1 - Lio

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Maman veut que j'apprenne l'anglais, parce que jusqu'ici, je ne me fais pas d'amis et je ne travaille pas en classe. "La barrière de la langue." Je n'ai pas trop envie de me fatiguer à apprendre ça. Je finirai par connaître les bases, à force d'être tout le temps en contact avec des anglais. Et puis, pour l'école, ce n'est pas un problème : je suis censée être dans la classe du dessus, mais maman m'a mise dans celle-ci pour me laisser le temps de m'adapter.

Mon père buvait. Il a commencé quand j'avais trois ans, quand il s'est fait virer de la boîte dans laquelle il travaillait depuis vingt ans, et il n'a jamais arrêté. Et puis un jour, le verre de trop, coma éthylique, et clac. Il y est resté. J'étais très triste au début, pourtant, quand il était là, je faisais tout pour l'éviter. Je ne l'aimais pas trop, et il faisait pleurer maman, souvent. Parfois, depuis sa mort, j'éclate en sanglots sans raison.

Bing ne parle pas beaucoup en classe. Je le regarde, de temps en temps. Il est avachi sur sa table la tête dans les bras, et il lâche de gros soupirs de temps en temps. Les autres ont arrêté de se moquer de lui, parce qu'il s'est coupé les cheveux. Je le préfère comme ça, mais c'est dommage qu'il change juste à cause d'eux. Parfois, il se retourne, et je sens ses yeux posés sur moi pendant de longues minutes. Il me met mal à l'aise, alors j'évite de croiser son regard et je plonge le nez dans mes cahiers. Il ne s'est pas vraiment fait d'amis, personne ne veut fréquenter une fiotte, moi y compris. De toute façon, je mettrais ma main à couper qu'il ne parle pas français, comme les autres, donc on ne pourrait pas vraiment être amis.

Sauf que ce matin, il vient vers moi. Il a un carnet à la main. Je l'ignore. On n'a pas le droit de sortir dans la cour pour la récré, parce qu'il pleut. Il me tapote l'épaule. Je fais comme si je n'avais rien senti. Il me donne un coup un peu plus fort, je tourne la tête. « Bonjour », a-t-il écrit sur la page qu'il me montre. Je souris malgré moi. Il a remarqué que je parlais français. Je réponds timidement :

— Hi.

Je sais que j'ai un accent terrible, c'est ma mère qui me le dit. Il sourit aussi, jusqu'aux oreilles. Je suis sans doute la première personne à lui parler. Il tourne la page. « Je m'appelle Bing. »

— Leo.

Je n'arrive pas à me souvenir de la phrase complète pour se présenter. Il hoche la tête et répète mon nom. Il le prononce Lio, c'est bizarre, j'aime bien. Il tourne encore la page. « Mon papa est chanteur. » Ça explique pourquoi la maîtresse devient toute rouge quand il emmène Bing le matin. Le soir, c'est sa maman qui vient le chercher, elle est jolie.

Je ne sais pas si je dois lui dire que mon père est mort. Alors je ne dis rien, je souris. « Mes parents sont séparés. J'ai un grand frère qui a la même maman que moi et mon papa va avoir une fille avec ma belle-mère. » Je me demande comment il a fait pour traduire tout ça. Il n'y a aucune faute. Je ne réponds toujours pas. Je ne sais pas parler anglais, et il n'y a rien de spécial à dire sur moi.

« Mes oncles font de la musique avec mon père. Ils s'appellent Dominic et Christopher. » Je commence à me sentir un peu mal à l'aise. Pourquoi il me raconte tout ça ? Je lui fais un bref sourire, et je le pousse un peu vers sa table en me penchant sur mon bureau. Il prend un air attristé, mais tant pis. Je préfère qu'on ne soit pas trop proches, surtout si je suis incapable de parler avec lui.

Il ne se retourne pas de la journée ; néanmoins quand nous sortons pour rentrer chez nous, alors que la blonde que je suppose être sa mère le prend dans ses bras, il me jette un regard furtif. Je lui souris. Je m'en veux un peu de l'avoir repoussé comme ça tout à l'heure, il ne le méritait pas. Il veut juste se faire des amis.

•••

Il arrive avec son carnet dans la cour. Il ne sourit pas : il a l'air un peu anxieux. « Mon papa va partir en tournée avec mes oncles. » Je hoche la tête. « Ils ne seront pas là pendant plusieurs mois. Ils vont me manquer. » Nouvel acquiescement. Je réfléchis un moment.

— What is the name of the band ?

J'ai du mal à prononcer les « the », cependant il semble avoir compris. Il écrit quatre lettres en majuscules : MUSE, et trace deux traits, au-dessus et en-dessous, avant d'arracher la page pour me la donner. Il tapote son oreille. Je fronce les sourcils. Il pointe la feuille, puis à nouveau son oreille. Ah, d'accord. Il veut que j'écoute leur musique. J'acquiesce encore. Il s'assied à côté de moi, avec un petit soupir. Je suppose qu'il n'a rien marqué d'autre pour aujourd'hui.

Nous restons côte à côte, en silence, durant tout le reste de la récréation. À côté de lui, je me sens un peu plus à ma place. J'ai l'impression qu'il me comprend un peu, qu'il ressent un peu de ma solitude, même si on ne peut pas avoir de vraie discussion.

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NdA : Chers musers, je suis désolée, il y aura de terribles incohérences temporelles dans cette histoire. (Vous verrez.)
Ceux qui ne sont pas musers, ça ne devrait pas trop vous déranger.
Byye

Beurk, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant