Chapitre 35 - Dorian ♛ : Anniversaire sinistre, un supplice subtile.

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4 janvier 1991.

Est-ce qu'elle a deviné ? Je ne sais pas. Dans tous les cas, je ne peux pas imaginer ce qu'elle endure ces derniers temps, entre son combat intérieur contre sa propre mort et le fait que sa maladie est devenue bien plus grave depuis que Phoebe s'est pointée, comme si elle l'avait maudite. Je ne sais plus quoi penser, à vrai dire, elle s'en rendra compte seule. La vie a repris son cours depuis deux jours. Les humains affluent au rez-de-chaussée dès l'ouverture, et c'est ce qui me fait tenir debout. Tout le monde m'a déjà souhaité mon cent quatrième anniversaire, sauf Tara qui n'est pas encore arrivé. C'est comme si je pouvais sentir la fin s'approcher, sa rage déteindre sur moi.

Je lui ai dit quelques jours, à présent il ne doit rester que quelques heures. Et c'est avec grand plaisir que je lui donnerai de mon sang si elle en veut toujours. La porte claque enfin, l'aura chaude de Lamia s'immisce dans la pièce. Elle tousse déjà. Je me demande si elle prend vraiment ses traitements chez elle. Quoi qu'il en soit, il est en effet trop tard à son stade. Elle essouffle, à peine entrée.

Quelques heures.

— Bonjour, dit-elle froidement en s'asseyant à ma gauche.

Je n'ai même pas envie de la faire travailler, aujourd'hui. Elle mérite le repos lors de son dernier jour de vie. Encore une fois, je me résigne à lui dire, cela ne changera rien. Elle tousse, son infection a crée un trou béant dans son plexus. Je peux sentir sa douleur s'échapper de là.

— C'est trop dangereux de te faire travailler dans ton état. Il vaudrait mieux que tu rentres chez toi et que tu te reposes.

— Mais c'est ton anniversaire...

Je sais, et ça me troue le cul de savoir qu'elle va rendre l'âme aujourd'hui.

— On le fêtera l'année prochaine, et l'année d'après, et ainsi de suite, ds-je en me rassurant, le sourie aux lèvres.

— Ouais.

Lorsque je me tourne vers elle, elle m'analyse, le regard morne. Sans me quitter des yeux, elle demande un verre à Tony. En quelques secondes, le récipient claque contre le bois.

— Je te laisses faire ce que tu as à faire.

Elle me teste. Elle sait. Phoebe est une putain qui mérite de crever entre mes propres mains. La mâchoire serrée, je suis obligé de l'ouvrir. Supplice subtile. Sans détacher mon regard du sien, je perfore avec avidité mon poignet avant de prendre malin plaisir à remplir la moitié du verre. Il faut qu'elle ait la dose, au cas où. Elle joue avec son regard, attrape son contenant avant de boire d'une trait le liquide rouge rubis.

— Je vais y aller, dans ce cas, annonce-t-elle en reposant le verre à vin au pied étroitement long.

Il ne reste que des cendres de ce que je n'ai pas pu lui avouer. Elle va devoir faire avec. Son visage s'adoucit furtivement avant de l'entendre à nouveau faire tourner les rouages de ses poumons.

— Bon anniversaire, Dorian.

Elle se redresse, attrape mon visage entre ses mains et m'embrasse comme si elle allait vraiment mourir. Elle a comprit et elle m'en veux, je n'ai aucun doute là-dessus. Son corps me quitte finalement, comme si c'était le dernier jour.

— Elle semblait très détachée de la situation, intervient Edgar derrière moi.

— Je crois qu'elle a compris ce qui allait se passer après sa mort.

— Si tu as raison et qu'elle a prit de ton sang, c'est que tu as du souci à te faire. Elle voudra te le faire payer et plus tu résisteras, plus elle sera en colère, Dorian. Laisse-toi faire, elle capitulera toute seule lorsqu'elle se rendra compte que ça ne sert à rien.

Facile à dire. Tout en lâchant la porte du sous-sol, il vient s'installer à la place de Tara.

Je ne résiste que quelques heures avant d'avoir le courage de me rendre chez elle. Je laisse le rez-de-chaussée à Edgar et le sous-sol à Samuel le temps de voir ce qui se trame chez Tara. J'y vais à pas lent, tel un humain déambulant dans les rues de sa ville. Une chose me différencie de ces gens-là : j'ai un but à atteindre au bout de ma course.

La nuit est paisible, ce soir, mais bientôt je pourrais la voir se couvrir d'un voile couleur sang. J'arrive silencieusement dans les rues pavillonnaires de chez Tara avant de m'arrêter devant la petite maison aux briques rouges. Le salon est éteint mais à l'étage, la lumière est allumée. D'un mouvement, mon corps s'accorde au niveau de l'étage. Accroché sur le rebord du cadran, j'observe la scène sans grande difficulté. Son bon mari est installé sur une des chaises en bois que j'ai déjà aperçue en bas tandis que Tara se trouve sur son lit, main de l'un dans celle de l'autre. C'est niais à en crever.

On dirait qu'elle dort, mais je l'entends respirer de façon saccadée. Elle tousse une fois, deux fois, tente de lutter contre son affection. Je perçois les pleurnicheries de Max, serrant sa main de plus en plus fort. Son cœur flanche, et pas de douleur, mais bien d'amour.

Elle lutte encore durant des secondes interminables avant de capituler. Toujours les paupières closes, elle profite de son dernier souffle avant de dépérir sous nos yeux. Les hurlements de désespoir de son mari sont prêts à transpercer la vitre. Elle reste inerte un instant, comme si elle n'allait jamais se réveiller mais son corps gagne petit à petit en volume dans sa robe blanche que je n'avais pas remarqué cet après-midi. Une robe blanche comme celle d'un ange. C'est la première fois qu'elle en porte. Son poitrail gagne quelques centimètres de galbe, ses os discernables sous sa peau ne se voient désormais plus du tout. Son teint devient un peu plus blafard qu'avant sa mort. Je peux sentir la température se refroidir, elle perd en degrés.

— Que se passe-t-il ? panique-t-il en dirigeant son regard de haut en bas de son corps, toujours plein de sanglots.

— Elle se transforme, connard, grogné-je tout bas.

Il ne peut pas m'entendre mais j'aimerais bien lui cracher à la figure. Elle ne va pas tarder à se réveiller et sera soulagée de ne plus sentir ses poumons exploser contre sa cage thoracique. D'un mouvement de cils, ses paupières s'ouvrent sur un nouveau monde. Elle reste le regard fixé sur le plafond. Et ce qui était supposée ressembler à une tragédie se transforme de plus en plus en un miracle. La tragédie, c'est que mon rival humain va bientôt devoir se laisser tuer et offrir à Tara une vie tout autre que celle qu'elle a eu jusqu'à maintenant. Une vie de misère, même si elle est différente de celle de William Black.

Vie de misère un jour, vie de misère toujours.

La misère n'est pas une fatalité.

Non. Elle est n'est pas inéluctable. Tara en est la preuve morte. Est-ce que Phoebe aura l'audace de revenir dans ma vie après cela ? Aura-t-elle l'audace de défier ma rage, quitte à tuer mon ascendance ? Ce qui est certain, c'est que Lamia fera partie de ce passé sans réponse, qu'elle me haïsse ou pas. Et d'une manière ou d'une autre, l'une des deux devra sortir de ma vie.

Et si Zeus n'avait jamais rencontré Lamia ? S'il ne s'était jamais épris d'elle et qu'il n'avait jamais encouru la jalousie de Héra ? Et s'il ne lui avait jamais donné la faculté d'ôter ses yeux pour pouvoir profiter de son sommeil ? Alors ma vie n'aurait plus aucun sens. La vie de misère de Tara ne l'aurait jamais mise sur ma route et je n'aurait pas eu l'occasion de la transformer et de lui offrir une vie meilleure. Même si celle-ci se fera sans Maxwell Osiris.

Je prie tellement fort pour qu'elle me pardonne de ne pas lui avoir dit sur... l'après. Son statut de Calice pourrait se jouer de moi et me le faire payer. Une décision du karma me remettrai bien en place.

Et si le mythe était devenu une réalité des plus déroutantes qui soit ? 

Lamia : La Nuit Du Désespoir. {TERMINÉE}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant