Nevland - cycle des aciers [réécriture en cours]

Terre à l'horizon

« Terre à l'horizon ! »

Le sloop tangue doucement, la mer est calme aujourd'hui. Nous atteindrons bientôt cette terre. Foolstep, troisième ville de Nevland. On raconte que les nuits d'hiver sont si froides qu'au matin, une fine glace se sublime en un brouillard filamenteux. Koall, un autre passager, s'approche de moi.

« Pardonnez ma curiosité, jeune femme, mais après quelques jours à partager le même bateau, je n'ai ni idée de ce que vous souhaitez faire en Nevland, ni idée d'où vous venez... »

Je regarde l'horizon quelques instants. La terre est à peine perceptible d'ici, surtout sans jumelles. Mon souffle ne se condense pas encore sous mes yeux. Je me tourne vers Koall et lui répond de manière suffisamment évasive.

« Mon frère et moi venons des terres de Zelbor, dans un village des montagnes. Nous allons en Nevland chercher du travail.

- Pourquoi alors ne pas être resté plus au Sud ? Le climat y est moins brutal.

- Nous... Devions partir. »

Il se tait. Il me regarde un instant, je détourne le regard. Il reste silencieux. Je pense qu'il comprend.

« Et vous, qu'allez-vous y faire ?

- Des affaires ! Rien d'incroyable, mais suffisamment pour vivre. Je ne resterais pas longtemps à Foolstep, je sauterais bien vite dans une calèche pour rejoindre Colso, la capitale. J'ai dans mes bagages des tonneaux de potasse, les agriculteurs en ont besoin sinon rien ne pousse...

- Vous allez ravitailler toute une ville avec quelques tonneaux ?

- Non, non, ce sont des échantillons d'essai. La qualité de l'extraction a été améliorée, ma compagnie souhaite donc avoir des tarifs différents... Mais il faut avant leur montrer l'efficacité du produit, vous voyez ? »

J'acquiesce. Nevland est surnommé dans la péninsule ''la terre des inconscients''. Quatre grandes villes et quelques villages ou hameaux. Il y en a autant dans le comté de Lagriffe, alors que son étendue est beaucoup plus limitée. Lagriffe, Zelbor, Egirole, Gargue... Ces villes du Sud appartiennent maintenant à mon passé. Désormais, je vivrais dans le Nord, afin d'avoir un avenir.

Je reste accoudée, Koall semble réfléchir à comment il pourrait relancer la conversation. A son apparence, je dirais qu'il est originaire de Méridion. Des cheveux bruns ondulés, une peau légèrement bronzée, et une haleine d'olive. Mais son attitude et son accent suggèrent plutôt qu'il a grandi dans l'un des duchés de Cenkt. Quant à moi, je me demande bien ce qu'il pense de mon physique... Mon visage est une bonne introduction : des yeux verts, des cheveux roux, une peau « bois de chêne ». Typique d'une femme de Zelbor. Mais si les dames de notre région sont si connues, ce n'est pas pour le reste. Volupté, sensualité, rien de ça chez moi. Cinq pieds et quelques pouces d'endurance, avec un alliage de quelques cicatrices. Je suis comme l'acier zelborien : fin, souple mais endurant. Mon frère, c'est une autre histoire...

Lui et moi sommes des enfants des soleils, nés le même jour mais très différents. Il n'a pas un physique de brindille, mais il encaisse moins que moi. Il faudra que je veille sur lui. Notre père me l'a toujours répété : « Alek est facilement distrait, veille sur lui car il ne remarquera pas les regards colériques des autres. ». Un soigneur itinérant nous a dit qu'il pouvait avoir une sorte de trouble, une sorte d'incompréhension du monde. Il nous a certifié que cela s'atténue avec le temps. La situation s'est grandement améliorée, mais quand je pense au monde qui nous attend, je ne sais pas si Alek sera à sa place. Après un dernier regard vers le Sud et notre terre d'origine que nous ne reverrons plus jamais, je me résous à retourner dans la calle pour ranger mes affaires. Le vent devient froid.