Chapitre VIII

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Noël était à la limite de Storybrook, prêt à la transgresser. L'hiver se resserrait tandis que les trottoirs subissaient de nouveaux assauts enneigés. Le marché de noël se profilait et s'étalait jusqu'en début de soirée, éclairé de guirlandes toutes aussi festives et colorées les unes que les autres. Quelques habitants vagabondaient déjà dans les allées dès la déclinaison de la fin de journée. Loin du brouhaha qui clairsemait l'épicentre de la bourgade, Emma releva son regard sur le corps de Regina pour administrer les derniers coups de pinceaux sur le tableau. Sur les deux séances qui avaient suivis le fâcheux incident, elles n'avaient plus évoqué que quelques banalités et cordialités. Les heures s'étaient faites plus longues pour l'une comme pour l'autre, le froid épuisait Emma tandis que la multitude de dossiers pour terminer de préparer le marché avait fatigué Regina.

Les crépitements des bûches accompagnaient les coups de pinceaux qui s'accrochaient au grain de la toile. Dans un silence presque religieux, Regina conservait ses iris sombres fixées sur la tête blonde qui se redressait parfois pour la regarder. Elle s'était étrangement fait à ce jeu de poser, y trouvait une certaine satisfaction d'être au sujet de l'attention, étudiée. Elle redoutait de retomber dans la routine qui la guettait depuis qu'elle s'était rendue compte qu'il s'agissait de leur dernière soirée. Dire qu'elle s'était prise d'affection pour la jeune Emma Swan serait exagéré, mais quelque chose chez elle l'intriguait. Ce côté mystérieux auquel la blonde semblait tenir et entretenir. Elle aimait échanger avec elle à propos de l'art, trouvait rare qu'à cet âge si peu avancé, l'on pouvait déjà s'y intéresser. N'en demeurait pas moins ces questions qui n'avaient cessé de la tarauder depuis qu'elle avait découvert les travaux de la jeune peintre. Les corps nus l'avaient troublée de par leurs vraisemblances mais aussi par leurs beautés, d'où venait ce talent de savoir ainsi aussi bien exprimer les voluptés féminines ?

— Pourquoi la nudité ?

Emma sembla tout à coup déstabilisée par cette curiosité à laquelle elle ne s'était pas préparée. Elle avait pensé qu'en deux jours Regina Mills aurait abandonné l'idée mais visiblement elle s'était trompée. Prête à en découdre et à obtenir la vérité, le regard perçant de la brune ne l'avait pas lâchée, Emma pouvait le sentir la transpercer même à travers la toile qui faisait bouclier et les séparait. Si elle voulait pouvoir terminer son travail dans de bonnes conditions, elle n'avait pas le choix que de céder et de se confier. Elle savait que les King-Mills étaient suffisamment bien entourés pour entreprendre des recherches sur elle qui ne seraient pas si difficile que ça à trouver. C'était d'ailleurs étonnant que Leopold ne s'y soit pas encore attelé et exhumé aux yeux de tous son passé. Le soupir qu'elle poussa ne dissimulait pas son agacement, résignée, la jeune blondinette finit par ancrer ses émeraudes assombries dans les prunelles de Regina. Un soudain frisson les traversa.

— Notre monde actuel à tendance à convoiter le corps féminin, à faire de nous les esclaves de ces messieurs sans avoir la moindre chance d'être écoutée. Je veux qu'à travers mon travail, les modèles reprennent confiance en elles et redeviennent maîtresses d'elles-mêmes. Je veux qu'elles aient conscience de leur beauté, de leur féminité et leur faire oublier à quel point nous sommes toutes utilisées. La gent féminine mérite d'être reconnue et entendue. Elle se doit de continuer à s'élever et à crier pour enfin espérer voir les états d'esprit changer. (Emma s'était remise à travailler comme pour masquer le trouble qui la traversait.) Elles ont tellement de potentiel à exploiter.

Emma passa sous silence sa volonté d'exprimer la liberté d'aimer, d'éprouver ce qui à cette époque était réfuté : sa passion naissante pour la féminité. Les mœurs légères que l'on tentait d'enterrer pour espérer faire croire que tout cela n'existait pas. Combien étaient mort.es avec pour seul crime d'avoir aimé ? Combien s'étaient faits violentés ? Tabassés ? Insultés ? Violés ? Toutes ces horreurs qui se produisaient dans l'ombre mais que les médias ne pointaient pas du doigt. Emma en avait été révoltée lorsqu'elle avait dû faire face au scandale Lilith, personne n'avait été là pour l'aider. Depuis, elle luttait à sa façon pour exprimer son opinion.

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