Chapitre 14.

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L'air saturé de parfums de la forêt m'entoure. Il me berce, comme s'il désirait me protéger du monde extérieur. Les yeux fermés, je profite des sensations que l'environnement me transmet. Les rayons du soleil caressent ma peau, avec douceur et tendresse, presque amoureusement. Quant à la nature, autour de moi, elle forme un tel écrin. Je la sens au plus profond de moi. Sans la voir, je la perçois. Il y a comme un lien entre nous. Un lien qui se forme pour de bon. Je m'y sens chez moi. En paix. Vivante.

Soudain, un bruit en provenance des ténèbres, devant moi, me tire de cet état de pure paix. Intriguée, j'ouvre les yeux, un frisson d'appréhension me parcourant. La nature me hurle alors de fuir. Mais il est trop tard.

Une silhouette sort du bosquet, jaillissant des ténèbres. Emmitouflée dans une cape qui semble ravagée par les vers et la pourriture, elle s'approche de moi. La seule chose que je parviens à distinguer dans l'ombre du capuchon sont deux yeux d'un jaune scintillant, paraissant malades ou fous. Une désagréable odeur de moisissure et de flétrissure s'empare de l'air, chassant les douces fragrances du sous-bois.

Autour de moi, la nature se met à dépérir, provoquant en mon âme une terrible souffrance et une grande peine. C'est comme si l'on m'arrachait le cœur, que l'on s'attaquait à une part de moi. Pétrifiée de terreur, je ne peux que laisser l'être malfaisant s'approcher. Alors qu'il n'est plus qu'à quelques centimètres et qu'il me surplombe, il abaisse sa capuche.

Le dégoût me soulève alors le cœur tandis qu'une voix éraillée, effrayante, résonne dans la clairière :

« Je vous ai trouvé, mère... »

Je me réveille en sursaut, paniquée par cet étrange rêve. Chose incroyable, le héros dort encore sur mes genoux, pas le moins du monde dérangé par mon agitation. Je tente de remettre un peu d'ordre dans mes esprits. Les images de mon cauchemar me hantent mais je tente de me persuader qu'il ne s'agit de rien. Ni Yerine, ni Eurydice, n'y trouve d'explication.

Au dehors, le soleil commence à se lever, éclairant la pénombre du cabanon par la vitre poussiéreuse de la seule fenêtre. Je grimace, et tente de bouger un peu. Avoir plus de quatre-vingt kilos de muscles sur les cuisses durant toute la nuit n'est pas vraiment l'idéal. Silencieuse, j'observe un instant mon compagnon dormir. Ainsi, il semble apaisé, en paix. Et il est toujours aussi beau, de cette beauté presque divine. Pas étonnant lorsque l'on sait qu'il est le fils d'une muse. Ainsi, endormis, il semble bien plus proche du poète que les légendes décrivent que du héros tueur de monstre que je connais. Son aspect est la seule chose que le temps lui a épargnée. Il a pris tout le reste : son âme, son cœur, sa paix.

Cela me fend le cœur. J'aimerai tant pouvoir aspirer tout ce qui le taraude... Trois millénaires d'errance me semblent être un véritable enfer.

Bien loin des souvenirs que me transmet Eurydice du royaume de la Mort. J'ai le souvenir d'un jardin paisible, où le temps n'avait aucun impact. Les destinés ayant choisi d'y rester y cohabitent avec les héros privés de leurs immortalités et d'autres créatures ayant gagné ce droit. La mort, à cet instant, me semble une voie bien plus paisible que celle qui m'attend et j'en viens à comprendre le choix de la dryade.

Ce qui m'effraie.

Soudain, je me sens étouffer dans ce cabanon. L'air saturé de poussière m'oppresse. J'ai besoin de sortir, de respirer, d'être en contact avec la nature. Il faut que je sorte ! Me penchant par-dessus le héros, je tapote un instant sur son front, un chuchotant :

« Orphée ?

Il bouge un instant dans son sommeil et un grognement lui échappe.

- Grmph ?

Yerine (Mélusine HS.1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant