Chapitre 17.

238 43 17
                                    

« Voyez, chère Yerine, vous ne pouvez rien contre nous... L'espoir est une faiblesse. Vous me l'avez pris. Et je vous l'ai pris. »

La voix grave et éraillée, emplie d'une cruauté et d'une satisfaction malsaine, résonne à mes oreilles sans que je ne comprenne d'où elle vient. C'est celle de Flétrissure. Et comme une menace, ses mots s'infiltrent dans mon esprit, paré à anéantir le maigre espoir qui venait de s'allumer. Je n'arrive pas à cesser de dévisager avec horreur l'Apogonos qui continue de m'observer, sa lame tâchée de sang. M'arrachant douloureusement de ma torpeur, je parviens à souffler :

« Pourquoi ?

Un éclat s'allume dans les yeux de la femme qui s'avance vers moi, d'un pas, menaçante, jouant avec sa lame.

- Pourquoi les nymphes ne trouvent-elles jamais autre chose à demande que ce geignard « pourquoi » ? fait-elle mine de se plaindre, son effroyable sourire au bord des lèvres.

Sa question allume quelque chose en moi, une colère sourde, étouffée jusque-là, mais qui commence à s'éveiller. Une fureur qui ne demande qu'à s'exprimer. Mon regard glisse de son horrible visage à son arme. À cet instant, je rêve de la lui planter en plein cœur. Ou pire encore. Pour ce qu'elle a fait.

Pourtant, je me contente de répéter, un peu plus durement, laissant peu à peu ma rage m'envelopper comme une carapace contre me chagrin :

- Pourquoi ?

- T'es butée ma belle... Ordre du patron. Il trouve cela bien plus intéressant de te laisser seul. La solitude sera ton châtiment. Il ne fait que te rendre la monnaie de la pièce après tout. C'est ce que tu lui as infligé.

Je fronce des sourcils. J'ai beau fouillé les souvenirs d'Eurydice, il n'y a rien de tel. Pourtant, cette évocation de la solitude en tant que châtiment me dit quelque chose. J'ai l'impression d'avoir déjà prononcé ces mots. Sans que ça ne soit moi. Ou, plus étrange encore, sans que ça ne soit l'ex-femme d'Orphée...

À force de fouiller dans mes différents souvenirs, quelque chose me revient. Quelque chose qui n'avait pas refait pas surface. Et qui pourrait m'être utile... Il est temps de laisser tout ce qu'Eurydice sait, tout ce que je sais, revenir à la surface.

Car j'ai un pouvoir. Un pouvoir que je brûle d'utiliser à l'instant.

Il ne me suffit que d'un regard en direction d'Isadora, de son corps étendu sans vie au sol. Que d'un rappel de sa peur, de la douleur, de la mort. Que d'une once de soif de vengeance. Pour que tout s'embrase. D'un élan que je ne soupçonnais pas, je me relève, me jetant contre l'Apognos. Entraînée par mon poids, nous tombons au sol et y roulons.

Son cris de rage fuse à mes oreilles tandis qu'elle se débat, renversant mon corps pour me surplomber. Elle est bien plus forte physiquement que moi. Mais ce n'est qu'une humaine. Et moi je suis une nymphe doublée d'une destinée. Loin d'être inoffensive. Loin d'être passive.

Alors qu'elle coince la lame de son poignard sous ma gorge, je profite d'avoir le bras libéré pour apposer ma main sur son visage. Cette fois, la luminescence qui s'échappe de mes paumes n'a rien de bienveillant. L'énergie ne part plus de mon cœur, de mon corps, mais de celui de ma geôlière. Son sourire se change en grimace tandis qu'elle pâlit. Elle tente de se dégager de mon emprise sans y parvenir.

Et tandis que je sens ce nouveau souffle pénétrer mon corps, s'écouler dans mes veines, j'aspire toujours plus son essence vitale. Son visage déformé par la haine pâlit de plus en plus, ses rides s'accroissent, ses cheveux grisonnent et ses yeux s'injectent de sang. Ses forces l'abandonnent, quittant son corps maudit pour rejoindre le mien. Encore une fois, je me sens ivre de cette puissance, ivre de ce pouvoir mortel.

Yerine (Mélusine HS.1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant