1 - La prophétie

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C'était une de ces matinées où les abeilles quittent leur ruche pour aller butiner les fleurs aux mille et une couleurs. Les rayons d'un soleil éclatant et chaud filtraient au travers d'arbres immenses dont les cimes s'étendaient vers le bleu franc du ciel. Dans cet écrin de feuilles au reflet d'émeraude, Alagan admirait les miracles de cette nature d'été, tout en effervescence. D'une beauté insolente, svelte et musclé, la dureté de ses traits et sa barbe de trois jours cachaient son manque d'assurance et une certaine gaucherie.

Derrière un sourire ravageur et une grâce féline, de nombreuses questions sans réponses lui faisaient courber l'échine. Ses sourcils, fournis et très longs, ternissaient son regard alors que ses cheveux, épais mais très souples, s'animaient en vagues comme les ailes d'un oiseau qui veut quitter le nid. Tantôt timide, tantôt sûr de lui, gentil et maladroit ou dur et obstiné, Alagan avait toute l'ambiguïté d'un jeune de dix-huit ans en quête d'identité.

Au pied d'un tronc géant, une jolie créature à la fourrure beige, parsemée de taches blanches glapissait de joie. Son petit corps trapu et ses oreilles rondes lui donnaient une allure indolente. Mais ses membres griffés et ses grands yeux perçants pouvaient assurément réagir rapidement.  Les babines solidement enserrées autour des mamelles de sa mère, le koalin se délectait avidement de son lait.

La femelle quitta du regard sa progéniture, à l'affût du moindre bruit. Un autre koalin, plus petit et plus frêle s'avançait. Moins joli, avec son pelage fauve et ras, de nombreuses cicatrices avaient tracé des trous comme des tonsures, au milieu de ses poils. L'animal abîmé s'approcha de la mère, avide de goûter un peu de son lait. Mais la femelle découragea l'intrus.

Alagan s'accroupit ensuite et sortit de son sac à dos, une outre de lait frais. Il versa quelques gouttes à ses pieds et attendit patiemment que l'animal fauve vienne vers lui. Lorsque tremblante, la petite créature affamée le rejoignit, il lui tendit le bec de sa gourde. Il la laissa ainsi se repaître tranquillement puis se risqua une main pour la caresser. L'animal s'aplatit, mais ses babines restèrent agrippées au précieux breuvage.

— Voilà, ma belle. Je sais, la vie d'une orpheline n'est pas facile, mais regarde je suis là.

Le second koalin, à la fourrure tachetée, délaissa alors sa mère, intrigué par la scène et s'approcha d'Alagan, avec la ruse et l'agilité d'une petite créature sauvage. Il resta cependant à distance respectable. Le jeune homme le repéra et contempla son pelage soyeux et son port altier.

— Quoi ? s'exclama doucement Alagan. Pas la peine de me faire ton air de koalin battu. Tu peux faire le beau, toi, tu as une mère qui t'aime et tu n'as pas besoin de moi.

Soudain, une brise se leva et les branches s'inclinèrent. Les ombres se mirent à danser dans une ondulation rythmée puis se figèrent, et la lumière fusa en de larges faisceaux aveuglants. Les yeux encore voilés, le garçon, qui avait posé son outre, distingua une forme longiligne et sombre se détacher du vert vif des feuillages.

Un majestueux fourreau Amarante se dirigeait lentement vers lui, caressant de sa traîne l'épais tapis de mousse. Les contours de la dame se précisèrent, divulguant la pâleur d'un teint de porcelaine encadré de grandes boucles mordorées et tombantes. La grâce de sa démarche, la finesse de ses traits jusqu'à ses frêles épaules légèrement dénudées, révélaient la noblesse d'une beauté médiévale. Son menton volontaire, dépourvu de sourire, traduisait l'arrogance d'une femme distinguée, mais ses yeux indulgents venaient en un soupir insuffler dans les airs une chaleur mystérieuse. Inexorablement attiré, le jeune homme s'entendit lui demander :

— Parlez-moi de l'eau d'Édesse.

Les troncs d'arbres se courbèrent et la nature se tut, occupée à tisser un berceau de verdure autour de la dame. Le son de ses cordes vocales se mit à résonner, aussi pur que le chant d'une harpe :


En sa source s'écoulent les grands maux de ce Monde

En ses larmes fécondes, la sève blanche abonde

Dans ses eaux cristallines se clarifie l'esprit

Des enfants qu'une mère en son sein a nourris

Et son trouble traduit l'égarement de certains

Qui suivant son sillage, ne trouvent leur chemin


Son chant mélodieux et tendre ravissait le jeune homme qui buvait ses paroles, mais n'en entendait rien. Elle allait continuer lorsqu'une seconde voix, monocorde et saccadée ramena brutalement Alagan à la réalité.

 Elle allait continuer lorsqu'une seconde voix, monocorde et saccadée ramena brutalement Alagan à la réalité

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Alagan. Les Mondes d'Édesse T1 [PUBLIÉ]✔️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant