12 - Disney

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J'arrive à l'école le sourire au lèvres, le lendemain. J'aime bien quand, le matin, je vois les coins de sa bouche se retrousser quand il me voit. Je me sens importante à ses yeux, et ça me fait du bien.

Hier, Cameron était à la maison. Je l'ai ignoré comme je sais si bien le faire pendant tout le dîner, mais maman a insisté pour qu'on regarde un film tous ensemble après. Comme une vraie famille unie, elle a dit. Elle me donne envie de vomir. D'habitude, quand il est là, je grimpe dans ma chambre direct après avoir débarrassé, pour ne pas avoir à me trouver dans la même pièce que lui plus longtemps que nécessaire.

On s'est donc installés devant un Disney, parce que l'autre imbécile a décrété que c'était la seule chose que les enfants comme moi avaient le droit de regarder. Je me suis retenue de lever les yeux au ciel. Il suffit de l'écouter une minute pour se rendre compte qu'il n'a rien dans le caillou. Comment maman a-t-elle pu tomber amoureuse de lui ? Et il est si froid avec elle, tout le temps... Je me demande comment elle fait pour croire encore qu'il l'aime. Elle frôle le ridicule. Mais je ne dis rien, parce qu'elle m'a déjà expliqué que ce sont des histoires d'adultes que je ne peux pas comprendre.

Je me suis mise tout à droite du canapé, maman au milieu, et Cam de l'autre côté. Ma mère a posé la tête sur son épaule et s'est calée tout contre lui. Parfois, pendant le film, ils se faisaient des bisous, et j'entendais des « smoutch » dégoûtants qui couvraient même le son de la télé.

Ç'a été long, d'attendre la fin du Disney. J'en avais marre au bout de seulement cinq minutes, alors je m'étais mise à penser à Bing. C'était le soir où il devait aller au concert de son papa, j'espérais qu'il s'amusait. Je regrettais finalement de ne pas y être allée avec lui, j'aurais pu passer un bon moment avec lui, en dehors de l'école, et on aurait été relativement seuls : certes, il y aurait eu des milliers de personnes autour de nous, mais aucune n'aurait fait attention à deux petits enfants comme nous.

— Leo ?

Il me ramène à la réalité de sa voix douce. Il me tend son cahier. On a déjà rempli plein de pages. Quand il sera entièrement recouvert de nos deux écritures, je le garderai précieusement, et, parfois, je relirai nos conversations silencieuse, et je sourirai en me souvenant de ces moments.

« Je peux te prendre la main...? »

Je sens la timidité dans cette phrase, même si ce n'est au final que de l'encre sur du papier. Il me regarde, un peu anxieux. Je souris pour le rassurer, et je glisse ma main dans la sienne, sans réfléchir. Je sais que si je me mets à penser, je ne le ferai jamais. Je ne m'attendais pas à ça : tous mes nerfs s'électrifient, et je sens chaque millimètre carré de ma peau en contact avec la sienne. On échange un regard lourd de sous-entendus. Il ressent la même chose que moi. Je sens son pouce bouger doucement, et il me caresse le dos de la main. Je reste figée, croisant les doigts pour que cet instant dure toute l'éternité. Mais ce n'est pas possible.

Il cesse de me caresser la peau, me tient plus fermement, et nous nous mettons à marcher. Je sens des regards posés sur nos mains, mais je ne m'en occupe pas. Je me fiche de ce qu'ils pensent. Je suis plus heureuse que jamais quand je touche Bing, alors je n'arrêterai surtout pas à cause d'eux.

— Comment était le concert ? demandé-je soudain.

Je parle en français, mais je m'en fiche, je suis sur un petit nuage, trop haut pour réfléchir à traduire ce que je veux dire. Il semble revenir sur terre au moment où je parle.

— Bien.

Il arrive quand même à me parler en français, alors que j'ai ma main dans la sienne ?! Décidément, il est trop fort.

— Mes oncles étaient en pleine forme, et mon papa aussi. Je les ai vus me chercher des yeux, mais il y avait trop de monde. Elle m'avait emmené, mais elle avait dû rentrer, parce qu'elle n'avait pas trouvé de nounou pour Lovella.

Je hoche la tête. Je crois que je ne peux même plus parler, que ce soit en anglais ou en français : il s'est remis à effleurer ma peau, de la base du majeur au poignet. Tous mes sens sont dirigés vers cette zone. Je panique soudain : veut-il que moi aussi, je lui caresse la main comme ça ? Je bouge mon pouce lentement, j'ai l'impression de faire ça mal et d'être très maladroite. Il ferme les yeux et sourit, comme si c'était super agréable. Après tout, peut-être que ça l'est, et que je ne suis pas si nulle.

— Je t'aime, dit-il.

— Je t'aime aussi, réponds-je.

Il me lâche la main en bredouillant que ses paumes sont moites. La réalité revient dès que le charme se brise. Je suis à nouveau dans la cour de l'école, et tous les gens de notre classe ont les yeux braqués sur nous. Je me sens mal à l'aise tout à coup. Personne ne dit un mot, et c'est tant mieux. J'ai beau n'en avoir rien à faire, je me demande quand même ce qu'ils pensent.

Je reste sur mon nuage le reste de la journée, jusqu'à ce que je rentre, et que je voie Cam à la maison.

Beurk, l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant