Le vingt-huit mai dernier, les One Direction donnaient une séance de dédicace au London Haul Center. Ils avaient attendu cet évènement avec impatience. En effet, rencontrer leurs fans était de loin ce qu'ils préféraient après les concerts. En plus, les garçons savaient que les fans seraient nombreuses puisque le London Haul Center était l'un des plus grands centres commerciales d'Angleterre. Naturellement, leur agent les avait informé de la mise en scène ; par où les One Direction devaient entrer et comment. Puis où ils devaient s'asseoir... Tout était prêt. Tout serait parfait. Ça allait être une après-midi formidable pour les garçons. Une journée tout à fait banale pour des stars interplanétaires.
Ça aurait dû être une journée tout à fait banale.
Le récit d'Harry était animé et accompagné de grands gestes vers le ciel.
- Tu aurais vu ça, Alice ! C'était bondé. On était là, tous les cinq sur l'estrade. Et les fans étaient par millier encore une fois ! Pour nous ! Je ne m'y habituerai jamais, c'est clair... Ce n'est pas croyable que des inconnus se déplacent et fassent des kilomètres pour nous... Niall avait vraiment adoré cette après-midi-là, parce qu'un groupe d'irlandaises avait fait le voyage jusqu'à Londres pour nous voir. Tu te rends compte ? Il était vraiment trop content de les rencontrer. On l'était tous les cinq. C'était délirant !
Le jeune homme raconta à Alice chaque minute de cette formidable après-midi, s'accrochant au moindre détail pour retarder le commencement de son cauchemar.
Il ne la regardait pas. Surtout pas. Harry fixait le ciel sombre. Allongé, là, près d'elle, il attendait que les démons qui hantaient ses nuits s'évanouissent. En vain.
Il fallait continuer. Affronter son destin. Harry inspira profondément et reprit son funeste discours.
- Ensuite, la séance s'est terminée. Il était plus tard que d'habitude. Avec les gars, on avait décidé de rester un peu plus longtemps parce que beaucoup de fans n'avaient pas eu de photo ou d'album dédicacé. Mais elles étaient trop nombreuses et... et..., continua-t-il hésitant. Elles en veulent toujours plus. Ce n'est jamais finit ! Alors... on a dû sortir par une porte de secours avec Paul, notre garde du corps, parce que l'entrée principale était complément bloquée. C'était un truc de malade, s'exclama le bouclé. Donc on a attendu la voiture sur le côté du bâtiment. Dehors, je me souviens qu'il faisait chaud et étonnement beau.Surement trop beau, en fait. Et puis, reprit-il, Au loin j'ai vu deux filles près d'un arrêt de bus. L'une d'elle avait un de nos livres que l'on venait de publier. Mais elles ne sont pas venues vers nous. Tu vois, c'est ce genre de fans-là que l'on apprécie tout particulièrement. Parce qu'elles nous respectent, elles ne vont pas nous sauter dessus au moindre pas que l'on fait dehors. Et puis, hésita-t-il. Je me rappelle m'être fait la remarque que l'une d'elle était vraiment... mignonne. Je me disais que je m'en serais souvenue si je l'avais déjà vu. J'ai donc pensé que c'était une de celles qui n'avait pas eu leur dédicace, continua le jeune homme sans jamais s'adresser directement à la jolie blonde, c'était comme si il parlait tout seul. Alors, comme la voiture n'arrivait pas, j'ai dit à Louis de venir avec moi les voir et finalement les gars sont venus aussi. Elles étaient vraiment contentes que l'on vienne vers elles. Et après, continua-t-il avant de marqué une courte pause, de souffler calmement et de poursuivre. Celle que je trouvais jolie m'a demandé si je pouvais prendre une photo avec elle. Sa copine nous a donc pris en photo sauf que je me souviens qu'on était en contre-jour. On a dû retourner de l'autre côté de la rue pour en reprendre une photo qui serait réussie. Et puis, c'est là que je l'ai vu, lâcha-t-il avant de marquer une nouvelle pause, les yeux fermés cette fois-ci. Un mec qui nous regardait. Qui la regardait, en fait. Elle aussi, elle l'a vu, dit-il en fermant à nouveau les yeux comme pour ne pas voir la réalité en face. Mais... Je n'ai pas fait attention à elle, j'étais trop... euphorique, encore dans l'adrénaline et la joie de l'après-midi, j'avais encore les oreilles qui bourdonnaient à cause des hurlements des fans. Alors, je n'ai pas fait attention à elle, souffla-t-il. On a pris la photo, la voiture est arrivée, les gars et moi, on est rapidement monté dedans et on est partit. Je l'ai laissé là, après lui avoir brièvement sourit... Elle s'appelait Mindily. Mais ça... Je ne l'ai su que le lendemain, quand les journaux criaient son nom un peu partout.
Harry soupira bruyamment, passa ses mains sur son visage et ajouta d'un ton à peine audible :
« Son nom, et puis le mien aussi. »
Des paroles bafouées et quelques larmes échouées. Voilà tout ce qu'il restait du jeune Harry aujourd'hui.
Alice avait entendu parler d'une certaine Mindily en cours. Mais ça ne pouvait pas être la même. « Faîte que ce ne soit pas la même » priait-elle en silence.
- Par je ne sais quel miracle, tu n'es pas au courant des rumeurs sur moi, reprit-il en essuyant ses larmes du revers de sa manche. Je ne sais vraiment pas comment c'est possible ! Mais... Tu ne peux pas être passé à travers son histoire à elle. Celle de Mindily COOKS.
Alice retint de justesse un cri horrifié. C'était la même. Cette jeune femme, du même âge qu'elle, qui avait été laissé pour morte après avoir était gravement mutilée et abusée. La même Mindily. Celle dont son professeur de philosophie avait parlé ; « C'est comme cette fille, Mindily COOKS qui s'est faîte agresser il y a quelques jours, vous en avez sans doute entendu parler. Je mettrai ma main à couper que la plupart d'entre vous connaisse ce taré et en son fan. C'est d'ailleurs pour ça que nous n'allons pas débattre là-dessus. Changeons d'exemple. » Jamais Alice n'avait compris ce dont il était question. Elle détestait regarder les informations et devoir affronter les massacres, procès, maladies et autres mauvaises nouvelles. Moins elle en entendait parler, mieux elle se portait. Elle ne lisait pas non plus les journaux et prêtait encore moins attention aux scandales des stars.
Ainsi la triste réalité de Mindily COOKS et Harry STYLES avait glissé autour d'Alice sans jamais la toucher, sans jamais la contraindre à croire les énormités présentes dans les médias. Un miracle, comme disait le bouclé.
La philosophie consiste à penser par soi-même, à s'éloigner au mieux de tous les préjugés et toutes les idées reçues de notre monde. « Un taré » avait dit son professeur. Non mais quel genre de personne peut juger sans savoir ? Rien que l'idée révoltait déjà Alice.
Le vingt-neuf mai, la photo prise la veille était dans tous les journaux. Les rumeurs avaient fusé dans la nuit et Harry STYLES des One Direction se retrouvait accusé d'harcèlement, de maltraitance et d'agression sexuelle. Une rumeur folle avait été lancée par le site internet d'un magazine connu pour inventer toutes sortes de ragots délirants mais qui, cette fois, avait pris des proportions énormes. Car le pire n'était pas d'accuser, à tort, un garçon d'avoir agressé une jeune femme de son âge qui aurait, soit disant, refusé ses avances. Non. Le pire, c'était que dans tous les cas, peu importe le coupable, l'agression avait eu lieu. Et une vie entière s'était brisée.
Alors si l'agression avait effectivement eu lieu, comment pouvait-on démentir et affirmer que les nouvelles n'étaient que des tissus de mensonges ? Un peu partout, on pouvait lire dans la presse à scandales : « Harry STYLES, connu pour sa vie sentimentale houleuse, agresse sexuellement une adolescente », « Harry STYLES des One Direction accusé de viol ! », etc...
Imaginez-vous plongé dans le bonheur, heureux comme jamais... Puis tout à coup, accusé d'un crime horrible, répugnant et tabou. Imaginez-vous poignardé dans le dos comme pour vous punir de votre bonheur. Imaginez ; c'est le couteau que l'on tire, que l'on tort, tourne, encore et encore, pour faire plus souffrir encore que l'imaginable.
Allongé avec les étoiles, le jeune bouclé repensa à une maudite journée. C'était le neuvième jour du mois de juin : La maison était déserte. Harry était le seul réveillé. Encore une fois, il avait mal dormit et avait fait de terribles cauchemars. Encore une fois, il était seul. Il pleurait, devant son assiette, devant la télé. Il n'en pouvait plus. Il ne supportait plus la nourriture, il n'y arrivait définitivement plus. Il avait perdu près de deux kilos en à peine deux semaines. Cette histoire commençait déjà à le détruire et ça semblait n'être que le début.
Le mal rongeait son misérable corps. Il tremblait, il avait froid. Les informations de ce matin le forçaient, une fois de plus, à se détester. Harry STYLES des One Direction faisait la Une de tous les médias, toujours accusé d'avoir brisé l'existence d'une jeune fille.
Il aurait voulu quitter son corps, le fuir et partir loin. Loin, très loin. Et ne revenir que lorsque la tempête serait terminée.
Tout ça pour une photo. Cette photo qui a réveillé une nation toute entière, qui aurait pu aboutir à des débats de sociétés, des projets politiques, sans l'intervention de l'influent Simon COWELL. Tout ça pour un visage sans vie sur une photo. Mais les enquêteurs ne connaissaient pas la véritable raison de sa terreur. Tout ce qu'ils voyaient c'était un visage figé dans l'effroi alors que le bras d'Harry entourait la taille de la jeune femme. Alors pourquoi ne pas croire les bruits de couloirs ? Juste pour une photo. On pouvait y découvrir la finesse de la bouche de Mindily COOKS. Une bouche pour les silences.
Car si les accusations restaient sur les épaules du jeune Harry STYLES, c'était bien parce que la victime ne le disculpait pas. Elle ne disait rien. Pas un mot.
Le regard vague, la jeune femme restait muette. Elle ne demandait rien, n'osait plus rien et retenait tout derrière sa gorge douloureuse. Elle était absente dans un monde où chaque mot lui évoquait une menace. Son fragile équilibre était détruit, son corps était détruit. Tout son être, piétiné, brûlé, haché, frappé, déchiré, écrabouillé.
Alors que le coupable, le vrai, il était là, il riait, mangeait, dormait, faisait probablement des projets. Il faisait comme si de rien n'était alors que cet homme cachait ce qui était sans doute l'un des pires crimes de l'Homme. Mais comment peut-on faire ça ?
Et Harry, qui subissait les insultes et la haine des gens qui soutenait la pauvre Mindily COOKS encore à l'hôpital à ce moment, et dans un sale état.
Ce que personne ne savait, même pas les meilleurs amis du garçon, c'était qu'Harry l'avait revu. Un soir, très tard, le bouclé s'était encapuchonné et était entré dans un hôpital. Celui où la jeune Mindily était hospitalisée. Il n'avait pas eu de mal à trouver la chambre dans laquelle elle était installée, même pas besoin de dévoiler son visage à une infirmière pour qu'elle lui indique le numéro de la chambre, toutes ces informations personnelles étaient placardées dans les journaux et sur de nombreux sites internet, le plus souvent accompagnés de photos de la jeune femme avant son agression. Et à chaque fois qu'il la voyait en photo, Harry pensait un peu plus qu'elle était belle.
La photo, c'est un instant saisi, le plus fort, le plus touchant. Le plus douloureux parfois.
Le jeune garçon s'était doucement approché de la nonchalante chambre numéro 199, tirant à chaque pas un peu plus sur sa capuche. La porte était grande ouverte, facilitant le passage aux infirmières et médecins. A quelques mètres, Harry avait fermé ses paupières essayant d'échapper à cette douleur qui déchire tout comme le fait la peur. Puis, lorsqu'il avait entendu grincer sous ses pieds la barre de métal du seuil de la porte, le bouclé s'était stoppé et avait ouvert les yeux. D'un coup comme ça, sans trop réfléchir aux conséquences. Et devant ce terrible spectacle, le jeune homme s'était senti défaillir. Comme le vent et la pluie qui frappent de plein fouet, la souffrance était venue démolir un peu plus le monde déjà écroulé du jeune Harry.
Elle était là, endormit sur son lit d'hôpital, le visage pâle, les lèvres blanches, comme un cadavre. Les poignets et le visage bleutés à certains endroits. Des cicatrices saillantes sur les bras et le front. Son pauvre corps branché à des dizaines de machines qui bipaient. Des signaux d'alarme qui constituaient la douleur et l'angoisse qui la rongeait. Voilà, toute la souffrance apparente.
Mais il y a aussi la souffrance invisible, celle que l'on ressent au plus profond de soi : ses poumons brulés par un cri bloqué. Ses parents sur le canapé, non loin du lit, blottit l'un contre l'autre, eux aussi endormit. Sa mère qui priait surement chaque jour, avec foi et de tout son cœur. Ses énormes bleus au cœur ; car lorsque l'horreur frappe, c'est toujours le cœur qu'elle vise en premier. Il y avait aussi le goût amer dans la bouche de Mindily, et son dégoût de vivre. Sa lumière était partit.
La scène qui s'offrait aux yeux du bouclé était affligeante. Elle qui était si belle... Comment quelqu'un peut-il l'avoir mis dans un tel état ? Et qui ? D'après tout le pays, c'était lui le coupable. Et si c'était le cas ? Non. Il n'était pas responsable d'un tel désastre.
Comment un garçon de dix-huit ans est-il censé affronter la haine quotidienne ? Personne ne sait.
La mer au bord des cils, Harry avait regardé une dernière fois la belle Mindily COOKS puis s'en était allé, sans un mot, sans un signe qui montrait qu'il était passé. Ses yeux étaient ravagés par une ombre d'amertume. La voir dans cet état avait largement fait déborder le vase de sa tristesse. Une goutte avait ruisselé le long de sa joue et s'était faufilé entre ses lèvres. Une larme salée, comme la douleur qui le rongeait. Puis une autre larme. Puis deux. Puis trois. Et bientôt un océan entier autour de lui. Il nageait. Dans la peur. Seul. Puis il coulait. Lentement. Un peu plus. Jusqu'à disparaître totalement, derrière le mur émotionnel qu'il se construisait : Culpabilité, Sensibilisé, Désespoir.
- Est-ce que tu te rends compte que mon pays m'a pris pour l'être le plus abominable qui existe ? Je ne l'ai pas touché, Alice ! Je ne l'ai jamais fait. Je.... Oh mon Dieu ! s'exclama-t-il tout en éclatant en sanglot.
Harry, en pleurs, évacuait près de trois longs mois de solitude et de chagrin. Il était à bout. Plus de force,plus de voix, plus de lumière dans les yeux. Plus rien.
La jeune Alice n'avait pas vu à quel point il était important pour lui de briller, de sentir sur lui un regard approbateur, des oreilles attentives. Le malaise ressenti devant ces inconnus si ordinaires qui l'accusaient prouvait à quel point une certaine faiblesse caressait sa force.
Alice attrapa fermement la main de son ami, l'obligeant à prendre conscience qu'il n'était pas seul.