Chapitre XI

595 62 12
                                    

La révélation de Regina avait lancé un froid dans l'atelier où le silence avait laissé place aux gazouillis des oiseaux. Emma en était encore sonnée et s'estimait heureuse d'avoir trouvé judicieux de s'asseoir. En réalité, elle s'était demandée comment le maire, la terreur de la ville, la femme des pleins pouvoirs avait prit cette soudaine déclaration à laquelle personne ne s'était attendu. Il s'avérait que finalement ni l'une ni l'autre n'avait encaissé ce désir soudain de la part de l'ancien Sénateur de vouloir enfanter sa femme. Et que de tous les convives présents ce soir-là, la brune en avait été la plus bouleversée. À bien y réfléchir, il semblait à Emma avoir vu l'effroyable Cora Mills jubiler dans son coin, une coupe à la main.

En dépit de l'aide qu'Emma était prête à lui donner, la jeune femme aurait voulu trouver les mots justes pour soutenir Regina, lui redonner ce courage qu'elle arborait chaque jour mais qui ce matin, semblait l'avoir abandonné. Si elles avaient été plus proches, certainement qu'elle aurait entrepris de poser une main sur son bras, son épaule ou qu'importe, juste un peu de chaleur humaine pour la réconforter, mais elle n'en fit rien, elle savait ce geste déplacé. Pour un peu que Regina ait deviné quelle aventure elle avait partagé avec l'inconnue qui venait de quitter l'atelier, l'approcher aurait été inapproprié. Peut-être aussi que la culpabilité qu'elle ressentait d'aimer les femmes l'empêchait de les approcher par respect et par peur d'être elle-même rejetée alors qu'au fond, elle voulait juste montrer son soutien à une femme que sa vie sentimentale s'amusait à désarmer.

Le silence lui devenait infernal à supporter. Elle n'en pouvait plus d'entendre et de subir en simultané la voix insupportable de son mari et le regard d'une Emma impuissante bouche-bée. En se ressaisissant un instant, Regina comprit qu'être venue se réfugier à l'atelier n'avait peut-être pas été la meilleure idée. Elle n'avait pas d'autre amie à qui se confier, parler de ce tourment qui s'avérait être un cauchemar dans la vie merdique qu'elle s'évertuait à mener ; aujourd'hui et ce depuis sa première élection, tout le monde la détestait et ce n'était pas demain la veille que cela changerait. Dans cet atelier, elle s'était progressivement sentie en sécurité au fur et à mesure de ces premières séances en tant que modèle. Elle s'était sentie à des années lumières de toutes ces personnes qui s'efforçaient à tout décider sans ne jamais lui demander ce qu'elle en pensait. Si elle voulait vraiment tout ce qu'on lui imposait. Elle s'était laissée embrigadée par ces voix interminables qui lévitaient autour d'elle et si jusque là elle ne s'était jamais rebellée, aujourd'hui plus que tout elle voulait retrouver sa liberté et tout envoyer valser. Montrer à Cora comme à Leopold qu'elle pouvait se débrouiller.

Regina brisa le contact visuel pour essuyer du bout de ces doigts l'émotion qui l'avait traversée, elle prit ensuite une longue inspiration, paupières fermées. Emma ne chercha pas à la bousculer d'avantage alors elle attendit sagement assise que les deux prunelles brunes daignent retrouver l'éclat chaleureux de ses émeraudes. Quand enfin les paupières de la brune se rouvrirent, c'était comme si la femme invulnérable avait reprit le dessus sur l'épouse dévastée. Sa posture avait retrouvé de sa prestance et de sa droiture, toujours aussi intimidante et séduisante. Le menton haut, les pupilles perçantes. Elle arborait un léger sourire crispé que la douleur enfouie tentait encore d'exprimer.

— Je vous dérange, vous étiez peut-être en train de travailler ?

Regina était revenue à elle-même, les deux pieds sur terre solidement ancrés au sol de l'atelier. En tournant la tête autour d'elle, elle ne vit ni toiles, ni pinceaux ce qui lui fit reconsidérer sa question un peu présomptueuse et naïve au goût d'Emma qui blêmissait sur son tabouret. Son teint diaphane avait prit une teinte d'avantage écarlate, sa main grattant nerveusement son crâne.

— Je... mh oui, c'est exact. Mentit Emma. Je donnais un... un cours particulier. Vous vous doutez bien que ça ne paie pas de mine d'être artiste, alors il m'arrive parfois de donner des... des cours comme ça, vous voyez. En complément.

La Couleur des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant