18 - à l'heure du couvre-feu

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Alagan, qui s'était assoupi, se réveilla en sursaut trois heures plus tard. Sa montre affichait vingt et une heures, l'heure du couvre-feu énergétique. Plus moyen de se connecter à la matrice et interdiction de sortir pour éviter les enlèvements de nuit de la Rébellion. Dans les faits, les citoyens les plus hasardeux s'y risquaient tout de même. Heureusement, le Réseau, lui, restait accessible. Il se traîna jusqu'au miroir de sa salle de bain et constata, ravi, qu'il n'avait plus aucune trace de sang autour de l'init. Il enfila une chemise propre, puis se rendit sur la pointe des pieds chez Mamily malgré l'interdiction. Lorsqu'il pénétra dans la chambre de sa grand-mère adoptive, il la trouva en train de lire.

— Il est tard. Tu devrais être en train de dormir, la gronda-t-il gentiment en rajustant les couvertures pour la border.

— Il est tard, persifla-t-elle, tu aurais dû passer plus tôt. Sinon tu sais bien que j'ai dû mal à m'endormir. Le couvre-feu est en place, Alagan ! lui reprocha-t-elle.

Elle éteignit l'hologramme du livre, retira ses gouglettes et les lui tendit. Tandis qu'il rangeait les lunettes électroniques dans son étui, elle l'observa.

— Tu es pâle. Es-tu malade ?

Et voilà. Encore cette maudite phrase. Cela relevait du trouble compulsif chez elle. Il n'allait certainement pas lui faire part de quelques gouttes de sang.

— Non, j'ai seulement passé tout mon quota en réalité virtuelle.

Elle l'inspecta du regard.

— Hum. C'était quoi, aujourd'hui, Héroïca Tagush ? lui demanda-t-elle.

— Oui.

Elle remarqua son air absent tandis qu'il lui tendait ses comprimés et un verre d'eau.

— Qu'y a -t-il, Alagan ?

— Tu sais Édesse, cette île dont le gouvernement ne parle jamais... Je n'arrête pas d'avoir des rêves étranges depuis que je me suis installé en face et puis, tout à l'heure dans le jeu, ça parlait aussi d'Édesse.

Mamily avala ses cachets et déglutit. Elle observa un long moment de silence puis reprit :

— Ah oui ? C'est très curieux. Mais, tu ne devrais pas t'intéresser à Édesse Alagan. C'est dangereux. C'est la terre des hérétiques. On pense même que la Rébellion dispose de ramifications là-bas.

— Je ne m'y intéresse pas. C'est juste que je suis tombé dessus.

— Eh bien, passe à autre chose, sinon nous aurons des ennuis, lui dit-elle sèchement. Et puis, éteins la lumière en partant, le pria-t-elle, avant de s'allonger et de tirer les couvertures.

À ce rythme-là, il allait mûrir plus tôt que prévu, mais elle ne pouvait pas le garder éternellement gamin.

Il l'embrassa sur la joue. Il était tard et de toute façon, il ne pourrait avoir, avec elle, aucune discussion approfondie, sur un sujet considéré hérétique par le gouvernement. Quand il s'agissait de le protéger, elle se transformait en tortue. Elle étendait sa carapace, rentrait sa tête et tentait de l'entraîner avec elle dans le noir. Elle avait voué sa vie à sauvegarder Alagan, comme s'il avait été son propre petit fils et elle ne l'autorisait pas à prendre le moindre risque. Moins il en saurait, mieux il se porterait. Lui n'approuvait pas, se heurtant de plus en plus souvent à son mutisme, mais il l'aimait.

Il ordonna l'interruption de la lumière, referma derrière lui et rentra dans son appartement.

Tandis qu'il se brossait les dents, il se dit qu'il ne parlerait plus à Mamily de ses activités extrascolaires. Il ne voulait pas l'inquiéter, mais il ne pouvait pas s'empêcher de penser qu'elle en savait bien plus qu'elle ne voulait le dire. Après tout, elle-même était pleine de paradoxes. Elle ne voulait pas parler de la Rébellion, mais elle ne portait pas le gouvernement dans son cœur. Elle lui disait de s'en méfier, mais ne précisait pas pourquoi.

Il revint dans sa chambre. Un bandeau de nouvelles défilait en continu sur l'holographe. Son attention s'arrêta sur l'image de deux corps. L'écran zoomait sur le sang qui coulait de l'init. En incrustation, en bas de la vidéo, le texte indiquait « deux patrouilleurs morts de la maladie d'Édesse ».

 En incrustation, en bas de la vidéo, le texte indiquait « deux patrouilleurs morts de la maladie d'Édesse »

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(credit photo : imgur.com)

Alagan. Les Mondes d'Édesse T1 [PUBLIÉ]✔️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant