18 - Noyade

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Maman veut qu'on rentre dans une semaine. Ça va faire quinze jours qu'on est là, elle dit qu'il ne faut pas que je rate trop de cours, et que Cameron lui manque. Je suppose qu'elle a fini son deuil, mais pas moi, je n'ai même pas encore ressenti la tristesse que le psy m'avait promise, une fois que le choc serait passé. Mais les billets d'avion sont pris, on ne peut plus reculer, je dois y retourner et quitter, bien malgré moi, mon coin de paradis.

Je suis dans ma chambre en train de faire ma valise quand Oxo passe le museau par la porte. Je tends le bras pour le gratouiller derrière les oreilles, je sais qu'il aime ça. Je jette un tee-shirt dans ma valise avec un gros soupir. Le chien se couche à côté de moi, avec cette lenteur prudente que j'aime bien observer chez lui. Il prend toutes les précautions pour ne pas souffrir, comme moi. Sauf que moi, tout le monde me demande d'affronter la douleur pour m'en remettre, ils disent que sinon elle ne passera jamais. Je les ignore royalement, parce que je suis très bien comme je suis.

Le temps passe bizarrement en ce moment, j'ai parfois l'impression de sauter des journées entières. Il y a un instant, je remplissais ma valise, et maintenant je regarde par un hublot d'avion.

— Leo chérie, s'il te plaît, parle-moi... dis-moi ce que tu ressens, je veux t'aider...

Je lui jette un regard noir, et elle se met à pleurer. Ça ne me fait rien, je m'en fiche. Je voudrais que le temps passe plus vite encore pour que je meure vite et que je n'aie plus à vivre dans cette léthargie bizarre, même si je ne peux pas dire que ça soit désagréable. Ce n'est pas agréable non plus, c'est juste comme ça.

Je déballe ma valise. J'entends la voix de maman qui me dit que demain, je devrai retourner à l'école. Je hoche la tête avant de me rappeler qu'elle est en bas et ne peut pas me voir. Alors je hausse les épaules pour moi-même, je ne parle pas. De toute façon, ai-je le choix de retourner en classe ?

Je n'avale rien ce matin. J'ai le tournis, à nouveau. C'est fréquent que je l'aie, ça passe au bout d'une petite heure le plus souvent. Je ferme fort les yeux jusqu'à ce que le plus gros de la crise passe, et quand je les ouvre à nouveau, je suis dans la cour de récré, Bing court vers moi. Il me prend dans ses bras, mais je ne veux pas de ce contact, je le repousse violemment et lui fais les yeux noirs. Il a l'air désemparé, il ne comprend pas. Personne ne comprend, de toute façon. Personne ne comprend comment je me sens, personne ne m'aide, personne ne me dit comment faire pour m'en sortir. Toute ma vie, j'ai eu quelqu'un pour me guider dans la vie, et là, je me retrouve plus seule que jamais parce que personne ne veut prendre le temps de m'aider.

J'ai l'impression d'avoir la tête plongée sous l'eau, tout me parvient déformé, distordu, différent. Je sens que je vais bientôt manquer d'air, pourtant je ne remonte pas pour reprendre ma respiration, au contraire, je m'enfonce, encore, encore et encore... Tout est noir, froid et effrayant, mais ça ne me fait rien, je m'en fiche, et je sens que je vais y passer, tant mieux, j'en aurai fini plus vite je retrouverai mamie et Roussette mais où est maman j'aurais juré qu'il y a une seconde elle était là mais pourquoi pleures-tu je suis là je vais bien je me noie simplement mais ça va aller... Les mots tournoient dans ma tête sans plus aucun sens.

Soudain, alors que je sens mes poumons commencer à me brûler, je refais surface dans une grande inspiration. Je suis perdue, je n'ai plus aucun repère, tout s'est effacé pendant que je me noyais. Je sens une main dans la mienne, et quand je tourne la tête, Bing est là, il ne me regarde pas, il a les yeux dirigés droit devant lui. Une tempête d'émotions fait rage dans mon cœur, c'est nouveau, et ce qui domine, c'est l'amour énorme que je porte au garçon assis près de moi.

Je lutte pour rester hors de l'eau, de grosses vagues tentent de m'attirer au fond, mais Bing est là, il me tient fermement, et chaque fois que je menace de sombrer à nouveau, sa main presse doucement la mienne et je reste à côté de lui.

Je suis là, je suis dans la cour de mon école. Tout va bien. Je ne suis pas en train de me noyer. Un doigt m'effleure la peau et des frissons me remontent le bras. Je secoue la tête pour reprendre mes esprits : ça fait trois semaines que je n'ai pas vécu, j'en ai perdu l'habitude.

Je dégage lentement ma main, et passe les bras autour du cou de Bing pour le serrer le plus fort possible contre moi. Ses cheveux ont poussé et lui tombent dans les yeux comme à la rentrée de septembre, il est drôlement mignon comme ça. Je l'entends rire, il dit qu'il est soulagé et qu'il a cru qu'il ne me retrouverait jamais. Je lui demande pardon un millier de fois, je l'aime, je l'aime, et c'est lui qui m'a sauvée.

Beurk, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant