Sur les traces d'une nouvelle vie

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     L'hiver touchait enfin à sa fin. Les premiers bougons apparurent en même temps que les beaux jours, annonçant le retour du printemps. Les dernières neiges avaient fondues pour laisser la place à de nombreuses plantes qui vivaient une énième renaissance. Sur les dernières semaines, je dois admettre que la famine avait commencé à se faire ressentir très violemment, les provisions mises de côté touchant à leur fin et les rations se faisant de plus en plus petites. Il y eut même des jours où manger s'avérait être plus du gaspillage qu'autre chose et donc je ne touchais pas à mes bocaux pour me permettre de les garder plus longtemps. Le gibier s'était lui aussi fait absent durant cette période, rien alentours hormis de temps à autres une petite taupe en hibernation dans un trou ou d'autres bestioles de la même envergure. Généralement, je les laissais à Croc Blanc qui avait bien évidemment lui aussi grand besoin de se nourrir, mais parfois je pouvais jouir avec lui d'un petit bout de viande pour varier mon alimentation. Le petit monstre n'avait plus quitté ma compagnie depuis le jour où il m'avait sauvé de ce type qui s'était avéré bien utile pour garantir à manger à mon compagnon pendant plusieurs jours, même semaines. Les os m'avaient ensuite servis pour fabriquer d'autres outils plus solides, comme un couteau, des pointes de flèches ou encore un bol avec son crâne et une petite machette pour couper les arbres avec son fémur. Aussi cruel que cela pouvait paraître, il n'y avait pas de gaspillage en survie. Tout était à récupérer, sur les animaux comme sur les hommes. Dans ce monde, c'était manger ou être mangé, et je ne comptais pas me laisser avaler si facilement. Et puis je commençais à avoir l'habitude du sang et des tripes depuis toutes ces années. 
     Avec ces quelques mois cloîtrée dans ma petite cabane, faisant face à moi-même et parlant de longues heures avec Croc Blanc pour m'occuper, un autre problème s'imposa à moi, un problème d'envergure et que je n'avais pas du tout anticipé. L'ennui. Je m'étais terriblement ennuyé durant cet hiver, presque plus que lorsque j'habitais encore avec Henri et le reste de la colonie. Plus même d'ailleurs. Beaucoup plus. En effet, je m'étais échappé de là bas pour faire ma vie comme bon me semblait et vivre selon mes valeurs, mais j'étais devenue sédentaire pour mon propre bien et pour que ma survie soit plus simple en me donnant une situation stable et sécurisée. Seulement voila, l'envie de voyage avait dévoré mes jambes durant toute cette saison jusqu'à m'en provoquer des impatiences. Malgré tout l'occasion ne se présentait jamais à moi. Chaque fois que j'avais envie de partir, je regardais dehors et me disais que ce n'était pas le bon moment, que je mourrais si je quittais mon abri en plein hiver. Alors je restais là, à attendre que le temps passe en essayant de survivre avec ce que j'avais autour de moi. Mais pour quoi faire? Juste pour me réveiller le matin et m'endormir le soir? J'avais besoin de plus que ça. Cette vie ne me convenait pas et ne me conviendrait jamais, aussi confortable qu'elle soit. Je m'étais alors convaincu que je pourrais définitivement quitter cet endroit à l'arrivée du printemps, et aujourd'hui il était enfin de retour. Bien évidemment, mon hésitation à partir restait plus qu'immense. J'avais passé tant de temps à faire de cet endroit mon chez moi, à bâtir toutes ces choses pour me constituer un confort, à entretenir mon potager pour que je puisse me nourrir sans avoir peur de tomber en pénurie. Laisser tout ça derrière moi pour me lancer dans l'inconnu était terrifiant. Mais en même temps, à quel moment de ma vie n'avais-je pas été terrifiée? Je ne me souvenais même plus d'avoir déjà vécue sans la peur au ventre. L'appel était trop fort. Je devais absolument partir d'ici le plus vite possible.

     Mes derniers bagages furent prêt au petit matin suivant, mes armes sur le dos et ma gourde à la ceinture. Mon sac était assez peu lourd malgré tout le barda que j'avais accumulé, ne me munissant que du nécessaire et abandonnant tout le superflu derrière moi. Il se montrerait sans doute utile dans la mesure ou un nouvel humain investirait les lieux. Une fois dehors, je ne pu m'empêcher de contempler de longues minutes l'habitat qui m'avait permit de survivre toute cette dernière saison. Croc Blanc, sentant ma nostalgie, vint frotter sa tête contre ma main pendante pour me montrer son soutien. Il m'en tira un sourire, recevant au passage une agréable caresse entre les oreilles. 
     Prenant enfin mon courage à deux mains, je fis dos à ma dernière demeure pour tracer ma route à son opposé, suivie de mon fidèle ami le monstre. Nous quittions cet endroit pour le mieux, et plus je prenais de la distance et plus mon cœur s'embaumait d'excitation. Adieu, chaumière de fortune, et bonjour monde inconnu. Je traversai donc toutes ces parcelles que j'avais tant exploré ces mois passés, jetant un dernier regard sur elles par la même occasion. Ces terrains de chasse que j'avais bon nombre de fois foulé de mes pas. Ce petit potager dont les premières pousses commençaient à sortir leurs têtes du sol. Ces landes où les champignons poussaient le mieux pendant l'automne. Je remontai le lit de la rivière qui m'avait abreuvé tant de fois, traversant maintenant le territoire de cette affreuse araignée que j'avais abattu l'hiver dernier. Il ne me fallut pas bien longtemps pour tomber sur sa carcasse presque entièrement dévorée, davantage terrifiante avec ses dizaines et dizaines d'orbites vidés de leurs globes oculaires. Quelle abomination. Je ne m'attardai pas dans cet endroit, outrepassant officiellement la ligne que je m'étais interdit de franchir. Et voila, mon premier pas vers un monde encore inexploré.
     La fin d'après-midi arriva très vite, Croc Blanc et moi entamions notre première pause depuis notre départ. Nous avancions lentement, ayant probablement parcouru à peine une vingtaine de kilomètres jusqu'ici. Mais rien ne nous poussait à accélérer le pas pour le moment, profitant de n'avoir croisé la route d'aucun monstre pour nous balader insoucieusement. La forêt avait disparue derrière nous et à présent nous longions les sentiers de campagne, beaucoup moins peuplés que dans notre ancien biome, pouvant enfin voir de belles étendues à perte de vue. Notre but pour le moment était d'atteindre le flanc de montagne que l'on apercevait au loin pour pouvoir nous déplacer plus en hauteur et avoir un regard plongeant sur tout danger potentiellement dans nos alentours. Il n'était pas très judicieux de rester sans une vue globale de nos environs, et Allan m'avait souvent répété que le meilleur moyen d'éviter les attaques surprises était d'avancer en altitude. 
      Ce fût à la tombée de la nuit que notre campement de fortune se monta dans une alcôve s'étant creusé à l'intérieur d'une paroi rocheuse. J'y installai quelques petites babioles pour m'y trouver confortablement installée et entrepris de faire un feu pour réchauffer le peu de patates qu'il restait dans mon sac. Une fois tout prêt, je mis mon plat dans le feu et attendis que le tout rôtisse, profitant de cet instant pour m'abreuver. Je ne bu pas trop pour conserver de quoi me désaltérer demain, mais il allait falloir trouver une source d'eau pour remplir la gourde d'ici quelques temps. Mon filtre faisait évidemment partie des équipements essentiels de mon sac, m'assurant ainsi la garantie d'une eau potable partout où j'irais. Il faisait encore bien froid ce soir, et j'étais bien contente de pouvoir un peu me réchauffer près du feu en mangeant malgré les peaux de bêtes entassées sur mon dos pour conserver ma propre chaleur. Croc Blanc était allongé auprès de moi, récupérant un peu de sommeil. Le pauvre animal n'était probablement pas habitué à faire de longues distances comme ça, plutôt habitué à avoir son petit territoire sur lequel il chassait et vivait toute l'année. Je lui offris une petite caresse, attendrie. Cette simple bestiole était la preuve même que tout les monstres n'étaient pas des tueurs d'humains sanguinaires. C'était rassurant de se dire que tout n'essayait pas forcément de nous dévorer à la surface. Et puis quelque pars, je me sentais plus en sécurité en sa compagnie. Le lapin était doté d'une meilleure ouïe que moi et avait un odorat bien plus développé que le miens, et je savais qu'il n'hésiterait pas à me porter secours si un danger rodait autour de nous. Je pouvais me défendre seule bien sûr, mais un soutien de cette nature n'était tout de même pas de refus dans un environnement aussi hostile. Le lapin se tendit d'un seul coup, dressant ses oreilles. Il venait probablement de capter le son d'une bestiole entrain de chasser non loin de notre position, et c'était sans doute le signal pour notre départ. Un bon repas attirait forcément par son odeur et sa chaleur et il était plus judicieux de déguerpir le plus vite possible une fois que l'on était rassasié. Il était temps de lever le camp. Avec le pied, j'ensevelis le feu sous la terre pour l'éteindre après avoir ramassé toutes mes affaires, et nous étions repartis pour une longue marche.

LA FAUCHEUSE ROUSSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant