Chap XIV : Ce Qui Dévore Notre Amour I (1/4)

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Je suis proche du lac. Apte à entendre les créatures m'entourant, mais cela reste encore sérieusement une croyance.

En ce moment, trois sons me parviennent : une, mêlée d'un frottement et d'un engrenage mystérieux, on dirait une horloge en réaction avec deux métaux rugueux se croisant sévèrement ; le suivant, se donne la peine d'être plus comme un sifflement, prenant une sonorité stridente, tout juste au niveau de l'insupportable ; le troisième et dernier, m'interpelle aux abords du lac, une sorte de bruit de baleine terrienne surplombée de tintement à peine perceptible.

Quel genre de créature peut-il encore se distinguer dans la Toile ? C'est tout simplement attractif au point de titiller ma curiosité, toujours plus grande. Mais l'heure n'est pas aux explorations aléatoires. J'ai un e-motio en mauvais point.

Je suis toujours conduite par l'e-motio de l'attachement et de l'abnégation. À croire que ce genre de sentiment peut se retrouver dans un e-motio. Si je le pense, c'est suite à tous ces dévoreurs rencontrés.

Il s'est manifesté à moi dans le but de sauver l'e-motio de la jalousie. Et c'est à l'endroit où il se cambre que je me dépêche d'aller. J'espère ne pas arriver trop tard. Une question finit par me traverser et je me donne le ton pour avoir confirmation.

— Tu m'avais dit, lors de notre rencontre, que j'étais différente des autres... Tu as assuré que j'étais digne de confiance... Je veux savoir qu'est-ce qui t'assure toujours de cela ?
— Tu as aidé, pas moins de deux e-motios dévoreurs, à se calmer et tu as aussi un cœur ouvert à l'amour sincère et immaculé...

Je finis par m'arrêter près d'un arbre. Sans fixer l'animal, l'esprit jaugeant la distance qu'il nous reste à parcourir.

— Tu te moques de moi ? Dis-moi que t'as d'autres critères pour me faire autant confiance... Tu as vérifié dans ma caboche et tu t'es dit, bof, elle est bien moins dangereuse, à première vue, que les autres voyageurs à ces côtés...

L'e-motio passe devant moi et s'écrie.

— Écoute-moi ! Je suis un e-motio de la joie et je sais détecter cela... et quand bien même, je n'en serais point capable, tu viens d'Éris, la ville imprenable des archanges... Les personnes qui y viennent sont tellement irréprochables qu'elles sont immédiatement dignes de con...
— Ne te fie pas à ce genre de détails... on peut facilement y avoir fait deux jours et prétendre y avoir vécu...
— Oui, chef...

Je ne sais pas s'il m'écoute ou s'il se fiche de moi.

— Nous y sommes presque, me fait-il remarquer.
— Oui, je sais. J'arrive à sentir l'humidité d'ici.

La créature arque ses sourcils, preuve d'une grande surprise.

— Tu arrives à sentir l'humidité ?
— Et bien d'autres choses... Nous avons été formés à Éris dans le but de survivre sur tous les terrains de Lodart.
— Je me demande bien ce que cela donne lorsque tu es en colère, commente-t-il.

Nous descendons la pente et prenons pieds, aux abords du lac. J'étudie rapidement les lieux. Je suis fort subjuguée par ce vert sombre qui se dépeint à mes yeux. Une distinction tout de même : des plantes rampantes jaunes et bleues sont légions et colorées un peu plus cette place. Le soleil, fort de ses rayons, offre clarté et vivacité à ces fleurs décorant mon panorama.

Je ne m'attendais pas à tomber sur cette image. Je commençais déjà à m'habituer au simple aspect du vert terne et du rouge ayant longé ma route.

J'ouvre la bouche et m'apprête à demander le coin de cachette de la bête lorsqu'un crissement me perturbe. Cela se situe dans ma tête. Ce sont des cris de douleurs.

— Si tu le cherches... s'élance l'e-motio, le voilà au loin, de l'autre côté du lac.

Malgré le crissement continuel, j'aperçois une masse grise au loin, la face mi plongée dans le liquide noirâtre, à son bord.

Je me précipite à faire le tour. La grosse part des plantes forme un arc, presque comme deux mains croisées, dont le lac en est la tasse. C'est comme entrer dans une demeure. Je suis comme jetée dans un brasier me grillant de toute ma chair. L'e-motio me paraît gravement blessé. Il n'a pas réussi à se guérir de mes attaques.

À mon approche, la bête se redresse en poussant des hurlements abrutissants. L'eau s'en trouve projetée dans tous les sens. Je n'en démords pas moins. Je dois l'atteindre. Il me faut le toucher. Mon contact peut déjà le calmer. Je ne l'ai pas appris, mais je le sais — enfin — Je veux essayer.

Je ne dois pas le brusquer à nouveau. Il est effrayé. Nos yeux se croisent. Je finis par plonger mes pieds dans le lac, recevant de plein fouet la glaciale sensation.

Je me sens comme déchirée en le contemplant. Ces traits sont cernés de petits grains noirs sur le visage. Je ne cherche pas trente-six autres marques, pour vouloir me rapprocher — Qu'est-ce qu'il a maigri — Il faut que je le touche.

La bête se débat. Elle lance ces pattes dans le vide pour me repousser. Elle me destine un hurlement, en ouvrant sa gueule laissant un flot de salive couler sur elle.

Je n'arrive pas à réaliser que je suis déjà curieux d'agripper sa tempe. Mes jambes sont prêtes à encaisser la prochaine bourrasque de l'e-motio.

— Ô e-motio ! commencé-je.

« Ô e-motio ! Écoute-moi... Je t'en supplie... »

La bête hurle à nouveau et se redresse pour m'écraser. Il lève ses pattes dont les bouts sont en pointe. À l'instant où il abaisse son corps pour m'embrocher, elle se place sur l'eau, en produisant une vague avec forte ondulation.

Je dois avouer qu'il s'est voulu plus résistant que ses moyens. Je me rapproche prudemment de son crâne. Je ne peux que répondre par un silence de marbre au visage qu'il me lance. Le même regard impassible, empli de dédain.

Je finis par m'incliner, sans prononcer mot, prête à encaisser une balafre. L'animal grille ses dernières parcelles d'énergie, pour se redresser. Elle m'arrive au niveau de la tête et me dépasse quelque peu. Elle n'est pas debout, mais cela suffit pour me mettre la pression. Nos regards se croisent. Ces yeux noirs de jais sont enfouis en moi.

Son souffle me revient. Son masque effrayant le rend plus fourbe, mais qu'importe, je vais m'accoutumer à ce visage. La connexion peut s'établir, désormais.

La créature me permet de me lier au canal d'e-motio. Je ferme les pupilles et subis un tremblement.                                                                         

                                                                         

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