17 · Souvenirs chlorés

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Théa avait époustouflé Adam avec sa nage, et elle en était fière, bien que ça ne lui arrivait pas souvent. Elle n'avait pas encore dit à sa sœur qu'elle était en couple pour la première fois de sa vie, et elle avait peur de faire ou de dire quelque chose qui la trahirait. Mais après tout, elles étaient sœurs, et puis, vu la lucidité et la clairvoyance de Talia, ça n'étonnerait pas Théa qu'elle découvre tout dans les jours qui suivaient.

Un souvenir l'assailla alors, un souvenir enfoui dans sa mémoire qui était soudainement réapparu à la surface. Elle avait six ans. Six petites années. Elle était partie pour la première fois à la piscine d'aussi loin qu'elle s'en souvienne. Toute sa famille était là, un jour d'hiver où il faisait froid et mauvais. Les parents de Théa voulaient montrer à leurs filles qu'il était possible de nager en hiver, car certaines piscines étaient chauffées. Théa ne savait pas nager, et, pour être honnête, n'était jamais partie dans de l'eau autre que celle de son bain ; parce que ses parents avaient peur qu'elle se noie et ne comprenaient pas comment elles pouvait nager sans être dotée de vue. Talia l'avait aidé à mettre son maillot de bain, le premier de sa vie, elle ne savait même pas à quoi il ressemblait. Tout ce dont elle se souvenait est qu'au prime abord, elle se sentait serrée et mal à l'aise dans cette deuxième peau. Mais quelques secondes à peine après l'avoir enfilé, elle se sentait bien dedans. Elle était sortit d'un vestiaire qui sentait les pieds, l'urine et le chlore pour tremper ses pieds dans de l'eau. 

- Ca s'appelle un pédiluve, lui avait chuchoté Talia, c'est dégueu.

En effet, c'était dégueu. 

Sa mère l'avait présenté à un homme qui lui avait mis des brassards aux bras qui grattaient et faisaient un drôle de bruit à chaque fois qu'ils bougeaient, et lui avait pris la main pour lui faire descendre des escaliers qui l'avaient menés à de l'eau. De l'eau chaude, en grande quantité. L'homme qui l'accompagnait s'appelait Eric, et il était maître-nageur, il lui disait plein de trucs du genre " Je ne pars pas, je suis toujours là ", " Tu vas voir, c'est un réflexe, tu vas bouger toute seule ". Et c'était vrai. Ses jambes s'étaient agitées et battaient l'eau, l'eau faisait des remous sur sa peau et elle pouvait sentir chacun d'entre eux. Une dizaine de minutes passa et Théa mit pour la première fois de sa vie la tête entièrement sous l'eau ; ce qui avait presque déclenché une crise de panique chez elle. Mais après de nombreux autres essais, elle commençait à apprécier ça. Et elle s'était mis en tête de rester le plus longtemps possible sans respirer, sans savoir qu'elle le ferait aussi hors de l'eau, pour le plaisir de tester ses capacités. 

Sa famille et elle étaient retournés habituellement à la piscine, peut importe la saison, et bientôt, elle adorait la nage. Elle jouait avec sa sœur, nageait avec sa mère, éclaboussait son père... Bref, ce temps là, sa cécité n'était pas un fardeau. 

Jusqu'à ce jour, à ses huit ans, où son père avait proposé qu'elle suive des cours de natation, avec d'autres filles. Au début, elle s'en était réjouie et pensait se faire des amies. Mais il s'avéra qu'elle fût la cible de moqueries et de farces en tout genre : on faisait tomber ses affaires qu'elle mettait toujours à la même place à défaut de les voir, on mettait des obstacles sur sa ligne de nage pour qu'elle se les prenne, on nageait à côté d'elle sans prévenir pour la bousculer... Et Luna, leur professeure, ne faisait rien, alors qu'elle voyait tout. Théa était découragée, Pauline et Romane, les deux filles les plus fortes de son cours, ne cessaient de briller, tandis qu'elle perdait confiance en elle.  A la fin d'un cours, Camila, une peste, lui avait dit : 

- Tu pourras jamais être une bonne nageuse Théa, regarde-toi, ah non c'est vrai tu peux pas. Tu peux pas voir, tu peux juste couler et te noyer. 

Ce fût le dernier cour en commun auquel Théa avait assisté. 

___ 

- Alors les filles c'était comment ? demanda le père de Théa 

- Excellent, répondit Talia, c'était juste génial.

Florence arriva et tendit un paquet de biscuits à ses filles, puis s'immisça dans la conversation :

- Comment a été Adam ?

- Adorable, répondit Théa en s'efforçant de garder un ton détaché. Il a de la conversation et il était très drôle.

Florence posa une bonne dizaine d'autres questions à Théa au sujet de Adam et elle avait comme le sentiment que Talia analysait tout ce qu'elle disait en plissant légèrement les yeux. 

Vers vingt-trois heures environ, Théa fut secouée et reconnut la voix de Talia qui lui répétait de se réveiller. 

- Adam t'attend, il a lancé des petits cailloux sur la fenêtre comme dans les films. 

Théa ne comprenait pas.

- Je sais pas moi, il veut peut-être se promener, c'est cool les ballades de nuit ! 

- Mais Talia, les parents... 

Sa grande soeur la coupa :

- Arrête de vivre dans leur ombre, amuse-toi juste.

Théa avait rejoint Adam, qui lui avait prit la main et l'avait amené à la colline où ils avaient fait connaissance. 

- Ta sœur sait qu'on est en couple. 

- Ça m'étonne pas elle sait tout. 

- Tout comme quoi ? 

- Tout comme tout ce que je fais, tout ce que je dis, tout ce que je pense et tout ce que j'aime, répondit Théa en pensant particulièrement au garçon qui lui tenait la main vers la fin de la phrase. 

- Et tes parents l'ont deviné eux ? reprit Adam en rigolant 

Le sourire de Théa retomba, elle réfléchit quelques instants pour répondre le plus neutrement possible :

- Euh non, ils devinent pas grand chose en ce qui me concerne, ils ont leur propre idée de qui je suis et ne vont pas chercher plus loin.

Théa avait instauré une ambiance plus lourde et regretta de suite ce qu'elle venait de dire. Parce que bien qu'elle ait réussi à faire passer la forme, Adam avait très bien compris le fond.

- Oh je voulais pas te rendre triste, désolé.

- T'inquiètes pas, ça me fait du bien. 

Adam demanda si çela dérangeait Théa qu'il passait son bras autour de ses épaules, ce à quoi elle répondit non.

- Tu veux continuer de me parler d'eux ? 

- Avec grand plaisir. 


Et on parlera des nuagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant