Chapitre VI

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Regina n'arriva à l'atelier qu'aux alentours de dix-neuf heures passées, au plus grand soulagement d'Emma qui ne l'attendait plus. La livraison du Chesterfield quelques heures plus tôt n'avait pas été une mince affaire, elle avait prêté main forte au livreur et n'avait pas été déçue de constater que le fauteuil pesait bel et bien son poids. En ne voyant pas la brune arriver, la jeune femme s'était rongée les sangs, la peur au ventre d'avoir investi dans un objet hors de prix pour rien. Le menton haut, un air nonchalant perceptible sur toute sa personne, Regina était entrée sans même y avoir été au préalable conviée.

— J'ai été retenue à la dernière minute à la mairie, dit-elle simplement après avoir posé son manteau sur la patère prévue à cet effet.

Emma leva les yeux au ciel alors qu'elle refermait la porte. Il ne fallait pas être dupe pour comprendre que le maire avait probablement eu un rendez-vous improvisé de cinq à sept avec le shérif Graham, lui faisant totalement oublier la notion du temps qui lui, avait continué de s'écouler. Pour Emma, le principal était que la brune soit venue, le reste elle n'en avait passablement rien à faire.

La blondinette surprit Regina à examiner et tourner autour du Chesterfield avec stupéfaction et admiration. Elle dut reconnaître que la jeune artiste en herbe ne s'était pas moquée d'elle, il était encore en très bon état d'origine, majestueux. Le sommier et le matelas avaient été ramassés et posés le long d'un mur au fond de l'atelier. Emma avait installé un beau tapis persan et placé le fauteuil au centre de l'immense pièce. La cheminée sur le pan de mur à droite du bahut allumée diffusait une atmosphère chaleureuse et la berçait dans un doux halo de lumière. L'atelier était complètement tamisé, une allure presque trop intimiste. Contrairement à la veille, une fois délicieusement assise, Regina fut plus amplement à l'aise et tout de suite se laissait mouler dans le cuir moelleux du fauteuil.

— Ce fauteuil est parfait, vous voyez quand vous voulez. Souligna Regina en malaxant les accoudoirs sous ses doigts.

Emma ne répondit pas et vint seulement se placer à quelques mètres d'elle avec son matériel. Elle avait sorti son chevalet et l'avait positionné à côté du tabouret sur lequel elle s'asseyait carnet en main.

— Je vous promets qu'après quelques autres séances, je pourrais enfin commencer à réaliser mon travail... je n'aurais plus qu'à choisir l'angle qui me parait le plus vous mettre en valeur. Je vous en prie... installez-vous...

Regina fronça les sourcils mal à l'aise de recevoir des ordres, habituellement c'était elle qui les donnait. La position de soumission dans laquelle elle se trouvait l'excédait. Pourquoi avait-elle accepté de poser ?! Tout en essayant de ne pas se laisser intimider par le regard professionnel d'Emma, Regina essaya plusieurs positions avant de finalement en trouver une qu'elle pourrait maintenir sans trop souffrir. Légèrement de biais, elle avait croisé ses jambes dénudées et avait légèrement cambré son dos. Un bras s'était allongé sur un accoudoir et l'autre main s'était plongée dans ses cheveux. Son regard fixe et déroutant glaça Emma qui eut un frisson. Elle resta quelques secondes figée comme si soudainement le maire c'était transformé en celui de Méduse. Aussi hypnotisant que terrifiant. Jamais elle n'avait vu pareil beauté dans de simples iris, une profondeur sans fin dans laquelle elle semblait être tombée. Décontenancée et rappeler à l'ordre par la brune, Emma se massa la nuque avant de tracer les premiers traits silencieusement.

Les croquis de la brune furent si longs qu'il fut intenable pour Regina de passer une heure voire plus tous les jours dans le silence du crépitement du feu sans bouger ni parler. Si elle était amenée à « travailler » avec cette idiote d'Emma Swan, autant faire en sorte que cela soit un minimum agréable pour toutes les deux. Le maire se rendait compte qu'elle ne connaissait rien de cette jeune artiste arrivée de nulle part quelques mois en arrière. Elle la méprisait comme elle méprisait chaque habitant de la petite bourgade mais en y repensant bien, elle n'avait jamais fait attention à la blonde ni à ce qu'elle était venue faire à Storybrook. Il fallait vraiment s'être perdue pour venir s'enterrer ici, le rêve de Regina depuis toujours était justement de s'en aller. Cela l'étonnait de voir Emma rester.

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