Les princes de la ville

Chapitre 4 : Dom Perignon

Je ne pouvais détacher mes yeux de ce parfait inconnu au regard noir. Grand, brun, les cheveux coiffés en arrière, il avait le corps recouverts de tatouages, ou du moins les parties qui en était visibles. Son visage avait les traits serrés mais je devinais facilement la ligne franche de sa mâchoire malgré l'obscurité de la boîte. Soudain ma tête se mit à tourner. Qu'est ce qui m'arrivait ?  Je clignais des yeux pour reprendre mes esprits. Personne ne semblait avoir remarqué mon absence. June et les garçons avaient déjà pris possession du petit espace destiné à danser autour de la table et je me joignis à eux. Kyle à son habitude était le plus endiablé de nous tous. Caleb et June échangeaient des regards complices et Thomas était occupé à discuter avec une belle rousse de la table voisine. J'essayais de chercher des yeux le garçon mystérieux de tout à l'heure, mais il n'était plus là où je l'avais vu. Tant pis, me dis je.

- Alors tu vois, je te l'avais dis, Chase n'est pas là, me lança June en dansant. Tu peux profiter pleinement.

- Non, je ne l'ai pas vu non plus, acquiesçais-je, et de toute façon c'est du passé.

Les souvenirs de la soirée du Nouvel An me revinrent à la mémoire. Jamais je ne m'étais sentie aussi trahie que ce jour là. Tout ce que j'idéalisais avait volé en éclat. Porte. Poignée dans mes mains. Stupeur dans mes yeux. Incompréhension. Vide. Sidéral. Je me revoyais dévaler les escaliers en courant et m'enfuir de la maison pour vomir quelques rues plus loin, mon corps secoué de spasmes. Chase m'avait courut après, son T-shirt à la main. Il tentait de s'excuser pour une enième fois alors que je lui assenait une claque le visage inondé de larmes. Mon corps se mit à frissonner. Plus jamais je n'avais envie de revivre ça.

La musique qui parvenait à mes oreilles se fit plus intense et je décidais qu'il était grand temps de cesser de me tourmenter avec le souvenir d'un connard alors que putain, on était là pour fêter mes putains de 21 ans !
Alors j'ai fait ce que Maddie aurait fait dans une telle situation. Je me suis dressée sur la pointe des pieds et en un regard j'ai réussi à retenir l'attention d'un serveur qui se dirigea instantanément vers moi. Ce soir j'avais envie de m'amuser. De profiter de tout ce que le jeunesse avait à m'offrir. Alors j'ai mis toute la braise que j'avais dans mes iris noisettes, "mes yeux de chats" comme disait June. Le serveur était arrivé à ma hauteur et j'ai doucement passé une main dans sa nuque, le sentant frissonner à mon touché, pour lui chuchoter quelques mots à l'oreille. Il a sourit malicieusement et il a accepté les billets que je lui déposait au creux de la main.
Ce soir c'était MA soirée. Et à Manhattan tout se sait. Et dans l'Upper East Side tout le monde se connait. Et ce soir je voulais que tout le monde sache. Que tout le monde sache que Maddie Bess était la star de la soirée, et surtout que tous les yeux soient rivés sur nous, et sur ma mini robe pailletée. Que tout le monde voit ce que Chase Hooman avait laissé filé.

June ne me connaissait que trop bien parce qu'elle avait abandonnée Caleb et me jetait des coups d'oeil complices en s'avançant vers moi. Elle savait ce que j'avais prévu, et moi je savais qu'elle vivait pour les moments comme ceux là. On avait peut être que 20..- 21 ans mais l'âge ne représentait rien quand on était issu de la jeunesse dorée de Manhattan, et les excès faisaient partis de nos vies, aussi jeunes soient-elles.

Et tout à coup la boîte fut plongée dans l'obscurité. Je sentis un long frisson parcourir mon échine, de haut en bas. Parce que je savais. On entendait plus que les booms booms des basses puissantes. Leur musique parvenait jusque mes entrailles. Et aussi subitement que ce qu'elle avait disparue, la lumière réapparut. Mais petit à petit. Par flashs. Roses. Plongeant la boîte dans une atmosphère sensuelle. Et la musique avait soudain haussé d'un cran. Toute la boîte retenait son souffle. Et il s'afficha. Le message sur l'écran derrière le DJ. "Joyeux anniversaire Maddie" . Et une horde de serveurs, et serveuses en petite tenue arriva, je crois même qu'il s'agissait de celles que j'avais vu danser dans les cages à oiseaux plus tôt. Ils portaient un cercueil rempli de Dom Pérignon, leurs mains agitant des sparklers. Alors tous les regards étaient rivés sur nous. Et j'adorais ce sentiment. C'était comme ça dans notre monde. Imposer sa suprématie avec son argent, tel était comment les choses fonctionnaient. Le serveur à qui j'avais passé commande pour ce show tenait un sparkler entre ses dents. Je pense que mon regard de braise de toute à l'heure avait eu l'effet escompté parce qu'il se pencha en avant et me demanda avec ses yeux d'ouvrir la bouche. Je m'exécutais en penchant la tête en arrière et il y fit couler une bonne dose de champagne, assez pour que quelques goûtes du liquide ne s'échappent de mes lèvres. Je sentais le regard de tout ses gens braqués sur notre table alors je me redressai le plus sensuellement possible en ne cessant de regarder ce serveur, qui je le sentais, brulait sous mes yeux noisettes. J'adorais ça. Je savais parfaitement ce que je faisais aux hommes, et ce soir j'avais envie d'être désirée.
Les serveuses dansèrent autour de nous jusqu'à ce que leur sparkler s'éteignent, et l'une d'elle m'invita à me coller à elle. J'acceptais sa main et en un instant je me retrouvais debout sur cette table, entourée de deux serveuses, qui ressemblaient plus à des go-gos d'ailleurs. J'avais la chance de savoir danser alors je suivis leur déhanchement au rytme entêtant des booms booms, toujours sous les regards de la boîte. Et l'espace d'un instant je perdis mon regard dans la foule, et à travers toutes les têtes, mes yeux n'en virent qu'une. Et mes yeux furent irradiée par ses pupilles. Glaciale. Bleues. Mais un regard tellement noir.