Chapitre 22

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     Je me suis arrangé cette semaine pour pouvoir emmener Thong avec moi à Chiang mai. En fait, ça a consisté principalement en deux choses : acheter un deuxième billet d'avion et prévenir le lounge bar-hôtel que j'aurai un invité dans ma chambre... Ils me verront avec Thong... tant pis ! Pour l'avion c'est Steve qui va être déçu. D'habitude on voyage toujours côte à côte, à se raconter nos vies et nos expériences alambiquées... Mais Thong n'a jamais pris l'avion et là en première classe... j'ai envie de partager ce moment avec lui. Steve est surpris, mais ne dit rien. C'est moi qui ai changé de siège sur la réservation pour me mettre à l'abri de ses regards indiscrets.

     Je pensais que Thong allait être euphorique à l'aéroport, pas du tout. Au contraire. Il est calme, trop calme. Il se tient droit, regarde partout avec des yeux impressionnés, la main crispée sur la bretelle de son sac à dos.

     « T'en fais pas Thong, ça va bien se passer... »

     Dans l'avion, une fois installé, je n'hésite pas à poser ma main sur sa cuisse pour le rassurer de ma présence. Il m'adresse un sourire gêné, pose doucement sa main sur la mienne.

     A l'hôtel on s'installe confortablement. Il ose à peine parcourir la vaste chambre. Je le sens tendu, replié sur lui-même. Sa silhouette gracile, son teint basané contrastent avec les meubles massifs, modernes et blancs des lieux. La salle de bain brille de tous côtés. Lui se tient là, visiblement absorbé par ses pensées.

     « Ça te plait ? Tu es content ? Je lui demande, avide de ses impressions.

     - Oui... »

     C'est un petit oui.

     « Ah ? Tu n'aimes pas ? Je réponds, étonné.

     - Oh si Mike ! C'est très beau ! Mais... on a besoin de tout ça ? C'est beaucoup non ? En plus t'es pas tout à côté de ton travail... faut la voiture.

     - Oui mais c'est pas grave ça...

     - Il y a autres hôtels plus près !

     - Oui mais ils ne sont pas aussi beau !

     - Oui... T'es triste si t'as pas tout ça ? Me demande-t-il, préoccupé.

     - Pourquoi tu voudrais que je ne l'ai pas ? Je suis riche, il faut bien que ça serve à quelque chose !

     - Oui ! »

     Il se serre dans mes bras. Je crois que je l'aime...

     La semaine se passe et toutes les fins d'après-midi nous partons en vadrouille avec ThongDaeng. Le matin je lui donne un peu d'argent pour qu'il s'achète ce qui lui fait plaisir, et je le rejoins à l'hôtel avant de repartir en visite.

     C'est fou ce que Chiang mai compte de temples ! A chaque fois que nous en visitons un, ThongDaeng insiste pour leur déposer des offrandes qu'il paie cher, quand il ne dépose pas l'argent directement. Certaines fois, plus de la moitié de ce que je lui donne le matin y passe. Personnellement, avec ma mentalité et mes habitudes d'occidental, je ne comprends pas pourquoi il fait ça. Mais lui se tient là, mains jointes et visage serein, les yeux fermés, à formuler des prières que je ne saisis pas non plus. On dirait un sage, un ange... Quand je pense à la vie qu'il doit avoir, ça me fend le cœur. Il y a bien quelque chose que je puisse faire pour l'aider ? Mais avant cela,

     Aujourd'hui, un évènement m'en a donné l'opportunité.

     Nous voulions voir les éléphants, activité touristique phare en Thaïlande. Mais alors que nous nous approchions d'un magnifique animal, Thong s'est figé.

     « Non, m'a-t-il dit, pas ici.

     - Pourquoi dont ? Lui ai-je alors demandé, incrédule.

     - Parce que... regarde, ce qu'il a dans sa main... » A-t-il poursuivi d'un air plus que méfiant.

     Je me suis tourné vers l'éléphant. Son cornac, à califourchon juste devant ses épaules, tenait une perche dans une main. Au bout de cette perche, se trouvait un immense crochet.

     « Tu vois ça au bout ? Poursuit Thong, il frappe l'éléphant avec... Regarde sa bouche, ses oreilles et ses yeux, regarde où il frappe. »

    J'ai regardé l'imposant animal. Je le trouvais beau et majestueux, à première vue. Mais je me suis exécuté et ai regardé plus attentivement. Alors me sont apparu des marques, des écorchures, parfois même des trous. Sa belle figure en était gravée, sur le front, au-dessus des yeux, à la naissance et à l'extrémité des oreilles, aux commissures des lèvres... sa tête en était en fait bardée.

     « Mais c'est horrible ! Me suis-je alors exclamé.

     - Oui... il frappe pour qu'il obéi, me dit-il, me donnant l'impression qu'il ne parle pas que de l'éléphant. Je veux pas aller ici...

     - Moi non plus, partons. »

     J'ai alors consulté sur mon téléphone les endroits fiables où approcher les éléphants à Chiang mai. Grâce à cela nous avons pu passer une bonne après-midi et ThongDaeng en a eu l'air rassuré. Mais tout au long de la visite, je l'ai trouvé distant, comme dans ces moments où il semble hanté par des pensées, des souvenirs...

     Ce soir à la chambre, je ne peux m'empêcher de m'interroger... Depuis qu'on est ici, à Chiang mai, il n'est pas détendu. Où est passé le petit Thong toujours de bonne humeur, drôle et plein de vie qui me séduisait tant ? Pourquoi toutes ses prières dans chaque temple que l'on croisait ? Et cette après midi avec les éléphants... Il paraissait si triste, anxieux et... ailleurs, toujours ailleurs. Comme si un mal-être le rongeait obstinément et qu'il ne pouvait m'en parler.

     Je veux connaître sa vie, je veux savoir.

     Mais comment aborder le sujet sans qu'il se ferme ?

     « Thong... Je voulais savoir... comment... qu'est-ce que tu as pensé de la visite aux éléphants ?

     - Oh très bien Mike ! Merci ! Jamais je fais ça tu sais...

     - Oui mais... je t'ai trouvé un peu... un peu triste. Tu n'avais pas l'air aussi joyeux que d'habitude. Tu as le droit de ne pas être toujours content ! Ne crois pas que je dise l'inverse ! Mais... tu penses à autre chose... tu es inquiet... que se passe-t-il Thong ? Je voudrais t'aider... »

     Il se tient debout devant moi qui suis assis sur le lit. Je le regarde en face mais lui baisse les yeux. J'ai vu juste, l'inquiétude se lit sur son visage.


Or rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant