Chapitre 21.

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La lumière du jour me réveille. Pour une fois, je me lève avec un semblant de sérénité. Les rayons se faufilent entre les horribles rideaux jaunes qui couvrent la fenêtre pour venir illuminer la table de chevet. Mon attention est attirée par la petite plante verte qui repose à côté de la lampe. Surprise, j'ai l'impression de voir les petites feuilles frémir alors qu'il n'y a pas le moindre courant d'air.

Je me redresse vivement sur le matelas inconfortable et saisit le pot de plastique entre mes mains. À nouveau, cet étrange phénomène se reproduit. Les feuilles frémissent comme si la chlorophylle s'éveillait à mon contact. Un murmure empli soudain la chambre, résonnant contre les murs crépis pour s'insinuer en moi. Stupéfaite, je me tourne vers Orphée, à côté de moi, encore endormi – du moins je le crois. Cela ne vient pas de lui. Mais de qui alors ?

« Tu m'entends ? Personne ne m'entend jamais... Tu m'entends ? »

Je baisse la tête et mon regard se pose sur la plante. Ne me dites pas que...

« C'est cela, tu m'entends... »

Etonnée, je caresse la tige, me remémorant la façon dont les arbres m'avaient guidée sur l'île, dans cette forêt ténébreuse. À priori, je peux communiquer avec toute la flore possible, passant des arbres aux chlorophylles. Ce qui est surprenant. Car de ce que j'ai compris, les dryades ne sont que les nymphes des arbres. Je ferme les yeux, tentant de me concentrer sur les ondes que m'envoient les feuilles au creux de mes mains.

« Laisse-moi te montrer, mère ! Laisse-moi te montrer... »

Sans trop comprendre les désirs de la plante, je décide de me laisser porter par mes instincts. Le monde autour de moi semble disparaître tandis que mon esprit se projette au cœur même de la chlorophylle, sa sève semble s'écouler au même rythme que le sang dans mes veines et brutalement l'obscurité se retrouve remplacer par la petite chambre

Et je vois ! Je vois cette adolescente en fugue se réfugiant dans cette chambre pour une nuit, ses larmes salées imprégnant l'oreiller. Je vois cet homme d'affaire et sa mallette embaumant le cuir. Je vois cette mère de famille et son amant se réfugiant dans cette chambre, l'odeur du parfum de luxe envahissant tout, s'incrustant dans les rideaux moutarde. Je les vois et je les sens. Eux et tous ceux après eux.

Tous de passage. Aucun ne prête attention à la plante. Mais elle les a tous vu, tous mémorisé.

Mon cœur s'accélère quand ce qu'elle me montre à présent est un souvenir d'Orphée de moi. Sa déclaration d'amour raisonne à mes oreilles, s'imprègne dans les feuilles de la plante. Nous nous embrassons passionnément, nous nous aimons. Mes joues s'enflamment, rompant l'étrange communication tandis que j'inspire à grande goulée d'air pour calmer mon cœur. Et probablement aussi mon désir.

Soudain, la voix d'Orphée me ramène sur terre, tandis qu'il murmure :

« C'est étrange de te voir faire cela.

Je fais volte-face. Assis lui aussi sur le lit, il m'observe, l'air légèrement surpris. Mais à la façon dont il me regarde, je ne peux m'empêcher de me mordre l'intérieur de la joue pour ne pas rougir.

- Pourquoi ?

- Et bien... C'est un truc de nymphe.

- Mais je suis une nymphe ! Et Eurydice aussi l'était. Pour un homme vieux de trois millénaires censés en avoir vu plus que quiconque je te trouve très facilement surpris.

Il lève les yeux au ciel, saisissant ma plaisanterie. Je ne suis pas la seule à m'être levée de bonne humeur puisqu'il entre dans mon jeu en ronchonnant :

Yerine (Mélusine HS.1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant