Chapitre IX

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Le froid qui courait les rues n'avait pas empêché la chaleur de la veillée de noël de réchauffer les foyers. Pour la première fois depuis des années, la magie avait opéré et chacun s'était octroyé le droit de célébrer la fête chrétienne comme il se devait. Même si les commerces retrouvaient tout juste leur stock et leur clientèle, sur toutes les tables une dinde avait été cuisinée et au pied du sapin une horde de cadeaux avait été déposée.

Mary Margaret et Ruby avaient cotisé leurs maigres salaires pour offrir à Emma les nouveaux pigments italiens dont elle n'avait cessé de vanter l'efficacité. Sous le coup de l'émotion, la jeune peintre s'était mise à pleurer ne sachant pas comment les remercier. Encore une fois, Santa avait opéré. Au 108 Mifflin Street, le foyer crépitait alors que Regina, assise sur le canapé tenait devant elle une immense toile emballée dans du papier kraft. Jusqu'au dernier moment, elle s'était dit que son mari avait dû très certainement l'acquérir lors d'une rare exposition ou lors d'une vente aux enchères. Elle connaissait si bien son mari qu'il n'était pas rare qu'à Noël elle reçoive l'une des nombreuses toiles tant convoitées du siècle, ce n'était plus ni une surprise, ni un cadeau. Cependant, au fur et à mesure qu'elle défaisait le papier, le maire fut subjuguée de découvrir son double. Sa propre image peinte et colorée. En laissant son regard caresser la toile, elle découvrit la signature de l'artiste calligraphiée soigneusement dans son coin inférieur gauche.

Swan.

Le "S" calligraphié avec fantaisie dans une spirale fine et maîtrisée. 

Un instant Regina s'était demandée s'il ne s'agissait pas d'un présent de la jeune artiste elle-même. Cette idée lui plaisait bien de se dire que c'était certainement une façon bien inattendue à la « Emma Swan » de la remercier d'avoir posé en lui offrant sa propre toile qui méritait plus d'être accrochée que d'être dissimulée au fond d'un sordide atelier. Sans même s'en rendre compte, un délicat et timide sourire avait bravé les lèvres colorées de Regina, une esquive douce et incertaine qui n'avait pas échappé à son mari.

— Elle te plaît ? Demanda Leopold avec émotion.

Immédiatement, Regina retira son index qu'elle avait fait glisser sur la signature comme si elle avait été prise en faute. Toutes les images de ces fins de journées passées dans l'antre tamisée de l'atelier s'évaporèrent. Le bruit de la pluie contre la verrière et du crépitement des bûches dans le foyer ne semblaient plus être que le brouhaha d'un songe lointain presque effacé. Regina dût malheureusement se rendre à l'évidence qu'il n'en était rien de ce qu'elle s'était imaginée. Et tout le charme de son espoir s'était envolé. Son mari avait très certainement dû passer commande auprès de la jeune blonde en échange d'une généreuse rémunération – connaissant Leopold, il n'avait pas dû lésiné – qu'elle n'avait pu refuser. Son cœur s'était pincé douloureusement comme broyé par une poigne de fer contre laquelle elle ne pouvait lutter. Regina était autant déconcertée par son idiot de mari qui continuait de penser que lui offrir des tableaux contribuerait à rabibocher leur couple, que par Emma. Comment avait-elle pu penser un seul instant qu'elle l'avait repérée parmi tant d'autres ? De voir en elle un potentiel qu'elle n'avait peut-être pas finalement ? Pouvait-elle réellement lui faire confiance et prendre ses derniers mots prononcés à l'atelier pour argent comptant ou simplement se rendre à l'évidence que sa beauté n'atteignait pas celle espérée ?

— Oui, je te remercie. Cette... gamine a beaucoup de talent. S'était-elle empressée d'ajouter pour ne rien montrer du trouble qui la gagnait progressivement.

Regina s'était levée pour venir déposer un baiser furtif sur la joue ridée de son mari, abandonnant la toile contre le canapé.  Elle était allée se poster devant la cheminée ses bras encerclant son buste, timide étreinte pour tenter de réconforter le peu d'espoirs qu'elle avait porté. Ses iris tristes s'étaient plongées dans les flammes qui dansaient dans le foyer, son esprit était reparti divaguer dans cet entrepôt sombre où maintes fois elle était d'abord venue se réchauffer avant de poser. Elle sentait la chaleur dévorer son cœur abîmé, réconforter cette pensée que cette année encore elle ne verrait pas sa vie changer. Son cadeau le plus cher aurait été d'être aimée et aimer en retour.

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