de devoir se séparer du professeur d'italien aussi vite. »

Roland se dirigeait vers sa voiture qui n'était pas bien loin, en milieu de chemin, il se retourna vers Vivien et l'interpella, ce dernier leva son visage en fronçant les sourcils. 

« Au fait, Vivien, lança Roland. Il primo amore non si scorda mai.* »














*en italien : le premier amour ne s'oublie jamais

Verlaine cherche RimbaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant