Chapitre XIII

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Mary Margaret était incontestablement l'être le plus remarquable qu'il lui avait été amenée de rencontrer. La colère avait déformé le visage d'Emma et malgré toutes ses tentatives pour esquiver son amie, Mary Margaret était finalement parvenue à la ramener à la raison de sa voix douce et maternelle.

— À te voir tourner comme un lion en cage, tu me donnes le tournis. S'il te plaît Emma, assieds-toi.

Il lui en avait fallu du temps ensuite à Emma pour déglutir, trouver les mots justes avant de se lancer. Tout compte fait, Mary Margaret s'était montrée plus ouverte d'esprit que son air farouche ne le laissait prétendre.  Elle sût tout : le mal-être que la blonde avait toujours ressenti face à elle-même, l'impression constante de ne pas tourner ronds, de ne pas être une femme conforme à ce qu'on attendait d'elle. D'être un électron libre traqué et pointé du doigt par une époque régie par le patriarcat. Mary Margaret avait froncé les sourcils, incertaine de réellement comprendre où Emma voulait en venir, alors, Swan avait continué sans lui laisser le temps de la questionner.

— Dès lors que j'ai compris qui j'étais, un monde s'est ouvert à moi. J'ai fait la rencontre de d'autres personnes comme moi, hommes, femmes, androgynes, femme née dans un corps d'homme et inversement. Et c'est là que leur combat est devenu le mien, avec eux, j'ai lutté pour ne pas voir certains de mes amis se faire arrêter, violenter, violer... (Emma marqua une pause, retenant sa respiration) Tuer.

Emma parla encore longuement des nuits qu'elle passait à se cacher pour rejoindre ses amis dans un café clandestin, des traques à leur sortie au petit matin, des tentatives de manifester au risque de voir encore plus leur effectif se réduire et de tout un tas d'autres choses invraisemblables pour une enseignante d'une petite bourgade perdue.

— Un jour, je suis dit que je pouvais peut-être utiliser les voies de l'art et peut-être permettre aux femmes de s'exprimer, quelque soit leur sexualité, leurs fonctions, leurs classes ou leurs âges. J'ai vu autant de femmes battues par leurs maris que de femmes pleines d'assurances ou détruites. J'avais besoin de me sentir utile en faisant ce que je savais faire de mieux.

L'échine d'Emma frémit, transie par le froid. Elle se leva et alla fourrer trois bûches dans le foyer avant d'y jeter une allumette en veillant bien à voir la flamme jaillir et la réchauffer. Elle ajusta le morceau de toile qui n'avait pas brûlé pour nourrir le brasier. Inconsciemment, elles en profitèrent pour souffler, reprendre l'oxygène que le récit d'Emma leur avait coupé. Emma adressa un sourire avant que son visage ne s'assombrisse à nouveau.

— Puis c'est là que je l'ai rencontrée.

Son regard vert suivait la volute de fumée qui s'échappait de sa tasse dans un nouveau silence, sa jambe tremblait annonçant la suite d'une histoire toujours plus tragique. Subitement, Emma se releva et alla fouiner dans le tas de toiles que Regina avait découvert avant le premier incident pyrotechnique.

— Lilith était la compagne d'un homme d'affaires à Boston, reprit Emma en tendant l'œuvre sélectionnée à son amie. Elle était comme moi, du système. Pas de famille, pas spécialement d'amis, baladée de foyer en foyer, de petits jobs en petits jobs. Je la voyais de temps en temps au café. Elle était si désespérée qu'elle s'était mise à faire le trottoir lorsqu'il l'a sauvée. Elle était belle, une jeune femme magnifique, fraîche, sulfureuse, un brin têtue et déterminée qui volait parfois juste pour arrondir les fins de mois. Un jour, elle est venue frapper à mon atelier, un coquard au visage et plusieurs voies lactées gravées sur le corps. C'est là que j'ai compris.

Nouvelle pause. Son cœur palpitait, l'étau dans sa gorge s'était resserré. Déglutir était devenu une épreuve, sa voix était devenue rauque, un râle de l'intérieur que pour la première fois depuis de longs, très longs mois, elle laissait échapper.

La Couleur des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant