19 - Blackout

24 3 3
                                    

Il s'écarte doucement de moi pour me regarder. Ses yeux bruns me détaillent de haut en bas. Je me sens belle sous son regard, même s'il a l'air inquiet.

- Tu m'as fait la peur de ma vie, Leo.

Lio. Je ne peux m'empêcher de sourire. Il m'a tant manqué, et je ne m'en rendais même pas compte...

- Je t'aime, dis-je simplement.

Je fais un pas en avant et le serre dans mes bras à nouveau, c'est si bon de le sentir tout contre moi.

- Tu dois tout me raconter, Leo. Tout, d'accord ? Parce que tu m'as fait trop peur cette semaine.

"Cette semaine" ? Ça n'a pas duré qu'une journée ? Je l'interroge du regard.

- Ça fait une semaine qu'on s'est revus, dit-il. Tu es partie il y a un mois, et on ne s'est pas vus pendant trois semaines. Tu m'as terriblement manqué, et tu étais partie sans me prévenir.

Il fronce un peu les sourcils comme pour me gronder.

- Et lundi dernier, tu es revenue, mais tu étais toute bizarre, tu refusais que je te fasse un câlin. Tu ne disais jamais rien, tu n'écoutais rien, comme si tu étais enfermée dans ta tête sans voir le monde extérieur. Tout ce que je pouvais faire, c'est te prendre la main, et tes doigts étaient si froids et raides... J'ai vraiment cru un moment que tu étais morte et que c'était la main de ton cadavre que je tenais. Et puis là, tu es devenue encore plus froide, ne me prends pas pour un débile mais j'ai essayé de toutes mes forces de t'appeler par la pensée pour que tu reviennes vers moi. Je te tenais fort la main pour que tu aies quelqu'un à qui te raccrocher. Il faut croire que ça a marché, puisque je suis là en train de te raconter ça... Oh, Leo, je t'aime et j'ai eu tellement peur !

J'effleure sa joue de mes lèvres, ce n'est que la deuxième fois mais j'ai l'impression de connaître cette sensation depuis toujours, elle est familière. Il rougit comme pendant le film, et sa peau est toujours aussi douce. Il pose une main sur ma joue, me faisant écarquiller les yeux de surprise, et me fait à son tour un bisou sur la joue. Je sais que je rougis comme lui, je sens mon visage chauffer de partout. Sa main s'attarde sur ma joue, il passe un doigt timide sur ma tempe. Je sens que j'ai la chair de poule tellement c'est agréable. Mais il me lâche, et la magie du moment se brise.

Je lui prends la main, on marche autour de la cour. Il me raconte ce qui s'est passé pendant que je n'étais pas là, son papa qui est venu le voir. Bing m'annonce qu'il sera de retour pour deux semaines à partir de samedi prochain, il est tout excité à l'idée de le revoir.

Je lui parle du vieil Oxo, de l'enterrement, et de tous les jours fades qui ont suivi la mort de mamie. Je suis très triste, plus que tout ce que j'aurais pu imaginer. Tout me retombe dessus d'un coup, mais Bing est là pour me soutenir. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui...

•••

Cameron est à la maison. Je l'embrasse sur les deux joues comme en France pour lui dire bonjour, et il me fait un grand sourire en disant qu'il est heureux de me revoir, et que je n'étais pas moi-même ces derniers temps.

Quand maman rentre à son tour, elle pleure de joie en me voyant bien vivante. Je ne me doutais pas que ça les affectait tant de me voir en mode zombie. Moi aussi, je suis contente de vivre à nouveau, j'ai déjà perdu assez de temps comme ça. Je m'accorde une semaine pour faire mon deuil, après, je devrai aller de l'avant. Bing m'a promis qu'il me soutiendrait de tout son cœur, et vu tout ce qu'il a fait pour moi jusque là, je n'ai aucun doute dessus.

Je serre ma mère contre moi, le plus fort possible, je m'en veux de lui avoir fait si peur. Je ne sais pas exactement ce qui m'est arrivé. Ils disent tous que je vivais, que j'exécutais mécaniquement les mouvements de tous les jours ; mais c'est comme si ma mémoire s'était mise en grève pendant cette période, un véritable blackout de souvenirs. Je crois que je n'étais simplement pas là, mais plutôt dans un monde meilleur, qui - malheureusement - n'existe pas dans la réalité.

Maman s'empresse de prendre un rendez-vous avec un psychologue pour lui demander ce qui m'est arrivé et si je me souviendrai un jour de toutes ces journées perdues dans le brouillard. J'espère que oui. Je n'aime pas l'idée d'avoir gaspillé presque un mois de ma vie, qu'il ait disparu dans un trou noir.

Cameron me pose une série de questions sur comment je suis revenue à moi, et ma mère nous regarde, un vague sourire flottant sur les lèvres. Je suis obligée de leur parler de Bing, mon silence a assez duré. Ils ont le droit de savoir, maintenant.

- Il se trouve que... je ne m'en suis pas vraiment sortie seule.

Je vois les yeux de maman se mettre à briller : elle a deviné que j'allais lui expliquer ma question du début de l'année.

- Depuis plus d'un mois, j'ai un amoureux, qui s'appelle Bingham. Il est adorable et je l'aime plus que tout au monde. Il a pris soin de moi cette semaine, et c'est lui qui m'a en quelque sorte ramenée à la vie.

Le regard de ma mère se trouble au nom de Bingham : elle s'attendait à ce que je lui dise Brandon ? Si c'est ça, elle n'est vraiment pas observatrice. J'ai pourtant montré à plusieurs reprises que je haïssais ce garçon.

- Bingham ? répète-t-elle. Bingham Bellamy ?

- Oui, pourquoi ?

- Non, rien, c'est... c'est un détail.

- Dis-moi !

- C'est le fils d'un chanteur, tu le sais ?

Je lève les yeux au ciel : ce n'est que ça ?! Et pourquoi elle a l'air aussi impressionnée que la maîtresse devant le nom de Bing ?

- Oui, je sais ! Mais pourquoi tu es aussi surprise ?

- Je ne pensais pas qu'il y avait le fils d'une célébrité dans cette école.

Je me retiens de soupirer, et reprends, agacée de m'être faite interrompre :

- Bing m'a tenu la main tout le temps où je n'étais pas consciente, et aujourd'hui, je me suis sentie sombrer plus profond dans mon état bizarre... sauf qu'il était là, j'ai senti qu'il me soutenait et tenait à moi, alors je me suis réveillée. Je n'ai même pas les mots pour dire ce qui s'est passé.

Maman se lève pour me serrer contre elle, et, après une courte hésitation, Cam se joint à notre étreinte. Ses bras musclés ont quelque chose de rassurant, ça fait du bien, et pour la première fois, dans cette ville et cette maison que je commence à peine à connaître, je me sens chez moi.

Beurk, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant