76 - Le lac des baptêmes - 3

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Les premiers rayons de l'aube étiolaient les cotons de nuages lorsqu'ils se remirent en route, chargeant le reste de leurs provisions sur leurs montures. Alagan se sentait littéralement connecté à sa jument. Perle lui était maintenant d'une fidélité irréprochable. Il n'oubliait pas de lui parler et de lui flatter régulièrement l'encolure. En fait, ces deux-là pouvaient difficilement se passer l'un de l'autre.

À midi, ils mirent pied à terre. Ils déjeunèrent d'une énorme miche de pain bien tendre avec du saucisson et de la tome que Nicodémus avait dans sa besace. Ils burent l'eau de l'outre en peau de Koalin que l'autochtone leur tendit.

Alagan réfléchissait à tout le chemin parcouru depuis sa dernière partie d'Héroica Tagush à la recherche du trésor de Barrabas. Il se rappela Nam et Séoras, et se demanda ce qu'ils pouvaient bien être en train de faire.

Les quatre compagnons arrivèrent enfin au lac des Baptêmes. Ils étaient tellement las qu'ils n'en savourèrent pas la splendeur.

— Nous y voilà, proclama Nicodémus.

L'eau du lac n'était pas transparente. La concentration de coléine lui donnait de forts reflets lactés. Cassiopée partit avec Nicodémus chercher du bois pour le feu de camp.

La grande chaleur aidant, Alagan et Shahina furent tentés de se baigner. Ils se dévêtirent et Alagan la guida vers le lac. La douce température de l'eau facilita leur entrée. Shahina se laissa porter par la douceur du bain. Alagan fit quelques brasses, mais une violente migraine le poussa à sortir presque aussitôt. Il se sécha, enfila son pantalon et alla rapidement mieux. Il observait du coin de l'œil l'Indienne qui se laissait flotter, et se surprit à rêver que ce fût Kassandra, imaginant de longues mèches blondes et éparses sur l'eau à la place des cheveux noirs. Le souvenir de leur dernière étreinte lui harponna le cœur. Shahina se retourna et nagea, plongea la tête sous l'eau, la ressortit. Un bruit dans les feuillages fit émerger Alagan de son rêve éveillé. Nicodémus et Cassiopée avançaient pour les rejoindre au bord du lac. La jeune rousse eut du mal à cacher son trouble devant le torse nu et encore humide d'Alagan. Ils restèrent ainsi plusieurs secondes à s'étudier jusqu'à ce que les clapotis de Shahina dans l'eau blanche les distraient. Détendue, elle se laissait caresser la peau par le murmure des vaguelettes. Les yeux fermés, elle méditait. À quoi pouvait-elle bien servir maintenant sur Édesse, coupée du monde et aveugle ? Mais une vision la déstabilisa soudain au point que si elle n'avait eu pied, elle en eût bu la tasse.

D'immenses insectes métalliques envahissaient l'île, forant des trous un peu partout dans le sol, à la recherche du précieux fluide de vie. Accompagnés de patrouilleurs en tenue noire, ils empêchaient les autochtones de s'opposer au passage des renifleurs. Elle visualisa un village avec une fontaine de coléine. Les renifleurs arrivaient et rasaient tout à l'aide de leur chenille mécanique. Les machines repéraient, s'arrêtaient sur les points stratégiques, se rétractaient dévoilant deux longues pattes. De leur tête sortait une immense trompe, avec laquelle elles foraient un puits. Elles pompaient ensuite le liquide, comme des mantes religieuses qui consomment leur proie. Alors, les patrouilleurs incendiaient le village. Des cris stridents d'enfants et de femmes éplorées retentissaient. La vision était violente et pénible et Shahina dut rassembler son énergie pour se propulser hors d'elle.

Elle rouvrit les yeux. Un instant, ses pupilles laissèrent apparaître un léger voile blanc donnant un aspect étrange à son regard. Elle sortit de l'eau encore toute troublée par ce qu'elle avait entraperçu et se dirigea vers Nicodémus qui fumait sa pipe, tranquillement installé sur un rocher.

En la voyant, il arbora un sourire amusé dont elle s'insurgea :

— Qu'y a-t-il de si drôle ?

Alagan. Les Mondes d'Édesse T1 [PUBLIÉ]✔️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant