4 - Vacances

29 6 5
                                    

— On part chez mamie pendant les vacances, annonce maman, tu t'en souviens ?

Hier, elle a essayé de relancer le sujet « petit copain », mais je l'ai arrêtée d'un regard noir, et je sais qu'elle ne m'embêtera plus avec cette histoire débile. J'attends donc de savoir que j'aime Bing. Mais ça ne vient pas, alors je suppose que je ne l'aime pas. Ça me soulage un peu.

— Oui.

— Il y aura ta cousine, c'est cool, non ?

Je ne les aime pas trop. À vrai dire, excepté ma mère, je ne suis proche de personne dans ma famille. Ça ne fait rien. Je me contente d'acquiescer.

Depuis quelque temps, Bing est plus distant, plus silencieux, et il a l'air plus triste. Son père lui manque. Il l'a vu hier, mais il est reparti, et il lui manque plus cruellement encore. Il doit être très connu pour faire des concerts pendant si longtemps. Je me demande pourquoi je n'ai pas entendu parler de lui plus tôt.

Maman me dépose à l'école. Bing ne me parle quasiment pas de la journée, même pas quand je lui dit que j'ai beaucoup aimé Exogenesis. Il a haussé les épaules avec un « eh bien pas moi ». Ça m'a rendue triste et j'avoue que j'ai boudé un petit moment. L'après-midi, je dois me rendre à l'hôpital pour passer dire bonjour à Brandon. Il paraît qu'il a eu une commotion cérébrale. Je ne suis pas d'accord. Son cerveau n'a pas pu être affecté, puisqu'il n'en a pas. Je ne voulais pas aller le voir, mais j'ai lu dans les yeux de maman que je n'aurais pas le choix. Pourquoi doit-on toujours faire des choses pour les autres ? On ne peut pas simplement vivre pour soi-même ?

Je me retrouve assise sur une chaise pas confortable, mes jambes ne touchent même pas le sol tellement mon siège est trop grand. Ils me font patienter parce que la bande d'abrutis qui servent d'amis à Brandon doit passée avant moi, et ils ont dit qu'on ne tiendrait pas tous dans la chambre s'ils me laissaient venir. Maman m'a forcée à lui apporter des fleurs. Je trouve ça ridicule, mais ce n'est pas ça le plus absurde. Le plus absurde, c'est le regard que ma mère m'a lancé avant que je parte. Comme si elle faisait un sous-entendu alors qu'il n'y en avait pas à faire. Je pense qu'elle croit que c'est à cause de Brandon que je lui ai demandé comment on sait si on est amoureux. Trouvez-moi quelque chose de plus absurde que ça...

Ils me font entrer, il reste encore quelques personnes dans la salle, trois garçons, dont un qui s'appelle Maxime et qui est blond. Je crois que c'est le moins bête de la bande. Je pose mes fleurs sur sa table de chevet, en poussant les boîtes de médicaments de côté pour que mon bouquet tienne. Je reste debout. Je me sens un peu stupide, les bras ballants comme ça. Brandon fait un demi-sourire moqueur.

— Hey, weirdo.

Je me force à me concentrer sur ce qu'il dit pour comprendre, sinon il se fichera encore plus de moi. Il bouge un bras pour faire tomber mes fleurs par terre.

— Oops.

Il ricane bêtement, et ses amis suivent. Seul Maxime serre les dents. Je me demande ce qu'il fait encore avec ces gens-là. Je suppose que s'il décidait de ne plus être ami avec eux, il serait tout seul.

— How's your boyfriend goin', weirdo ?

Je hausse les épaules. Je sais qu'il parle de Bing, mais ce n'est pas mon petit copain.

— I have no boyfriend, bredouillé-je.

Il éclate de rire à nouveau. Je suppose que je prononce super mal. Je ne sais même pas si ma phrase était correcte. Sans doute pas. Il postillonne partout quand il parle. Il m'énerve. Je donne une pichenette dans son plâtre au bras, et il se met à hurler. Quel comédien, il n'est rien censé sentir.

Une infirmière me pousse fermement dehors en disant quelque chose que je n'arrive pas à comprendre. Elle parle trop vite, comme si les mots se bousculaient tous en même temps sur sa langue. Ils parlent tous trop vite pour que je les comprenne.

Contre toutes attentes, je croise Bing dans un couloir, il est avec la blonde. Elle aussi parle super vite, j'ai l'impression qu'elle le gronde. Elle a dû le traîner ici de force. Je souris à Bing, mais il ne me voit même pas. Il est occupé à répliquer.

•••

« I will not be there for 2 weeks during the holidays. »

« Je voulais te voir pendant les vacances » Il dessine un smiley pas content.

« Sorry... I have to go to my grand-mother's house. Her birthday is on the 22nd, she will be 60. I really can't stay here. »

Il soupire profondément mais acquiesce : il comprend. Je suis déçue aussi, on a parlé plusieurs fois de se voir pendant les vacances, je lui avais assuré que je serais libre. D'habitude, on reste ici pour les vacances.

« Tu reviens juste à la rentrée ? »

Je hoche la tête.

« Tu vas me manquer », ajoute-t-il après une courte hésitation.

Je songe encore à ces films à l'eau de rose, et chasse ces images de ma tête. On est amis, rien de plus. Je me demande ce que lui, il en pense. Après tout, c'est lui qui m'écrit ces phrases un peu ambigues. Je devrais lui poser la question, lui demander si pour lui on est plus qu'amis, mais je ne le fais pas, allez savoir pourquoi.

•••

Il décide de me ramener chez moi le dernier vendredi avant les vacances. Il a dit qu'il veut profiter de chaque instant possible passé avec moi. Je lui ai répondu par un sourire un peu crispé. Il me dit de plus en plus de trucs comme ça, alors que je viens à peine de me mettre à le considérer vraiment comme un ami.

La blonde n'est pas devant l'école. Bing me prend fermement la main et presse le pas jusqu'à ce qu'on soit hors de vue des autres. Là, il me lâche, et s'écarte un peu. Il fixe le sol. Il est tout rouge. Ce n'est pas pratique d'écrire sur notre carnet en marchant, alors on reste silencieux. Pourtant, le silence n'a rien de pesant ou d'embarrassant. J'aime bien ce silence.

— La dame blonde que tu vois le soir, c'est ma belle-mère, dit-il. Elle s'appelle Elle.

Drôle de nom, pensé-je. Mais peut-être que c'est courant aux États-Unis. Il me jette un petit coup d'œil et rougit de plus belle. Il se tait jusqu'à ce qu'on arrive devant chez moi. Il reste planté là, écarlate et évitant de croiser mon regard. Je ne sais pas comment lui dire au revoir.

— I'll miss you, murmuré-je enfin.

— Moi aussi. Leo, je...

Il s'arrête. Il semble chercher ses mots. C'est devenu très rare, les moments où il ne sait pas comment traduire quelque chose. Ça fait presque trois mois qu'on est devenus amis.

— Leonore, je crois que je suis a...

Il s'arrête encore. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi rouge.

— Je suis amoureux de toi.

Il relève les yeux vers moi une fraction de seconde, mais les baisse à nouveau. Est-ce qu'il a honte de m'avoir dit ça ? Il faut que je réponde quelque chose, je ne peux pas le laisser comme ça. Mais je ne l'aime pas... Enfin, si, mais c'est un ami, quoi ! Pas... Je ne suis pas amoureuse de lui. Je ne veux pas le blesser... Je ne veux pas qu'on ne doit plus amis à cause de ça...

— Tu vas trop vite, dis-je à toute vitesse.

Je fais volte face et disparais dans ma maison, le cœur cognant contre mes côtes. Je regrette déjà d'être partie comme ça. Je ne sais même pas s'il a entendu, ou compris, ce que je lui ai dit. On ne va pas se voir pendant deux semaines, et le seul souvenir que je lui laisse, c'est moi qui le repousse ? Je reprends peu à peu une respiration régulière. Avec un peu de chance, il est encore là, et je pourrai lui expliquer...

Je rouvre la porte. Il n'est pas là. Je crie son nom et jette un œil de chaque côté de la route, mais il est bel et bien parti.

Beurk, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant