« L’habitude du désespoir est plus terrible que le désespoir lui-même. »
Le miroir, quelle drôle d’invention. Je n’arrivais plus à me regarder en face depuis que Lana est partie, depuis que je l’ai tué. Je n’y arrivais plus, à scruter ce visage si innocent et pourtant si meurtri. Aujourd’hui, j’y arrive. Cinq mois après cette affreuse nuit. Même posé dans notre chambre, je l’ai évité durant tout ce temps. Je voyais un monstre dedans, un monstre recouvert d’écailles. Cinq mois que je prends mes traitements par intermittences, faisant basculer mon corps et mon esprit entre la vie et la mort, entre la Terre et ses ténèbres. Je n’ai plus envie de vivre, je n’ai plus cette force. J’ai déjà la conscience lourde de me dire que je suis toujours en vie alors que d’autres n’ont pas eu cette opportunité. J’ai gâché ma chance, alors qu’une autre ne pouvant pas devenir mère aurait pu prendre ma place. Je me sens si stupide depuis ces cinq longs mois, si déshumanisée. Les seules émotions qui fleurissent sur mon visage sont des mauvaises émotions. Elles me poursuivent depuis juin dernier dans une course effrénée contre la vie.
La vie, quelle drôle d’invention. Je n’ai plus envie de rien, juste de me laisser aller et partir à la dérive mais mon unique ancre dans cet océan de larmes reste Maxwell. Il n’y a que son sourire qui arrive à me ramener un peu sur Terre, dans mon corps. Un corps que je hais plus que tout au monde, il doit donner la vie. Au lieu de ça, il l’a enlevé, bousillé, écrasé. Et bientôt, il retira la mienne.C’est vraiment l’image que je renvois ? Celle de la femme muette comme une tombe, impassible comme un mur et rigide comme un poteau. Tant mieux. Je ne veux pas de positif, je n’en veux plus. Pas maintenant, c’est certain. La psyché me renvoi inévitablement une image terne, des habits foncés et un visage vide. Un corps sans âme. La porte d’entrée au rez-de-chaussée claque et laisse s’échapper un bruit sourd. Les murs en briques rouges chancèlent. La glace longiligne est posée entre la commode blanc cassé et la porte de la chambre. Derrière la séparation, les escaliers débouchent sur le salon et la porte d’entrée. La fumée qui s’échappe des pots d’échappement déferlent dans toute l’habitation, y compris à l’étage. Mes poumons s’étouffent dans leur propre air, si bien que je manque de me prendre le miroir en tentant de me rattraper vainement sur le cadran. Deux bras viennent rattraper mon poids in extremis, débarrassée de toute cette lourdeur qui m’oppresse. Sans un mot, Max me relève, le regard inquiet. Ce regard émeraude rempli de vie malgré le fardeau que je fais.
— Tu n’as toujours pas pris ton traitement, fait-il remarquer à voix basse, désespéré.
Mes jambes flagellent de faiblesse, je ne tiens plus debout sans lui. Je ne tiens plus debout sans rien. Ses iris me dévisagent et son souffle embaume tout mon faciès, l’air terrifié. Terrifié de me perdre après avoir perdu sa fille. Perdre sa fille à cause de moi alors que nous avons tant bâti. Maxwell est le fils d’un médecin généraliste, c’est de famille, il y a dix ans, j’étais près de la mort et son père m’avait retiré une partie de mes poumons qui ne fonctionnait plus. Il me restait, il y a encore cinq mois, soixante-quinze pourcents de mes capacités respiratoires actuelles. Aujourd’hui, elles doivent être à cinquante seulement, ou même quarante, peu importe. Il y a dix ans, j’ouvrais les yeux et Max était là, à mon chevet. Il parlait et pleurait du haut de ses dix-huit ans, devant une gamine qui n’en avait qu’à peine dix. Cette gamine, c’était moi, et aujourd’hui, il est toujours là.
— Tu devrais les prendre, Tara, m’assène-t-il, anxieux.
— Je verrais dans la soirée, ne t’inquiètes pas.
À l’époque, j’avais commencé à le voir tous les jours. Parfois, j’y allais pour mon suivi médical, souvent, j’y allais pour lui. J’étais si naïve. Au fil des jours, des semaines et des années, il s’était énormément renseigné sur la mucoviscidose, lisant des livres jusqu’à pas d’heure. Je lui avais donné le gout de la médecine, lui qui n’avait jamais voulu suivre la voix de son père. Je lui avais donné l’envie d’étudier la pneumologie alors qu’il voulait être peintre. Peintre… Le mur opposé est recouvert de tableaux depuis déjà quelques années. Depuis que nous avons emménagé ensemble. Au milieu des couleurs tapissant les toiles, je fais complètement tache. Même les peintures possèdent plus de vie que mon corps. Face à moi a été encastrée dans le mur porteur une fenêtre, un trou béant de lumière artificielle, dirais-je. Le lampadaire enjolive la pièce, dans cette semi-pénombre les cadres posés sur le bureau de Max, la commode d’affaires et le miroir.
VOUS LISEZ
Lamia : La Nuit Du Désespoir. {TERMINÉE}
Vampire{Tragic Vampiric Romance} {Non corrigé et non réécrit !} ♛ Peut se lire indépendamment du reste de la saga. ♔ Tara n'est que l'ombre d'elle-même depuis qu'elle a perdu sa fille, morte-née. Atteinte de mucoviscidose, elle peine à remonter la pent...