Chapitre 15 - Dorian ♛ : Refus catégorique.

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— Tu devrais rentrer chez toi, ton mari va péter un boulon. 

Elle rigole, à présent le sourire aux lèvres. 

— Il finira par s’y habituer, je ne compte pas m’enfermer dans cette maison maudite qui me rappelle beaucoup trop de choses horribles. 

En parlant de ça, lorsque j’avais dû récupérer ses médicaments et sa machine en début de matinée, la porte d’une seconde chambre était ouverte à l’autre bout du couloir. J’ai hésité à entrer pour finalement me résigner. C’était m’approprier son passé, comme pour remplacer celui que j’avais oublié. J’ai besoin de ressentir vis à vis d’un passé, quel qu’il soit, de n’importe qui, j’étale mes ressentis sur ce que me racontent ceux qui m’entourent. Comme par exemple William et sa femme, sa vie parfaite avant de la rencontrer, son insouciance par rapport aux gosses. Ou encore à Edgar et toutes les horreurs qu’il a vécu avant de tomber sur ma personne. Il faut que je m’accroche à ce passé dont on m’a tant parlé. 

— Que dirais-tu de me montrer la chambre de ta fille, dans ce cas ? je tente de faire diversion afin de m’occuper durant cette journée. 

Au premier abord surprise, son visage finit par s’adoucir, et enfin de trouver l’idée loin d'être mauvaise. En réalité, ça sera toujours mieux que de rester dans cet endroit dérangeant. Je bondis du banc tout en me rattrapant sur mes deux jambes avant de tourner les talons. Avant même que j’arrive ici, je savais que quelque chose se tramait, qu’elle était encore plongée dans une profonde tristesse. J’aurais préféré dire que je ne savais pas dire pourquoi, mais c’est faux et archi-faux. Dès la seconde où j’ai posé les yeux sur cette jeune femme perdue au beau milieu de la rue piétonne, je savais qu’elle aurait quelque chose à voir avec cette histoire de Calice. Mon intuition me le prouve, cette fois, c’est moi qui m’entiche d’une pauvre humaine malade et je ne peux vraiment rien y faire à part attendre qu’elle fasse le premier pas elle-même, qu’elle prenne conscience de toute cette merde. Ça ne sera pas moi le fautif de sa séparation avec son mari complètement con. Égoïste ? Je sais.

Sur le chemin, nous repassons devant la construction de Necropolis et le Pont des Soupirs. En à peine quelques minutes, nous retrouvons les rues pavillonnaires en briques rouges. Les odeurs s'entremêlent et s’immiscent dans mes sinus, mais pas le temps de s’attarder là-dessus que Tara ouvre déjà la porte d’entrée en bois massif. En entrant, plus aucune odeur, plus de possibilité de s’évader, en dehors de la petite brune et son histoire brisée. Dans un mutisme palpable, elle referme l’accès, passe devant moi et retire les talons qu’elle portait jusqu’à maintenant en se tenant difficilement à l’escalier. J’attrape son bras et me sert d’appui à son niveau le temps qu’elle se déchausse. Elle me remercie finalement d’une voix essoufflée. Derrière elle, je me contente de grimper les marches deux à deux tout en effleurant le bois lisse de la rambarde. L’odeur est légère, bientôt remplacée par celle qui traîne à l’étage. Celle des larmes salées qui ont coulé durant des heures. Tara prend à gauche, et sa main quitte la balustrade. La porte de la petite pièce grince à en éclater les tympans. Une fois arrivés tous deux sur le seuil de l’accès, la lumière naturelle vient éclairer l’endroit pour le rendre presque beau. Le mur gris aurait pu rendre l’ensemble plutôt triste, à l’image d’un temps merdique comme il y en a souvent ici, mais au moins, ce n’est pas noir. Un lit blanc et une table à langer se trouvent l’un à coté de l’autre, jamais utilisés. Tout est en place, et là, je me dis avec stupidité que je ressens ce qu’elle peut ressentir. C’est faux, comme d’habitude, Dorian. Je n’aurai jamais l’audace d’essayer de savoir ce qu’elle subit au quotidien, moi qui ait tout oublié de ma vie antérieure. 

Bordel, Dorian, quand est-ce que tu auras les couilles de ressentir tout par toi-même, d’avoir tes propres souvenirs plutôt que de vivre aux travers de ceux des autres ?

Lamia : La Nuit Du Désespoir. {TERMINÉE}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant