Je suis épuisée. Maman marche quelques pas devant moi, dans un couloir de l'hôpital. On est en route pour aller voir ma grand-mère. J'ai essayé de ne pas imaginer sa tête maintenant qu'elle sait qu'elle a un cancer, mais ç'a été difficile.
Elle est allongée au milieu d'un lit tout blanc, dans une chambre toute blanche. Elle est pâle sur ses oreillers, et elle ouvre des yeux fatigués à notre entrée.
- Ma toute petite Leonore... et ma toute petite Caroline...
Je ne l'ai jamais entendue appeler maman comme ça. Ça devait être son surnom quand elle était petite. Mamie doit être plus que chamboulée pour l'appeler ainsi. Je me penche au-dessus du lit pour déposer un baiser sur son front. Le souvenir de la joue de Bing me revient en un éclair, mais je le chasse pour ne pas y penser maintenant. Maman embrasse ma grand-mère à son tour.
- Comment vous allez, mes amours ?
- C'est plutôt à toi qu'il faudrait poser la question, murmuré-je.
- Je vais comme je peux... comme une vieille mamie à qui on découvre un cancer à soixante ans... Mais je suis contente de vous voir, vu que c'est peut-être la dernière fois. Je vous aime fort, je veux que vous le sachiez.
- On t'aime aussi, maman, fait ma mère. Mais ne parle pas de malheur, il est hors de question que tu y restes.
Je vois qu'elle se retient de pleurer, pour ne pas faire de peine à mamie. Celle-ci se laisse aller contre ses oreillers en fermant à nouveau les yeux. Elle a l'air souffrante.
- Il faudra bien voir la vérité en face à un moment, Caroline. Mais je m'en vais sans regrets. J'ai fait ce que j'avais à faire sur cette terre avant de partir, et si le bon Dieu estime qu'il est temps que je le rejoigne, je ne peux que me ranger à son avis ! Je t'en prie, ma fille, ne sois pas triste de me voir m'en aller. On se reverra au paradis !
Elle esquisse un petit sourire paisible, mais fait la grimace une seconde après, sans doute rattrapée par la douleur.
- Tu vas pas mourir, mamie.
Elle hausse doucement les épaules.
- On verra, petite Leo. Tu sais, je suis un peu fatiguée de vivre. Mon corps a du mal à rester en forme depuis quelques années. Il est très usé, au bout de soixante ans.
- Mais... tu n'es pas allée au bout de ta vie ! Je connais plein de gens qui vivent jusqu'à loin après soixante ans. Il n'y a pas de raison pour que toi, tu t'en ailles. Je t'aime, bougonné-je, et tu vas me manquer si tu pars.
Elle soupire longuement.
- Quand j'étais petite, commença-t-elle d'une voix empreinte de douceur, à la ferme, on avait une vache qui s'appelait Roussette. Elle n'était pas très vieille, mais elle fatiguait à vue d'œil. Elle avait mis bas une demi-douzaine de fois, toujours avec succès ; elle nous donnait du bon lait depuis des années. Elle avait largement fait la part de son travail sur cette terre. Elle est partie plus jeune que les autres, mais elle avait travaillé dur toute sa vie, et elle méritait bien ce repos.
Elle entrouvre les paupières.
- Tu vois, moi aussi, j'ai fait mon travail ici ; je pense qu'il est temps que je m'en aille rejoindre Roussette.
Je la regarde. Je comprends ce qu'elle dit, mais je n'ai aucune envie de la laisser s'en aller. Elle va me manquer, si elle part. Elle ne sera plus là pour me serrer fort dans ses bras à Noël, ni pour m'envoyer de belles cartes postales recouvertes de son écriture penchée bien soignée. Plus personne ne m'appellera "ma toute petite". Je n'aurai plus le réconfort de sa présence pendant les rassemblements de la famille.
- Mais moi je ne veux pas que tu meures !
J'ai pris un ton de petite fille capricieuse pour dire ça, et j'en suis la première étonnée. Je sens des larmes commencer à rouler sur mes joues, et aller s'écraser par terre en une multitude de gouttelettes. Ma grand-mère ouvre les bras et je cours m'y lover, secouée de gros sanglots. Mamie me sert fort contre elle, je sens tout son amour pour moi dans les battements de son cœur.
- Ma toute petite-petite Leonore, il ne faut pas être triste, je serai toujours là, en toi, dans les souvenirs que tu as de moi. Parfois, tu mangeras une madeleine et tu te diras « tiens, mamie m'en donnait souvent quand j'allais la voir », et tu souriras en te remémorant ça. Je te manquerai peut-être un peu au début, mais je te promets que je veillerai sur toi de là-haut et que mon amour sera toujours avec toi, et toujours aussi fort. Tu ne seras jamais seule, tu m'entends ? Et si jamais un jour je te manque un peu plus, tu n'auras qu'à penser à moi, et je serai là. D'accord ?
J'ai une grosse boule en travers de la gorge, mais le cœur un peu plus léger. J'opine de la tête tout contre elle.
- Maintenant, mon petit amour, il faut me laisser me reposer, pour que je prenne plein de forces pour pouvoir grimper jusqu'au paradis. Reviens me voir demain, Leo. Je t'aime jusqu'au ciel.
Je la serre encore un instant contre moi avant de la lâcher. Elle a les yeux humides. Je peine à lui dire au revoir. Je ne veux pas la quitter, je la sens me filer entre les doigts. Maman sanglote dans un coin, elle ne dit rien.
- Je t'aime, mamie. Je t'aime vraiment très fort, alors tu vas me manquer. Mais je te promets de ne pas être trop triste, ou j'essaierai, en tout cas.
Avec sa douceur pleine de fermeté, maman m'attire à elle et nous sortons. J'ai le tournis. Ma grand-mère m'a un peu rassurée, mais il n'empêche que je n'ai aucune envie de la perdre.
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Nda : Dites aux gens que vous aimez que vous les aimez.
Vraiment, c'est important.
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Beurk, l'amour
RomanceIl est arrivé en cours d'année, personne ne sait vraiment pourquoi. Il avait la tête baissée, alors on ne voyait presque rien de son visage, ses cheveux recouvraient tout. Il était avec son père, et quand elle a vu ce monsieur, la maîtresse a dû se...