5 - Regrets

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Je m'en veux terriblement. Jamais je n'aurais dû dire ça. Il doit être si triste... Et c'est de ma faute, parce que je suis incapable de bien parler aux gens.

Maman a depuis longtemps arrêté de vouloir me faire la conversation. On est dans l'avion pour la France, pour aller chez ma grand-mère. C'est la seule de mes grands-parents qu'il me reste. Je pense que c'est une des rares personnes que j'aime vraiment beaucoup. Mais je n'avais aucune envie de partir, à cause de Bing, et aussi parce que je sais qu'il va y avoir beaucoup, beaucoup de monde pour Noël et le nouvel an. Je n'aime pas les fêtes avec trop de monde, c'est bruyant, tout le monde rigole trop fort. Et puis nous, les enfants, on s'ennuie. On reste entre nous à se regarder, et c'est plus gênant qu'autre chose.

On atterrit. Enfin. Ma tante Aline nous attend sur le parking, avec sa fille, Sarah. Celle-ci a quinze ans, c'est la fameuse cousine dont ma mère parlait l'autre jour. Ils disent tous qu'on s'entend super bien, elle et moi, mais je ne sais pas d'où leur vient cette idée. Aline est le profil type de la gosse pourri-gâtée un peu pétasse. Elle a les yeux bleus et se teint les cheveux en jaune poussin, parce qu'elle dit que les garçons préfèrent les blondes. Elle porte toujours des trucs trop petits pour elle qui collent à son corps. Franchement, je ne vois pas l'intérêt derrière tout le mal qu'elle s'inflige pour être comme ça.

Je pense à Bing, encore et encore. Je n'arrive pas à me le sortir de la tête...

Sarah me fait un large sourire Colgate, avec ses dents toutes parfaitement alignées. On lui a retiré ses bagues. Je l'ignore royalement.

Nous grimpons dans la voiture d'Aline. Elle discute avec ma mère à l'avant, elles parlent trop fort, ça me casse les oreilles. Je porte mon attention sur la fenêtre. J'entends la respiration sifflante de Sarah à côté de moi. Elle ne dit rien, et moi non plus. C'est très bien comme ça.

•••

— Leonore, ma toute petite !

Ma grand-mère m'écrase dans ses bras. Je souris malgré moi. Elle est tellement affectueuse...

— Qu'est-ce que tu as grandi ! Tu vas bientôt me dépasser dis donc !

Elle me dit ça à chaque fois, mais on a encore une bonne trentaine de centimètres d'écart. Je suis assez petite pour mon âge.

C'est bizarre, je me sens comme... chez moi, ici, alors que ce n'est même pas dans ce pays que j'habite. C'est peut-être parce que les gens que j'aime sont presque tous ici ; c'est aussi là que j'ai grandi.

Bien trop vite à mon goût, l'image de Bing me revient en tête, et je me sens toute triste. Est-ce qu'on sera encore amis à la rentrée ? J'espère que oui... Et s'il ne voulait plus me voir ? Je ne devrais pas penser à ça, ça va plomber mon humeur.

Quelqu'un me donne un coup dans l'épaule : c'est Sarah.

— Viens. Je t'aime pas et toi non plus, mais on fait avec. Je ne compte pas poireauter dans mon coin à attendre que le temps passe.

Alors je la suis dans sa chambre, et elle prend un jeu de l'oie qu'elle pose sur son lit. Je m'assieds en tailleur d'un côté, elle de l'autre, et on joue en silence. Je m'ennuie. Bing me manque. Ce silence-là est pesant, inconfortable, pas comme celui qu'il y a entre lui et moi.

— C'est à toi.

— Ah, pardon.

Je bouge mon pion et tombe sur la prison. Elle ricane bêtement. Non, définitivement, je ne l'aime pas.

•••

Les invités défilent. Il n'y a jamais eu autant de monde. En même temps, ce n'est pas tous les jours qu'on fête ses soixante ans. Ils s'extasient tous en disant que j'ai grandi. D'où vient cette manie qu'ont les adultes de ne se préoccuper que du physique ? Pourquoi ils ne disent pas plutôt « wouah, tu as mûri » au lieu de « wouah, tu es grande maintenant » ? Un oncle qui frôle les deux mètres me tapote la tête en disant que jamais je ne le dépasserai.

— Hé, mais tu devrais parler super bien anglais, maintenant ! s'écrie ma tante Aline.

— Pas vraiment...

— Ça fait des mois que tu es là-bas, je suis sûre que si. Dis quelque chose !

J'ai envie de disparaître. Je m'excuse rapidement, et je file dans ma chambre. Je m'écroule sur mon lit.

Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
Bing me manque.
BING ME MANQUE.

Je me retourne sur mon lit et fixe le plafond. Un moustique vient bourdonner à mon oreille ; je me redresse accroupie, le repère posé contre un mur et l'écrase du plat de la main. Les moustiques sont la pire espèce au monde. Ils ne servent à rien. Je les déteste.

Que fait Bing é cet instant précis ? Il a dit qu'il allait chez sa mère la première semaine des vacances. Sont-ils restés à Los Angeles, ou est-ce qu'ils sont partis ? Il est midi à L.A., est-il en train de déjeuner ? Non, sans doute pas si tôt. Est-il avec quelqu'un d'autre ? Avec un ami ? Est-il ami avec d'autres personnes que moi, d'ailleurs ? Sans doute, oui, dans son ancienne école. Il faudra que je lui demande pourquoi il est venu dans la mienne.

Je plante mes écouteurs dans mes oreilles et mets de la musique. J'écoute Exogenesis. Je me demande si, quand il chante, Bing a la même voix que son père. Ça serait fabuleux.

Beurk, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant