34- All the night

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Mon réveil sonne, je l'éteins désespérément, la pluie m'a réveillée il y a plusieurs heures et jusque-là j'ai été incapable de me rendormir. J'attrape mon téléphone et je regarde la date, putain c'est la date limite pour donner ma lettre à Thomas.
Je n'ai toujours pas trouvé quoi écrire mais il me reste le dessin que j'avais fait, et je me dit que ça fera bien l'affaire. Quand j'ouvre l'enveloppe pour le regarder les larmes me montent aux yeux, j'ai plutôt bien réussi à représenter notre relation. Relation qui n'existe plus.
D'après la météo, la pluie va un petit peu se calmer alors je décide d'y aller en courant.
Une fois en tenue de sport et mes cheveux remontés en une queue de cheval, je prend mon courage a deux mains et commence a partir vers chez Thomas. J'ai demandé à Lilia de m'envoyer son adresse et j'espère qu'elle ne s'est pas trompée car c'est à l'autre bout de la ville, faire demi tour n'est pas vraiment dans mon plan.

Je m'arrête devant le grand immeuble quand le GPS m'indique que je suis arrivée. Je m'assoie sur les marches afin de reprendre mon souffle et d'essayer de rassembler mon courage. Si j'ai de la chance Thomas n'est pas là et j'aurai simplement à glisser la lettre sous la porte, si j'ai de la chance...
Une fois montée, je prend une grande inspiration et toque enfin à la porte. A ma grande surprise un homme, plutôt âgé, m'accueille. Désemparée j'essaie de formuler
- bonjour, euh je suis Eliana, une amie de Thomas.
- oh il n'est pas là.
Je me réjouis intérieurement mais essaie de le cacher avec un sourire contrit. Mais l'homme continue
- mais ce n'est pas grave, entre !  Sans attendre ma réponse il s'éloigne dans l'appartement laissant la porte grande ouverte. Je suis partagée entre la joie de ne pas voir thomas et l'embarras de me retrouver seule avec ce que je pense être son père.
Je le retrouve dans une grande pièce qui s'apparente à un salon, il se tourne enfin vers moi.
- installe toi met toi à l'aise.
Je m'assois alors inconfortablement sur le fauteuil le plus proche de moi, et je commence
- je suis venue porter un projet de littérature que je devais rendre à Thomas.
- dis moi tu aimes le thé ?
- euh oui monsieur.
- parfait tu peux aller mettre ton projet dans la chambre de thomas pendant que je prépare le thé dans ce cas. Première à gauche dans le couloir.

Je me lève un peu abasourdie et me dirige vers le couloir tandis que il est déjà retourné en cuisine ou je l'entends s'affairer. Cet homme est étrange, mais il ressemble incroyablement à thomas alors je lui accorde un peu de ma confiance, même si j'éprouve du mépris pour son fils. Dans le couloir j'observe les photos accrochées au murs, thomas à 5 ans, entourée de sa mère et son père, sourit, puis environ 5 ans plus tard, à coté est placée une autre photo ou son sourire est beaucoup moins joyeux.
Je sais que sa mère est décédée au collège mais une grande part de mystère l'entoure encore.

Je pose la main sur la poignée de la porte que m'a indiquée mr. Peterson, je ne me sens absolument pas à ma place et j'ai l'impression d'enfreindre une centaine de lois. Pour me rassurer je me dis que Thomas s'en fout sûrement et ne le saura peut être même jamais.
Sa chambre est beaucoup moins sombre que ce que j'imaginais, elle est empreignée de son odeur qui me rappelle quelques souvenirs des vacances au ski, ou je l'avais sentie d'un peu, trop, près.
C'est plutôt simpliste, seul un tourne-disque et plusieurs vinyles accrochés habillent les murs. Je m'approche de son bureau pour déposer l'enveloppe et je remarque un cadre avec une photo de Matt et lui quand ils avaient maximum 10 ans. Je ne peux m'empêcher de sourire devant cette photo, mais je reprend mes esprits et sort de la chambre juste avant que son père revienne dans le salon.

Je m'assois a nouveau sur le fauteuil en constatant qu'il n'est toujours pas revenu. Mes yeux s'attardent sur un nouveau portrait de famille, cette fois Thomas est plus vieux, ses traits sont tirés et la ressemblance avec sa mère est frappante. Elle aussi a changé, elle sourit mais ses cernes et ses cheveux ternes montrent un manque de soin de sa part comparée à la photo du couloir. Une centaine de questions se bousculent dans ma tête, je me demande quel évènement a bien pu se produire entre ces deux photos pour hanter thomas comme il l'est aujourd'hui. L'arrivée de son père les fait taire, mais je remarque que ses yeux s'attardent sur la photo un long moment.

- elle vous manque ?

Il lève les yeux vers moi, étonné.

- Thomas t'as parlé d'elle ?

- oui, un peu.

il s'arrête un moment pour servir le thé puis reprend

- elle me manque énormément, c'était l'amour de ma vie. Mais tu sais la maladie l'a beaucoup changée, à la fin c'était, uhm, différent.

Il change de sujet et aborde celui du lycée mais mes pensées restent accrochées a ce qu'il vient de dire. Je me demande si un jour quelqu'un dira de moi que j'étais l'amour de sa vie avec autant de sincérité que cet homme vient de le faire. Ma vision de l'amour est quelque peu destructrice entre le divorce de mes parents qui a rendu ma mère incapable de faire autre chose que travailler, et mon premier copain qui m'a montré que j'étais impossible a aimer.

Je réponds a toutes ses questions mais il me parait comme éteins, même si il parvient a le cacher, j'ai l'impression que le décès de sa femme a tué une partie de lui. Il me fait penser a ma mère, après le divorce elle est devenue comme robotique. Et donc incapable de se rendre compte dans quel état j'étais.  On a entretenue une relation superficielle et nous le faisons toujours, tant qu'elle était concentrée sur son travail, c'est a dire tout le temps, un sourire parvenait a la convaincre que j'allais bien.

Notre discussion est interrompue par un éclat de rire précédé par le bruit de la porte qui s'ouvre. Quelques secondes plus tard Thomas débarque dans le salon et s'arrête quand il m'aperçoit assise avec son père. Au moins maintenant il ne peux plus m'ignorer. Mais c'est a mon tour d'être choquée lorsque j'aperçoit Victoria se tenant derrière lui. Elle est bien habillée et coiffée, ce qui me rappelle que je suis en tenue de sport et que ma queue de cheval est a peine potable.

Evidemment que c'est avec elle qu'il est, me souffle ma conscience.

Je secoue la tête perturbée, et me lève tandis qu'un silence s'installe dans le salon. Thomas reste très froid avec son père, et l'est tout autant avec moi. Je décide d'achever ce supplice en annonçant

- merci beaucoup monsieur pour le thé. Mais il recommence a pleuvoir et je dois rentrer en courant alors je vais y aller.

Il hoche la tête et me tends sa main, que je serre poliment. Puis je me tourne vers Thomas et Victoria, que j'ignore, et ajoute simplement

- la lettre est sur ton bureau.

Un nouveau moment de silence s'installe mais son père le coupe en demandant

- thomas raccompagne la s'il te plait.

Il passe une main dans ses cheveux l'air gêné, et est sur le point de répondre lorsque je le coupe

- merci mais je connais le chemin. Au revoir monsieur.

Quand je passe la porte les larmes me sont déjà montées aux yeux alors je commence a descendre les escaliers en courant pour sortir au plus vite de ce foutu immeuble. Une fois sur les marches de dehors j'entends thomas crier mon nom, mon cur s'emballe et un petit espoir né en moi.

Mais non, quand je me retourne c'est toujours le Thomas des deux dernières semaines qui se trouve face à moi, pas celui que j'ai appris a connaitre cette année.

- tiens t'as oublié ton téléphone.

Je reste la quelques secondes a attendre quelque chose d'autre, un "pardon" ou n'importe quoi qui sortirait de ses lèvres. Mais rien ne se passe alors avant que les larmes qui remplissent mes yeux ne perlent sur mes joues je lui tourne le dos et recommence a courir.

Et je craque.

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