Chapitre I

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Il n'était pas rare de voir les habitants de la vieille bourgade s'amonceler dans le café-restaurant vintage du Granny's lors des jours d'intempéries. Les Alliés avaient libéré Paris en 1944, le suicide d'Hitler avait été annoncé le 30 avril 1945. Depuis, le monde tentait à nouveau de se remettre à tourner et, à ce jour, chacun essayait de préparer Noël comme il le pouvait.

Emma Swan s'était installée dans l'un des boxes du café pour griffonner, les lunettes négligemment posées sur le nez. Le délicieux parfum de cacao fumant à ses côtés accompagnait sa créativité et la chaleur de la porcelaine réchauffait parfois ses mains frêles gelées par le froid. Sur sa page, de multiples visages avaient pris formes ; parmi eux, on pouvait largement reconnaître la bouille de son amie Mary Margaret en plein tête à tête avec son petit-ami David, le visage carré du Shérif Humbert assit au bar avec son café, ou encore celui de la femme de tête de la ville, Regina Mills qui venait de pénétrer dans le Granny's accompagnée de son mari Leopold King.

Machinalement Emma avait tourné la page pour reproduire la posture désintéressée mais sensuelle du maire de Storybrooke qui ne paraissait pas partager l'amour fou et inconditionnel que son mari semblait lui porter. Les yeux d'Emma Swan glissaient stratégiquement sur Regina, déterminée à extraire de son modèle le plus de détails possible ; le regard noir fuyard, la cicatrice fine presque inexistante au-dessus de ses lèvres rougeoyantes, le pendentif en or massif qui ornait son buste, les boucles d'oreilles assorties, les longues jambes dissimulées avec nonchalance sous la table en bois, les mains frêles jointes et les doigts entre-croisés, les plis de son blazer bordeaux, les reflets de ses cheveux mi-longs ébènes. Un tout qui, sans le vouloir, avait captivé la créativité d'Emma Swan, toujours avide de s'emparer des traits de ces êtres singuliers qu'elle avait la chance de croiser.

– Vous avez un talent remarquable. Ma femme est aussi magnifique que dans la réalité.

Emma avait lâché son crayon sous l'effet de surprise perpétuée par la voix au-dessus de son épaule. Elle reconnut sans mal celle de Leopold King visiblement plus admiratif que contrarié devant son travail. Elle avait été si concentrée qu'elle n'avait pas vu Monsieur King se lever pour aller payer au comptoir. Emma hésitait à regarder son interlocuteur, elle rougissait et était prête à se confondre en excuses pour le mépris de la situation. Regina Mills était l'un des nombreux modèles parmi ceux qui ornaient son carnet à croquis. Une simple inspiration. De ces figures qui avaient la chance de croiser son regard pour disparaître sous son crayon.

– Allons, je ne voulais pas vous faire peur mon p'tit, avait-il souri.

Le regard grisé d'Emma trouva refuge dans celui de la serveuse Ruby Lucas qui se contenta de lui sourire pour lui transmettre son soutien. Le couple King-Mills faisait état de nombreux commérages dans la bourgade. Les bruits couraient qu'il s'agissait d'un mariage arrangé par Cora Mills, ancien maire de Storybrooke, entre sa fille et l'ancien gouverneur. Monsieur King constituait un bon parti qui, à la fois prendrait soin de veiller sur la richesse et l'image de la famille Mills, mais également de permettre à cette dernière de pouvoir conserver le pouvoir qu'elle exerçait sur la petite ville du Maine. Et, si Leopold King semblait ravi de cette union, les messes basses racontaient que Regina, malheureuse, entretenait une liaison en catimini avec le shérif Graham Humbert. Autant de rumeurs dont Emma n'avait que faire, elle s'intéressait à l'art que chacun de ses modèles dissimulaient et non à la vie et au laisser-paraître qu'ils reflétaient.

– Les fêtes de fin d'années approchent à grand pas, et ma femme s'intéresse beaucoup au milieu artistique. Je souhaiterais lui offrir un tableau dont elle serait le modèle. Bien sûr, en contrepartie je me propose d'être votre mécène et de vous versez une rente à chacune de mes commandes. Vous avez beaucoup de talent Mademoiselle euh ?

– Swan ! Emma Swan.

– Mademoiselle Swan. Il serait regrettable de ne pas vous exposez. La place de vos œuvres se trouve dans une galerie ou dans un salon raffiné. Bien sûr, il va de soit que tout cela reste entre nous, c'est une surprise. Aussi, je vous laisse le soin de vous-même prendre contact avec Regina, trouvez une excuse, quelle qu'elle soit pour la convaincre. Qu'en pensez-vous ?

La jeune artiste avait machinalement posé son regard sur Regina qui enfilait son long manteau noir et son écharpe, la mine visiblement agacée par le temps que son mari mettait à converser. Depuis son arrivée à Storybrooke quelques mois auparavant Emma avait entendu dire que Regina Mills était une femme au caractère redoutable. Sa prestance imposait un respect inégalable et son charisme la terreur tandis que son physique avait le pouvoir d'en faire chavirer plus d'un.

– Eh bien, sauf votre respect Monsieur le Gouverneur, je-... je n'ai pas l'habitude d'effectuer ce type de commande. La voix de la blonde était hésitante, peut-être même terrifiée de devoir faire affaire avec le maire.

– Allons mon p'tit, appelez-moi Monsieur King. Vous n'ignorez pas que la vie d'après guerre est difficile pour tout le monde. Par ailleurs, cela constituerait une chance incroyable pour vous de vous faire connaître et de survivre financièrement. Je-...

La porte du café claqua violemment ne manquant guère de faire tintinnabuler les clochettes et d'attirer l'intention sur elle, Regina, qui venait de sortir. Leopold soupira et offrit un sourire désolé à Emma avant de se lever de la banquette face à la sienne.

– Ma femme s'impatiente. Prenez le temps de réfléchir à ma proposition. Je compte sur vous. Belle fin de journée, Mademoiselle Swan.

Il s'en était allé rejoindre sa femme sous le froid hivernal. Emma le regarda se confondre en excuses avant de partir bras-dessus-bras-dessous avec la brune. La blonde avait soupiré puis avait fini son chocolat. Elle ignorait encore comment elle allait convaincre la femme caractérielle qu'était Regina Mills ou si elle devait se lancer dans une telle aventure. C'était à peine si Regina connaissait son existence et daignait accorder ne serait-ce que cinq minutes de son précieux temps à un quelconque habitant. Elle englobait ce genre de femme inabordable, figure emblématique inapprochable. Le spectre même qui foulait le pavé des rues sans se retourner. En clair, un challenge que la pauvre Emma ne pouvait pas relever. Elle ramassa son crayon et sa gomme puis rangea son carnet à croquis dans une petite sacoche en cuir avant de prendre la porte direction son atelier, son refuge.

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