Côte à côte

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      Ma nuit fût plus rassurante que d'habitude car pour la première fois depuis la disparition de ma famille je ne dormais pas seule. Du moins jusqu'à ce que je me réveille en panique, sentant que la présence à mes côtés s'était évanouie. Il faisait encore frais et le ciel encore pâle du matin brûlait mes yeux, ce qui ne m'empêcha pas d'apercevoir l'homme qui m'avait tenu compagnie entrain de s'éloigner, bien décidé à m'abandonner seule dans cet endroit sordide. Ni une ni deux, je saisis mon paquetage et partis à sa poursuite. Entendant mes pas précipités derrière lui, il se retourna pour constater que je ne comptais pas le laisser s'en aller comme ça. Une expression agacée s'afficha sur son visage alors qu'il tourna les talons pour reprendre son chemin. Je ne fus pas découragée par ce rejet, accélérant ma course pour enfin terminer à son niveau.

     - Petite je t'ai dis que je ne t'apprendrai rien alors vas voir ailleurs si j'y suis.
     - Je m'appelle Camille. Voila! Maintenant que vous savez mon prénom, je ne suis plus une inconnue pour vous. Alors vous devez vous sentir concerné par ma situation.
     - J'ignore qui t'a appris des conneries pareilles mais c'était un idiot. Vas jouer plus loin et laisse-moi tranquille.

     L'homme sortit la carte de son sac et la consulta avec intérêt tout en continuant d'avancer. Alors que je gonflai les joues pour montrer mon mécontentement, j'essayai d'un geste vif de saisir le papier qu'il tenait dans ses mains. Mais semblant lire chacun de mes gestes, le vieil homme esquiva ma tentative avant de reprendre tranquillement sa lecture comme si de rien n'était.

     - Vous possédez ma carte.
     - Elle ne te sera d'aucune utilité si tu ne sais pas la lire.
     - Alors apprenez-moi à la lire.
     - Tu sais, les gosses comme toi me sortent par les yeux. Dans mon temps, on ne répondait pas de cette façon aux aînés. Où est le respect de la jeunesse? Je me le demande.

     Il replia la carte et la rangea bien à sa place. Il se saisit à présent d'une boussole et orienta sa marche en se focalisant sur la direction que prenait l'aiguille. La façon dont il agissait semblait particulièrement maîtrisée et d'une certaine manière il me rappelait un peu Joan. En le regardant, je comprenais à quel point je ne savais rien sur le monde qui m'entourait et encore moins comment y faire face. Sa posture était droite et il arborait un air sûr de lui que je lui enviais beaucoup. Il s'obstinait à refuser de m'apprendre quoi que ce soit et pourtant je me voyais déjà fascinée par son silence. Ses yeux parlaient pour lui, traduisant une expérience de la vie que seul un homme de son âge pouvait se venter de détenir. Ce savoir que je brûlais de connaître, j'étais bien décidé à le suivre jusqu'à ce qu'il accepte de me l'enseigner. Mais malheureusement, lui ne semblait pas voir les choses de la même façon. Il stoppa sa marche et se tourna vers moi.

     - Pour la dernière fois, arrêtes de me suivre.
     - Je refuse. Je veux que vous m'appreniez.
     - Je t'ai dis que je n'avais pas que ça à faire. Tu commences à vraiment me faire perdre patience petite, ne m'oblige pas à te faire m'obéir.
     - Vous allez faire quoi, me tirer un carreau entre les deux yeux? Vous ne m'auriez pas laissé manger avec vous ni passer la nuit à vos côtés si ma survie ne vous concernait pas un tout petit peu.
     - Non, je vais t'attacher à un arbre.

     Il m'attrapa le bras, le serrant à m'en faire couiner. Il avait de la force celui-ci ! Mais alors qu'il commença à me traîner de force vers un arbre trônant fièrement au milieu d'une petite plaine d'herbe jaunis, un rugissement des plus intimidants raisonna dans l'atmosphère de la lande. Son étreinte se défît et il attrapa la poignée de mon sac pour me tirer avec lui, prenant la fuite vers la lisière de la forêt. La bestiole semblait être bien plus grosse que nous étant donné la puissance du cri et si il préférait déguerpir plutôt que de l'affronter c'était certainement pour une bonne raison. Essayant de suivre son rythme, je trébuchai à moitié sur une racine, m'éloignant de lui. Mais il ne s'arrêta pas pour m'attendre bien au contraire, étendant la distance nous séparant pour vite se dissimuler entre les arbres de plus en plus nombreux autour de nous. Par réflexe, je lançai un regard vers la créature pour voir de quoi elle avait l'air : la chose était aussi haute qu'un des arbres de l'orée et se présentait comme une masse de muscles montée sur quatre pattes dotées de sabots. De grandes cornes menaçantes s'étendaient en nombre sur le dessus de sa tête et un naseau coulant de mucus était planté au milieu de sa tête. La sentant se rapprocher, je me vis hésiter entre courir et lui mettre le feu avant de me rappeler que je me trouvais dans un lieu boisé et que donc le terrain n'était pas idéal pour l'utilisation d'un lance-flammes. Ma course reprit, essayant simplement de semer la bête qui avait du mal à se mouvoir dans cet espace trop restreint pour tenir sa carrure de colosse. Le vieil homme avait bien joué son coup en nous faisant traverser la forêt. Sautant au dessus des troncs couchés au sol et esquivant les rochers mousseux sur lesquels je manquai plusieurs fois de tomber, l'écart se creusa davantage à chaque nouveau pas. Si bien qu'il arriva un moment où la créature fût totalement hors de vue.
     Mon souffle était si court qu'on aurait dit une asthmatique en besoin de sa ventoline. Il me fallut un temps pour que ma respiration redevienne normale. Un petit coussin de mousse au milieu d'une clairière accueillit mon dos, étalant mes bras de tout leur long sur la surface douce et molletonnée. Une bonne odeur de plante fraîche et de pollen sucré se dégageait du parterre, me donnant d'autant plus envie de m'y reposer. C'était curieux un tel endroit perdu au milieu d'une forêt aussi hostile, mais j'étais trop bien installé et je me laissai convaincre que c'était tout simplement possible. Reprenant petit à petit mes esprits, je repensai à l'homme qui avait finalement réussi à me planter. En avait-il fait autant avec le monstre qui nous poursuivait ? Sûrement. Il avait l'air d'une personne intelligente et d'autant plus dans ce qui concernait survivre. Je commençais à croire que chacune des choses qui existaient maintenant en ce bas monde étaient faites pour nous dévorer. Mes mains caressaient candidement la mousse, réfléchissant à ce que je comptais faire maintenant. Il était sûrement plus judicieux de rependre mon chemin vers une colonie où je serai en sécurité puisque mon espoir d'avoir un mentor s'était envolé avec lui.
     Je m'assis dans la volonté de vouloir me lever, mais un tremblement me fît retomber sur les fesses. Songeant à une nouvelle maladresse de ma part, je réitérai mon geste mais il se passa la même chose une seconde fois. Je fronçai les sourcils, intriguée. C'est alors que je sentis quelque chose remonter le long de mes jambes et mes bras dans une sensation froide et gluante qui me faisait penser à la texture des limaces. Il s'agissait en réalité de tentacules verts provenant du sol entre les blocs de mousse. Un écho à mon affaire de sangsues me fît pousser un cri de terreur, mais il était trop tard pour me dépêtrer de cette situation. La chose me tenait fermement, m'empêchant de me relever. Les coins de la clairière s'élevèrent, se séparant entre quatre parties visant à se refermer au dessus de ma tête. L'odeur de pollen sucré devint bien plus forte alors que je sentis le bas de mon corps commençant à mariner dans une substance chaude et visqueuse. Je venais de tomber dans le piège d'une immense plante carnivore. Hurlant de détresse, je tirai autant que possible sur mes liens bien trop solides pour que je n'arrive à les faire céder. La lumière du jour disparut complètement lorsque les coins se scellèrent, m'enfermant dans un gros bulbe aux tons rougeoyants de plus en plus remplis par ses sucs gastriques. Des vapeurs jaunâtres s'en dégageaient et je me mis bien vite suffoquer, par manque d'air mais aussi par panique. Je donnai des coups de pieds contre les parois élastiques qui ne semblaient pas du tout vouloir se déchirer. Mes bras bloqués près de mon corps, il était impossible pour moi d'attraper la moindre chose dans mon sac à dos. J'étais sans défenses dans le ventre de ce montre géant et j'allais me faire digérer vivante.

