Chapitre 18 - Tara ♔ : Facile à convaincre, difficile à vaincre.

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« On prend goût à son désespoir, c’est plus facile que de lutter. »

    Je ne pensais pas que faire sa connaissance allait être aussi simple. Il prend tant de douceur à parler aux nans, j’ai pu le remarquer avec les trois qui m’avaient accompagné toute la soirée lorsqu'elles sont venues boire un coup avec nous. Je me sens si bien ici, bordel. Elles avaient fini par s’en aller, nous laissant à notre discussion. Quelque chose de banal qui m’a pourtant manqué lorsque je m’obligeais à rester enfermée chez moi comme une meurtrière échappant à la police La seule chose qui diffère c’est que je ne voulais pas semer les forces de l'ordre mais les médecins et leur armée de machines ainsi que de médicaments. 

    Ce n’est que lorsque j’entends la porte du rez-de-chaussée au milieu de toute cette agitation que mon buste se tourne vers les escaliers d’où descend lentement Dorian. Il a l’air un peu paumé, et triste. 

    Dorian et triste ne vont décidément pas ensemble. 

    — Il y a quelque chose qui ne va pas ? je lui demande, interloquée.

Il s’installe sans un mot à ma droite, crispe sa mâchoire avant de se prononcer enfin : 

    — J’ai ramassé la femme de Wiliam à la petite cuillère. Elle était dans un sale état, la pauvre. 

    — Qu’a-t-il fait, encore ? s’insurge presque Edgar, de l’autre côté du comptoir. 

    Ses bras démesurés s’appuient sur la tablette afin d’écouter attentivement Dorian.

    — Il l’emmerde encore avec ses histoires de gosses, il n’a même pas cherché à réfléchir cinq secondes. Il lui a dit que si elle enfentait un jour, le gosse serait appelé Dæmon. Je crois que je n’ai pas besoin de vous faire un dessin. 

    Je tente tant bien que mal de garder mon calme face à ces atroces paroles, les poings rongés par la colère. 

    — Qu’est-ce qu’il peut être con quand il s’y met, lui aussi. 
Edgar aussi est sur le point d’exploser face à cette révélation. Peut-etre ne suis-je pas légitime de me révolter intérieurement, je ne connais ni cette femme, ni cet homme, et encore moins leur quotidien. Mais elle est bien là, la preuve que j’ai volé la place à quelqu’un. Elle aurait pu être heureuse, avoir un mari aimant et un enfant. Et moi je gache tout comme si cela n’avait pas d’importance aux yeux des autres, qu’une fertilité ne vaut rien pour nous, femmes. 

— La prochaine fois qu’il se pointe il va passer un sale quart d’heure. Tellement sale qu’il aura honte de remettre les pieds ici. 

J’en oublis presque qu’une journée entière s’est écoulée, plongée dans les enfers de CBC. En début de soirée, nous sommes remontés à l’étage afin de profiter d’un peu de vie humaine qu’offre le bar du rez-de-chaussée. L’ambiance diverge totalement du sous-sol, ce qui me pousse à ne pas rester bien longtemps lorsque je m’aperçois que ce William ne se pointe pas. Ni Edgar ni Dorian ne me suivent, mais loin de vouloir rester dans le pub à vampires, je décide après avoir descendu les marchés tout en me tenant à la rambarde de marcher en direction de la trappe cachée derrière le comptoir. Personne ne se préoccupe de moi, pas même les individus se trouvant attablés en ligne devant la tablette noire. Avec une certaine confiance, j’ouvre l’accès et commence à descendre les premiers escaliers droits avant de m’enfermer sous le plafond.  

Je découvre à nouveau ce décor sombre et luxueux, les murs parsemés de fines planches de bois vernis donnant encore plus de vie à l’endroit souvent sans habitant. Je prends connaissance d’un couloir au fond à droite de la pièce principale. Que peut bien se trouver là-bas ? Ils n’ont pas besoin de cuisine ni de chambre. 
Tout en prenant soin d’observer mon environnement, je m’avance vers l’allée et m’enfonce dedans. Il fait bien plus sombre que précédemment grâce aux plafonniers qui se trouvent dans la pièce mais la lumière artificielle se reflète assez pour que je puisse aisément discerner une porte. Une seule. Ensuite, c’est le fond du couloir. L’accès en métal gris semble lourd, si bien que je peine à l’ouvrir entre deux grincements stridents à en faire frémir les tympans. Je prie pour qu’on ne m’ait pas entendu et découvre une cellule. Une cellule semblable à celles des prisons. J’ai un mouvement de recul, effarée de voir que je peux trouver ce genre de pièce au beau milieu d’un appartement. Le salon est démesuré, je trouvais cela étonnant de trouver une pièce annexe telle qu’une chambre. 

— Décidément, ta curiosité n’a aucune limite.        

Mon corps se fige en entendant la voix de Dorian. Il avance pourtant lentement, loin d'être énervé par mon geste. Un sourire vient fleurir sur son faciès avant de passer son bras au-dessus de mon visage pour refermer le battant.                           
— Pourquoi il y a ce genre d'endroit ici ?       

— Là-dedans, j’enferme les individus qui veulent me nuire.

Il me pousse à faire demi-tour jusqu’à la pièce à vivre. Il reste silencieux durant un instant avant de me lâcher et de s’installer sur la banquette brune.

— Il est minuit passé, tu sais ce que ça veut dire.

Je souris bêtement. Oui, ça veut dire que je vais encore avoir le droit à un bout de son histoire, et il ne sait pas à quel point c’est satisfaisant.

— La première chose que j’ai découverte en tant que vampire, c’est la guérison et la résurrection grâce au sang. J’étais levé depuis à peine un quart d’heure que je suis tombé sur un homme, dehors. Je l’ai entraîné dans une ruelle. 

Il s'arrête, marque un temps de pause et perd son regard dans le décor, probablement en train de se rappeler la sensation et la culpabilité qui découle d’un tel acte. J’ai deviné si facilement qu’il n’a même pas besoin de me raconter la suite.

— Samuel Scott. J’ai tué ce type sans aucun remord avec du sang vampirique dans les veines. Vingt ans plus tard, quelques mois après l’ouverture du Cold Blood Club, il m’a retrouvé, a tenté de me le faire payer. Je l’ai enfermé dans la cage que tu as vu, je l’ai laissé se dessécher durant des semaines jusqu’à ce qu’il soit sur le point de crever. Finalement, je l’ai laissé sortir, et depuis il fréquente quotidiennement le sous-sol.

— Quelle drôle d'histoire, je fais remarquer, stoïque. C’est le gars avec qui je t’ai vu discuter, aujourd’hui ? 

Il acquiesce d’un signe de tête, un sourire en coin. Sérieusement ? Je croyais les sang-froid bien plus rancuniers que cela, il vient de me foutre une claque avec son histoire.

Une vraie claque. 

— Qu’est-ce qu’il y a ? commence-t-il à paniquer. 

— Rien… Je… Je viens de réaliser quelque chose, bégayé-je sans ne savoir où me mettre.

Finalement, je ne suis peut-être pas assez courageuse pour mourir. Serait-il d’accord pour…
Non, il ne le serait probablement pas, mais je n’ai plus rien à perdre. 

— Est-ce que tu serais d’accord pour m’en donner ? Je veux dire… Tous les jours.

La chaleur me monte aux joues. J’aimerais tant disparaître pour avoir demandé ça. Dans un ralenti spectaculaire, j’observe son visage se décomposer, habité par l’incompréhension et possiblement une petite dose de pitié. 

— Tu ne veux pas de cette vie, Tara, prononce-t-il si faiblement.
C’est la première fois que je sens ce goût amer en provenance de ses cordes vocales. Un goût amer de prévention, de supplication, même.

— Je n’ai rien à perdre, de toute façon, à quoi bon lutter ? 

— Tu passes plus de temps avec moi qu’avec ton mari. Tu ne devrais pas. Il te connais depuis bien plus longtemps que moi, je n’ai aucune légitimité, m’affirme-t-il, les sourcils tout de même froncés.

Vraiment, il n’était pas obligé de ramener Maxwell sur le tapis. Depuis la mort de Lana, plus rien ne va entre nous. Plus rien ne semble réel, magique. Je meurs à petit feu à ses yeux, au sens propre comme au figuré, c’est désolant. Je reste accrochée à cette constante parce que je n’ai nul autre repère mais franchement, sortir de ma zone de confort depuis fin novembre me fait vivre encore un peu.

Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas pourquoi mon corps s’installe contre le sien, pourquoi ma bouche se colle à la sienne, goûtant à la fraîcheur de celle-ci. Pourquoi ? Parce que c’est si bon, cette façon qu’il a de m’effleurer le visage, de comprendre toute la beauté que je trouve à la mort, que je trouve à son monde. Les genoux de part et d’autre de ses cuisses se serrent encore plus lorsque ses lèvres me quittent demi-seconde pour se poser délicatement sur ma tempe, descendant près de mon oreille avec délice.

Il s'arrête un moment, hésitant à aller plus loin. Qu’est-ce qui le retient ? N’ai-je pas assez donné pour éviter le désespoir ? J’ai le droit à un peu de bonheur, merde ! Pourquoi l’univers ne veut pas me le donner ?                

Lamia : La Nuit Du Désespoir. {TERMINÉE}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant