Chapitre VII

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Plus les fêtes de fin d'année pointaient le bout de leurs nez et plus le froid s'installait sur la bourgade. Souvent lorsqu'Emma ouvrait à Regina, elle la retrouvait couverte de neige de la tête aux pieds, frigorifiée. Les bûches dans le foyer avaient redoublé depuis que le froid se faufilait entre les joints des carreaux de la verrière. Malgré les travaux et les nouveaux aménagement, l'entrepôt n'était pas aussi bien isolé qu'Emma l'aurait souhaité. Lorsque Regina entrait, elle laissait toujours derrière son passage une traînée de flocons qui fondaient une fois effondrés sur le sol. En retirant ses gants en cuir, Emma constatait ses longs doigts fins gelés et bleutés et l'invitait toujours à venir se réchauffer devant la cheminé avant de travailler. Le maire restait ainsi prostrée dix à quinze bonnes minutes chaque soir, le regard envoûté par les flammes qui dansaient devant elle. Calmement, Emma finissait de s'installer, déposant son chevalet devant le fauteuil. Quatre jours s'étaient écoulés depuis la visite de Leolpold et la jeune artiste avait enfin commencé son travail final. Le chef d'œuvre tant attendu de l'époux King-Mills.

Habituellement, une fois suffisamment réchauffée, Regina venait prendre place sur le fauteuil mais ce soir là elle profita de l'inattention d'Emma pour fouiner dans l'atelier. Elle se promenait en veillant à ne pas trébucher contre quelque matériel posé en vrac ici et là à même le sol. Parfois elle s'arrêtait devant un établis et feuilletait les carnets à croquis, ébahie, avant de les reposer et de continuer à fureter. En tournant la tête ici et là, impossible de trouver ne serait-ce qu'une seule trace des autres travaux d'Emma. Pas une seule fois la brune n'avait vu une autre toile que la sienne. Ce qui lui paraissait curieux puisqu'elle se trouvait dans un atelier de peintre. En cherchant bien, elle repéra le drap au fond de la pièce dissimulé à la fois par l'obscurité et la masse du sommier. Curieuse, Regina s'y dirigea et en soulevant le drap troué, tomba enfin sur la mine d'or tant recherchée. Une quinzaine de tableaux étaient entreposés les uns contre les autres à même le sol, apparement disposés à ce que personne ne puisse les distinguer. Elle les observa un à un, ayant tous comme sujet commun : un modèle féminin dénudée ou à demi-dénudée. Elle n'y vit aucun modèle masculin ou même habillé. Elle saisit alors l'une des toiles et la pencha vers la lumière afin de l'éclairer. La réalité du corps sensuel représenté provoqua un sentiment de gêne envers Regina qui tenait devant elle une femme allongée sur le côté, tête maintenue par son coude, les cheveux cascadants sur une épaule. Ses seins fermes étaient nus, seul un drap que le maire devina appartenir au lit était enroulé autour du bas-ventre de la divinité pour cacher sa pudeur que l'on devinait pourtant à travers la soie blanche du linge. Emma aperçu soudainement son modèle au fond de son atelier, une toile dans les mains minutieusement analysée. Elle accourut et arracha plus qu'elle ne délesta Regina de la toile pour la reposer avec les autres et la dissimuler, bien planquée dans l'obscurité. La blonde avait le souffle court et des sueurs froides perlaient le long de sa colonne vertébrale, elle tentait de contenir la panique qui venait de la gagner. Sous le regard interrogatif de Regina, elle se mit alors à bredouiller quelques mots, signifiant que tout était prêt comme pour la dissuader de parler de ce qu'elle avait bien pu voir et directement se mettre à travailler.

Emma aimait les femmes, elle l'avait comprit depuis qu'elle avait dû s'exercer à travailler les nues féminins. Elle s'était laissée charmer par l'une d'elles, Lilith, plus frivole, en quête d'une liberté d'aimer et d'émancipation de la pression masculine. Lily lui avait apprit à imprimer les vallonnements des courbes sous sa main rien que par le touché. Elle lui avait enseigné toute la douceur des voluptés pour mieux les proportionner. Elle lui avait fait goûter au plaisir pour s'imprégner des balancements du corps. Enfin, elle lui avait appris à caresser pour mieux prendre le temps de regarder et par la suite, plus détailler. Emma se souvenait encore de ces séances d'«anatomie découverte » et de la belle et envoûtante Lily qui lui avait ouvert la voie sur un chemin qu'elle n'avait jamais emprunté jusque là. Elle s'était découverte appartenir à un monde dissimulé par les codes et les vertus de la société, un monde où les femmes n'étaient perçues que comme de simple objets et rabaissées au risque même d'être salement humiliées et réprimandées. Certains pointaient la perfidie et la perversion tandis que d'autre la prônait comme unique preuve de liberté ; les femmes n'avaient pas besoin des hommes pour connaître l'orgasme. C'était un fait que l'on peinait à cette époque, à faire reconnaître. La jeune blondinette avait aussi partagé cette idée de liberté d'aimer mais avec moins de dextérité et d'extravagance ; elle aimait d'abord être appréciée pour ce qu'elle était en tant que femme et non désignée par sa potentielle sexualité. Lilith en avait fait un combat de tous les jours mais Emma avait toujours préféré ne pas en faire état. Ruby et Mary Margaret avaient tenté maintes fois de pénétrer la sphère privée de leur amie uniquement pour la taquiner – et détruire le mystère qu'Emma semblait s'amuser à entretenir – mais jamais la blonde n'avait cédé. Ce qui se passait à l'atelier restait à l'atelier. Cette règle, elle se l'était imposée après Lilith ; depuis, elle n'en avait plus jamais reparlé.

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