     - A l'aide ! Au secours !

     Alors que je savais pertinemment que personne n'allait m'entendre, je poussai dans un dernier espoir des cris de détresse en espérant qu'ils puissent retomber dans l'oreille de quelqu'un. Sentant le niveau monter davantage, mes cris se firent plus forts encore. Mais je fus finalement coupés, submergée par le liquide sucré. Le bulbe s'était entièrement remplis et la plante venait d'entrer en phase de digestion. Quitte à mourir, je priais pour finir noyée avant de sentir fondre la moindre partie de mon corps. Le liquide me piquait les yeux et l'intérieur du nez, et je n'allais pas tarder à relâcher mon air que je retenais aussi fort que possible dans mes poumons. Quelle honte pour moi de finir ainsi. J'espérais qu'une fois totalement ingérée même mes os auraient disparus pour que l'on ne retrouve jamais la preuve de mon incompétence.
     Tandis que je faisais mes dernières prières, je sentis une agitation dans l'estomac du monstre, et un rugissement fît frémir tout l'intérieur de son corps. C'est alors qu'un courant m'emporta avec violence et que je m'écrasai brusquement contre le sol, toussant mes dernières réserves d'air sans comprendre ce qu'il m'arrivait. Regardant au dessus de moi, je vis la plante ressemblant à un gros chou fleur ouverte en deux et se vidant de son contenu, dégonflant petit à petit. Je clignai plusieurs fois des yeux pour m'assurer que tout était bien réel avant de tâtonner chaque partie de mon corps voir si il ne me manquait rien. La peur me prit à nouveau quand mon bras fût saisit, me tirant avec force pour me remettre debout. Je me vis terriblement soulagée en me rendant compte qu'il s'agissait en fait de l'inconnu de la nuit dernière. Un rire nerveux m'échappa.

     - Merci..
     - Mais c'est pas vrai ce que tu peux être bécasse. Je t'abandonne trois minutes, trois ! Et tu trouves le moyen de te faire bouffer par une plante carnivore.

     Il m'emmena à l'écart du cadavre encore fumant, ne me lâchant pas. J'avais l'impression de voir mon père lorsqu'il me grondait, la sensation était d'ailleurs vaguement la même à ce moment là. Il était intervenu pour que je ne me fasse pas tuer, il m'avait par conséquent une nouvelle  fois sauvé la vie. Je sentais dans mon cœur une reconnaissance grandissante à son égard et je n'avais plus envie de décevoir cet homme. Il fallait que j'apprenne, et que je lui prouve que ça ne serait pas en vain.

     - Où vous m'emmenez..?
     - Il faut que tu te laves. Tes vêtements, ta peau et tes cheveux. Tu empestes la bile. Tant que tu porteras l'odeur sur toi, nous serons des proies vulnérables.
     - Nous?
     - Ça ne m'enchante vraiment pas plus que ça, mais je n'ai pas envie de porter la responsabilité de ta mort sur mes épaules. Et vu qu'il est certain que tu vas mourir sans moi, j'ai décidé que j'allais  t'enseigner les bases pour que ce genre d'incident ne se reproduise pas.

     Je sentis mon cœur s'emballer, ne pouvant pas m'empêcher de sourire à pleines dents. L'homme que j'admirais à présent m'avait donné son accord pour devenir mon instructeur. Je me mis à sautiller, accélérant mon pas.
     Il traversa une partie de la forêt avant de s'arrêter sur une pile de rochers près d'une nouvelle clairière, cette fois vide de tout danger. Je pouvais le déduire d'après le regard du vieil homme qui ne semblait pas inquiété de s'arrêter ici. Il me lâcha, désignant un petit bout de rivière qui à vue d'œil était profonde jusqu'aux genoux.

     - Tu vas aller te laver ici. Je vais rester là et monter la garde.
     - Vous n'allez pas regarder hein?
     - N'importe quoi. Quel intérêt j'aurais à reluquer une minette de ton âge franchement?
     - Bah.. Certains adultes ne détestent pas ça.
     - Je ne veux pas savoir quel genre de choses tu as vécu pour me sortir des conneries pareilles, ça ne m'intéresse pas. Allez dépêche toi d'aller te laver.

     Il s'assit contre un tronc, dos à la rivière. Il ne semblait réellement pas intéressé de me voir dénudée, ce qui me soulagea. Je descendis jusqu'au bord de l'eau et un à un mes vêtements retombèrent à mes pieds. Je plongeai mes orteils en premier dans l'eau qui n'était pas aussi froide que ce que j'avais pu craindre, rentrant petit à petit jusqu'aux genoux. Puis je m'assis sur un petit rocher, montant l'eau jusqu'au dessus de ma poitrine. Après tout ce temps, un bon bain ne pouvait me faire que du bien. Alors que je passais lascivement l'eau sur mon corps, je jetai de temps à autre un œil vers mon nouvel ami qui lui en revanche ne portait jamais le moindre regard en ma direction. Il était plutôt occupé à lire la carte qu'il m'avait prise, semblant réfléchir à un nouvel itinéraire. Un itinéraire pour où d'ailleurs?

     - Je pensais. Vous ne m'avez toujours pas dis votre nom. Maintenant que nous nous sommes décidé à passer du temps ensemble, il serait certainement plus pratique de me le dire.
     - Allan.
     - Allan? J'aime bien Allan.
     - Puisqu'on a le temps de discuter, peut-être que tu vas pouvoir m'expliquer ce qu'une gamine de ton âge fait seule à la surface ?

     Forcément, c'était une question que l'on était en droit de se poser. Je me demandais d'ailleurs la même chose à son égard. Mais ne voulant par me permettre l'impolitesse de répondre à une question par une autre question, je me mis à lui raconter mon histoire. C'était très dur pour moi de revenir sur ces derniers événements de ma vie car la blessure était encore grande ouverte dans ma poitrine.

     - ... Et maintenant, je recherche une nouvelle colonie pour ne pas avoir à rester seule. Voila, vous savez tout.
     - Si tu veux un bon conseil Camille, ne t'attache jamais à personne. Dans ce monde, ça ne fera que te causer des ennuis.
     - Comment ça des ennuis ?
     - Tu verras bien si tu y es confronté un jour.
     - Je vois. Si non, j'ai lavé mes cheveux et mes vêtements, mais je n'avais pas prévu la suite. Je n'ai rien d'autre pour m'habiller.

     Allan se leva puis déposa sur le rocher à côté de lui un petit tas de vêtements masculins. Il s'éloigna pour me laisser venir les récupérer sans être vue. Je quittai donc mon petit bassin en ramassant mes affaires puis vins me vêtir de ce qu'il m'avait donné. Un pantacourt beige ainsi qu'une chemise bleu à manches courtes. C'était légèrement trop grand, mais au moins c'était confortable.

     - Vous vous trimbalez souvent avec des vêtements de jeunes hommes dans votre sac Allan?
     - C'étaient les vêtements de mon fils. Tu peux les garder si tu veux.

     La sensation que je venais de faire une gaffe m'étrangla soudainement et je ne pris pas le risque d'ajouter le moindre mot même si la question de ce qui lui était arrivé se faisait forte au bout de mes lèvres. Je le vis étirer un fil de pêche qu'il accrocha à son paquetage, puis il reproduisit ce geste une seconde fois pour le miens. Il étendit ensuite mes affaires dessus pour les faire sécher et qu'ils ne moisissent pas en bouchon au fond de mon sac. Il était maintenant temps de reprendre notre route, marchant cette fois-ci côte à côte. 

 

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LA FAUCHEUSE ROUSSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant