Chapitre 16 - Tara ♔ : Elle se libère enfin.

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« Le désespoir est la charité de l’enfer. Il sait tout, il veut tout, il peut tout. »

Chronophage, comme la nuit. C’est en partie pour cette raison que j’aimerais me voir autrement qu’une pauvre malade sans intérêt, que j’aimerais me rendre utile, si ce n’est que pour divertir la galerie, je ne crache pas dessus. J’aimerais être libérée de la nourriture, aussi. Ne plus avoir à prendre tous ces médicaments pour ma digestion, tout pèserait moins lourd sur ma conscience. Comment puis-je ? C’est bien l’une des seules choses qui ne restera qu’un fantasme. Pourtant dès que tout est fin prêt, je déguste à la dernière miette, plutôt que d’avoir un régime alimentaire de moineau. 

— Ce n’était pas si compliqué, me lance Dorian, satisfait d’avoir obtenu ce qu’il voulait. 

Non, ça ne l’était pas. Ce qui l’est en revanche, c’est l’endurance de mon système organique. Avaler trois grammes de pain pour le lendemain se goinfrer d’un bon plat à l’odeur pourtant succulente, mon estomac risque de m’envoyer chier. 

— Et si on partait maintenant ? je lui propose sans plus attendre. 

D'abord surpris, il finit par accepter d’un signe de tête avant de se lever de sa chaise et de la ranger avec soin. Je fais de même sans me préoccuper de ce que Max pourrait penser s’il ne me retrouve pas à l’intérieur ce soir. Je joue réellement avec le feu, mais je vais bientôt mourir, j’en suis persuadée. Il faut que je profite de mes derniers instants et ce n’est pas six pieds sous Terre que je pourrais avoir des remords. 

Nous quittons sans délai l'habitation après avoir, pour ma part, débarrassé ce qui m’a servi ce midi et mis mes chaussures. Le battant se referme derrière moi, s’accompagnant d’un immense vide en moi. J’ai beau haïr cette maison pour ce qu’elle m’a fait endurer, mais je ne pourrais jamais la quitter pour des raisons évidentes. Le jour où il usera de ses pouvoirs avec moi n’est décidément pas encore arrivé lorsque je le voit commencer son bout de chemin à pied, les mains dans les poches. 

— Nous allons probablement croiser Edgar en arrivant. Je te laisserais avec lui pendant que j’irais toucher deux mots aux nanas qui vont t’accompagner au sous-sol. 

Sur ces paroles, je ralentis considérablement le pas. Mais qu’est-ce que je vais raconter à ce type, déjà ? Je ne lui ai adressé la parole qu’une seule fois, et pas dans les meilleures conditions qui soient. 

— Il ne mord pas, jusqu’à preuve du contraire, le défend-il avec sarcasme. 

— Je sais bien, mais je ne vois pas trop quoi lui dire … 

Il ne met pas plus d’une fraction de seconde pour me répondre : 

— Il saura meubler la conversation, ne t’en fais pas. J’en aurai à peine pour dix minutes. 

Pas convaincue, mais on verra bien. 

Le reste du trajet s’effectue presque en silence. Un silence pourtant loin d'être gênant, et quelques fois il a ce réflexe de se tourner pour voir s’il ne m’a pas semé. Je traine parce que je me délecte de chaque détail qui passe sous mon nez, comme si c’était ma dernière journée de vie. 

La rue piétonne, je m’en souviens comme si c’était hier. Mon corps s’était figé devant cette porte vitrée d’où je pouvais distinguer trois hommes au comptoir : Dorian, Edgar et William. Jamais je n’aurai pensé que cet arrêt allait changer le tournant de ma    vie monotone. Nous nous engageons dans la rue, zigzaguant entre quelques passants, à la recherche de l’enseigne. À cette heure-ci, les terrasses sont pleines à craquer, les voix et les effluves d’odeurs s'entremêlent, formant une tornade de vie que le calme de CBC ne pouvait pas exceller en apparences. Entre l’air extérieur et celui de l’enseigne, un fossé se crée rien qu’en passant un pied par-dessus le seuil de la porte. Je m’engouffre dans une ambiance chaude. 

Lamia : La Nuit Du Désespoir. {TERMINÉE}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant