Deux ans auparavant

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Encore une soirée où le jeune professeur d'histoire, Vivien Luís, se retrouvait complément amoché dans une boîte de nuit quelconque où les hétérosexuels se faisaient rares. Préférant s'hydrater à la vodka, il se dirigea vers la piste de danse où les corps se déhanchaient avec frénésie, suants à grosses gouttes. Vivien, son verre à la main, décida de commencer à danser seul sur un air des Pyschedelic Furs, la tête en arrière, ses Converses glissaient sur le sol taché par la bière et les cocktails. Cette chanson lui rappelait son adolescence et les vinyles de son père. Ses paupières étaient fermées, les lumières arc-en-ciel venaient caresser son visage. Soudain, une main passa sur sa hanche, un peu agacé par ce geste imprévisible d'un homme qu'il n'avait jamais vu auparavant, il se dégagea et épia l'homme qui se trouvait en face de lui, tout avec un sourire espiègle. L'homme qui était à peine plus grand que lui, mais semblait le dominer de sa hauteur, se mordit les lèvres et s'approcha plus de Vivien qui se laissa faire cette fois-ci. Il but d'une traite le fond de son verre et passa ses bras autour du cou de l'homme qui l'avait abordé. Ils bougeaient leurs hanches en rythme, leurs corps se frottant dans une impudeur affolante. L'homme possédait des cheveux bruns et une barbe naissante, il passa ses lèvres sur la nuque de Vivien qui sourit tout en essayant d'imaginer que c'était quelqu'un d'autre à la place de cet inconnu. Que ça aurait pu être lui. Il repensa à ses cheveux blonds soyeux, à son sourire et il ne put s'empêcher de verser une larme sur sa joue. L'alcool jouait beaucoup.

« Comment tu t'appelles ? lui demanda l'inconnu en baissant un peu trop ses mains dans le dos de Vivien.
- Pourquoi ?! cria ce dernier.
- J'ai des amis qui font une soirée tranquille, ça te dit de m'y accompagner ?! Après on pourrait aller chez moi...
- Il y a de l'alcool ?! le coupa Vivien.
- Oui...
- Ok ! »

L'inconnu aux yeux obscurs sourit, fier d'avoir pu ramener aussi facilement quelqu'un chez lui. Il entraîna Vivien en dehors en le tenant par la main, montrant à tous les autres que lui, cette nuit, il ne serait pas seul.
Vivien n'était pas assez bourré à son goût, tout ce qu'il voulait était de tomber par terre et de vomir ses boyaux. Parfois, il était tellement en colère contre lui-même, qu'il s'infligeait ce genre de choses. Il aurait aimé ne plus pouvoir penser.
Ils montèrent dans une Citroën familiale, ce qui surprit le professeur.

« Je vois, t'es un père de famille dans le placard, affirma Vivien en s'asseyant à la place du mort.
- Tu as tout faux, ricana l'homme en démarrant la voiture qui vrombit. Cette voiture est à ma sœur. Elle me l'a emprunté tandis que la mienne est au garage.
- T'es assez sobre ?
- Je n'ai rien bu, je te promets. Comment tu t'appelles alors ?!
- Vivien et toi ?
- Edmond.
- C'est un nom de vieux. »

Le dénommé Edmond rit doucement et fila dans l'obscurité de la ville. Vivien observait les étoiles, elles n'étaient pas très nombreuses dans le ciel. Il aurait voulu passer dans un tunnel, que le toit de la voiture s'ouvre et que du David Bowie vienne sortir à fond des enceintes de la voiture. Mais il n'y avait même pas un tunnel, ni de toit ouvrant et la radio diffusait de la variété française. Vivien voulait faire quelque chose qui le fasse oublier, qui le rende vivant. Il pensa qu'il allait dans une soirée avec des inconnus dans un salon moisi pour parler travail et comment se passe la vie pour un homosexuel dans la trentaine. Il détestait cela.

« Je ne veux plus aller chez tes potes, là.
- Ah, répondit Edmond, assez nerveux. Tu veux aller où ?
- Emmène-moi chez toi. Ou chez moi, n'importe.
- T'es direct.
- Ah bon ? »

Cela faisait rire Edmond, il aimait bien ce genre de personnes, directes, qui n'allaient pas par Quatre Chemins.
Après la rocade, ils entrèrent dans un quartier avec de grandes maisons et s'arrêtèrent devant l'une d'elles.

« T'es sûr que ta femme ne va pas nous surprendre ? demanda Vivien en ricanant.
- Je ne suis qu'un trentenaire célibataire vivant dans une maison d'un quartier où il n'y a que des familles.
- Ah ouais, l'été avec les gosses dans les piscines ça doit être énervant.
- C'est ça, oui. »

À peine eut-il tourné la clef dans la serrure de la porte d'entrée de sa maison, que Vivien se jetait sur lui pour l'embrasser et le plaquer contre le mur du couloir. Ils se déshabillèrent en un temps record pour courir jusque dans le salon et faire l'amour sur le canapé.
Edmond avait été quand même surpris de la rapidité dans laquelle Vivien lui avait manifesté son envie croissante.
Ce qu'il ne savait pas était qu'il n'avait pas pensé à cet homme inconnu rencontré dans la boîte. Il n'avait fait que penser au corps et au visage qui le hantait depuis son adolescence. Son premier amour. Roland Henryk.

Verlaine cherche RimbaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant