Chapitre 34 - Tara ♔ : Excuses expirées.

8 3 0
                                    

« Je préfère le désespoir à l'incertitude. »  

— Tu ne sais pas à quel point je m'en veux...

Tout le monde nous observe, mais ça, Dorian s'en fout aussi. Tout ce dont il a envie, c'est qu'elle disparaisse de sa vie pour toujours. Au milieu des deux, je me tais, m'enfonce dans mon tabouret en espérant qu'il ne soit pas le suivant sur la liste de Dorian des choses à détruire.

— C'est ça, continue de te donner en spectacle. Tu galvanises ma colère, reprend-il enfin après un moment de latence. Tes excuses ont expirées il y a soixante-dix ans.

Depuis tout à l'heure, je l'écoute, sans trop savoir quoi dire. Sûrement parce que mon passé n'est pas exemplaire et que je n'ai pas de leçon à donner à quelqu'un qui a plusieurs fois mon âge, qu'il s'agisse de Dorian ou de sa mère.

— Si ce Samuel a pardonné ton acte sanguinaire sur sa personne, c'est que tu connais le pouvoir de la rédemption, Dorian. Pourquoi ne pas me l'offrir ?

Elle possède une voix si douce que j'ai parfois du mal à tout gober. Comment une aussi jolie et authentique femme peut se transformer en un monstre tel que celui que Dorian nous décrit ? L'ambiance est de plus en plus tendue, et je déteste tous ces regards posés sur nous. Pourquoi Dorian ne dit rien lorsque la situation s'y prête ? Il est aveuglé par sa rage, voilà pourquoi.

— Je connais parfaitement le pouvoir de rédemption, sinon Tara ne serait pas là. Et c'est pour cette raison précisément que tu n'auras pas le mien. Continue de m'espionner, grand bien te fasse. Que ma vie te serve d'exemple.

— Je vais m'en aller de ce pas, dans ce cas. Maintenant que tu te rappelles mon visage mais que le pardon est au-dessus de tes forces, je ne peux plus rien faire pour toi.

— Tu n'es que passagère dans tous les cas, que tes excuses soient faites ou non. Tu n'es qu'une feuille insignifiante parmi tant d'autres qui vole au gré du vent devant les yeux des autres. Pas besoin de me faire un sermon, si ça te chante, tu peux quitter mon bar, dans les plus brefs délais.

De droite à gauche, je les suis du regard. Samuel et Edgar se contentent de faire de même, silencieux face à la situation.

— Tu sais où est la sortie, prononce-t-il sèchement.

Et elle part, sans même se battre pour son sang, sa chair. Il est supposé être l'amour de sa vie, il n'est devenu qu'un étranger, finalement. Vêtue d'une vieille robe longue, elle quitte le comptoir, prend les escaliers et disparaît derrière le battant du rez-de-chaussée.

— Bon débarras. Je ne veux ni en entendre plus, ni en voir plus. Sa présence ne sera restée que quelques dizaines de minutes, à peu de choses près.

— Tu aurais pu la laisser parler... ajoute Edgar.

— Ne remue pas le couteau dans la plaie, Ed, il y a assez eu de dégâts comme ça.

Je me tâte à le résonner. Peut-être m'écoutera-t-il ?

— Au risque de passer pour une illégitime, elle a raison en ce qui concerne la rédemption, renchéris-je, doucement.

— Tu n'es pas illégitime, Tara, intervient à nouveau Edgar bien avant même que Dorian en ajoute une. Tu n'as pas choisi ce qu'il t'est arrivée, c'est tout.

— Justement. Elle a fait le choix de me nourrir comme un enfant aux yeux noirs et tu sais très bien ce que cela représente, grogne Dorian.

— Un enfant aux yeux noirs ? répèté-je.

— C'est une légende que peu de personne connaissent, mais les enfants aux yeux noirs sont chargés d'aller chez des inconnus et de les tuer. Ils sont souvent par deux, mais il est possible de n'en croiser qu'un seul. Ils insistent auprès de leur cible pour rentrer chez eux ou dans leur véhicule. Une aura angoissante les entourent, et la plupart des personnes saines d'esprit se résignent à refuser leurs avances. Les enfants aux yeux noirs sont là pour tuer eux-même des inconnus mais ne peuvent pas s'en prendre eux tant qu'ils n'ont pas donné leur aval pour entrer chez eux. D'après la légende, ils seraient nés humains par une mère devenue vampire en couche. Nourris principalement au sang, ils développerait un intérêt pour tout ce qui côtoie la mort. Il y a une variante, celle des enfants aux yeux blancs, aussi appelés anges de la mort, sont là pour effrayer et hanter des inconnus jusqu'à ce que leur mère vienne les tuer. Ceux-ci ne font pas le sale boulot et peuvent entrer chez des inconnus sans leur permission. Ils sont cependant un présage de mort, me raconte Samuel, impassible.

— C'est ça, ajoute Dorian. Elle voulait faire de moi un enfant aux yeux noirs. Quel pantin j'ai été.

Il ravale enfin sa colère lorsqu'il prend conscience des intentions de sa mère. Il semble de nouveau mou, sans énergie. Je n'ai jamais vu un vampire aussi flasque depuis que je traîne ici. Une information me taraude en revanche toujours l'esprit.

— Est-ce que Phoebe était sérieuse lorsqu'elle a parlé de Lamia ?

— Non, répond aussitôt Dorian. Elle voulait juste raconter de la merde et te faire flipper. Elle sait très bien comment le faire.

Je le sens tendu, mais pourquoi ? Je suis certaine qu'il ment encore. Il ne sait pas jouer à ce jeu-là. Si cette partie n'est pas vraie, alors il me cache autre chose. Dans quelques jours, je saurais quoi.

Plus que quelques jours...

Lorsque je pense à ça, je recommence à tousser, de manière encore plus rauque qu'à l'accoutumée.

— Va prendre l'air, si tu veux. Tu dois étouffer, ici.

— Je l'accompagne, se propose Edgar.

— Ouais, et si Phoebe traîne dans les parages, je t'autorises à la tuer de sang-froid.

Edgar ne relève pas et se dégage du comptoir avant d'emboîter le pas derrière moi. Une fois les escaliers grimpées, j'ouvre le battant, pénètre dans le rez-de-chaussée avant d'en ressortir quelques mètres plus loin. Il me tient la porte d'un bras au-dessus de mon visage avant de me laisser sortir et de me rejoindre.

D'un coup, l'air est réellement plus respirable qu'au sous-sol, c'est indéniable. Ed regarde de part et d'autre de la rue ; aucune signe de Phoebe. Il s'appuie sur la paroi en verre, les mains dans les poches de son pantalons kaki. Mes poumons récupèrent l'air dont ils ont besoin pour mieux supporter la douleur qui commence à se loger dans mes bronches.

— C'était vrai, pour Lamia ? insisté-je.

— Je crois que tu connais déjà la réponse. Si tu es prête pour une telle chose, je te tire mon chapeau. Si tu ne l'es pas, je te le tire tout de même, parce que se résigner à réellement mourir, c'est la chose la plus courageuse à mes yeux. Si tu es prête, je peux te donner un conseil d'ami : fait-le payer à Dorian, qu'il comprenne son erreur.

— Donc je vais devoir tuer...

Il se tourne vers moi, et son regard veut tout dire. Rien que d'y penser, ça me donne la bile. Suis-je vraiment égoïste au point de vouloir survivre et me débarrasser de Maxwell ? Après tout, je suis déjà un monstre. Mes yeux se perdent dans le paysage de la rue. Mourir et donner une chance à Max de refaire sa vie avec quelqu'un de meilleur que moi ou renaître de mes cendres, ne plus jamais le revoir mais accepter l'éternité avec Dorian ?

Je crois que consciemment, je ne pourrais pas faire de choix. Je suppose que seul mon inconscient décidera pour moi, qu'à cela ne tienne.

— Je te sens en quête de soulagement émotionnel.

— Je commence à être torturée mentalement, c'est ça ?

— Et tu n'as pas finis, Lamia.

Certainement pas.

— L'air te fais du bien, au moins ? me demande-t-il, finalement.

— Un minimum, mais ce n'est pas ça qui va me guérir. Trop tard pour aller à l'hôpital, trop tard pour la kinésithérapie, trop tard pour les prénoms. Toujours trop tard pour tout, finis-je enfin.

Je commence déjà à être essoufflée au bout de mes phrases. Mauvais présage. Je regarde les passants défiler, tant que je ne dis pas à Edgar que nous pouvons y aller. Cette décision me tiraillera jusqu'à mon dernier souffle. Dans tous les cas, je vais faire bouger ma vie pour mieux respirer. L'idée de savoir mes poumons morts et moi vivante est loin de me déranger, mais si seulement c'était si simple, tout le monde le saurât déjà. Il est sous mes yeux, cet acte inavouable qui peut faire pencher la balance. Quel côté choisir ?

— Tu peux y retourner, je rentre bientôt, lui dis-je, le cœur lourd.

Les poumons aussi.

Il s'en va en me gratifiant d'un sourire. J'aimerais tant me dire que je n'ai plus peur, mais ces mots sonnent si faux. Je suis seule dehors, livrée à moi-même, proie de Phoebe si elle le souhaite. Je ferme les yeux un instant, mais rien ne se passe.

Moi qui pensais qu'elle allait revenir une fois Edgar disparu. Il n'en n'est rien. Pourquoi suis-je toujours en vie ? 

Lamia : La Nuit Du Désespoir. {TERMINÉE}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant