Il faisait très froid ce matin. Ce fût la première chose que je sentis alors que mon petit corps frêle commençait à s'animer. Grâce au carrelage qui m'avait servi de lit des courbatures dignes d'un sexagénaire tiraillaient sans pitié toute ma colonne vertébrale. Dans un gémissement encore tout enroué, je me redressai sur mes petits bras pour essayer de m'asseoir sans trop de douleur. Papa était déjà réveillé et avait prit soin de relancer le feu pour que tout le monde puisse se réchauffer. Joan était encore couché mais elle me souriait comme pour me dire bonjour sans avoir à parler. Quand à Christopher, il n'avait pas encore été tiré du sommeil. Sans doute avait-il besoin de plus de repos que nous autres, alors était-il judicieux de lui laisser du temps pour dormir. Un bâillement décrocha ma mâchoire alors que je m'étirai dans un craquement sourd pour essayer de sauver mon pauvre petit dos à l'agonie. Joan se décida finalement à quitter la position couchée pour venir se rapprocher de moi en se glissant à mes côtés. Ses bras tout froids se serrèrent autour de moi et sa joue s'appuya contre le dessus de ma tête tandis que son regard endormi se posa sur le feu.
- Bonjour ma puce..
- Bonjour Joan.. Tu as bien dormi?
- Ouh ne m'en parle pas chérie j'ai l'impression qu'un régiment d'infanterie a piétiné mon dos pendant la nuit..
- Un.. Régiment d'enfanterie..?
Joan eut un petit rire que je ne compris pas vraiment, puis elle frotta ma chevelure dans sa paume en emmêlant mes mèches entre elles. Je haussai les épaules en me disant que ça n'avait sans doute aucune importance puis regardai mon père qui secouait le feu avec une petite latte de bois. La jeune femme blonde s'intéressa finalement au dernier encore endormi un peu plus loin, reprenant son habituel regard inquiet. Elle rampa jusqu'aux côtés de notre chef et posa sa main sur son épaule pour le secouer tout doucement.
- Eh Chris.. Chris il faut que tu te réveilles maintenant..
Christopher remua l'épaule comme pour dégager la main de Joan, n'ayant aucune autre réaction ensuite. Elle réitéra son geste pour à nouveau essayer de le réveiller.
- Christopher s'il te plais..
- Encore deux minutes...
Elle soupira profondément en s'écartant de lui, pinçant ses lèvres sans le quitter du regard. Je me pris alors d'essayer à mon tour. Je vins m'agenouiller près de lui en venant pouiquer son nez du bout du doigt, ce qui eut le mérite de lui faire ouvrir les yeux.
- Allez réveillé-toi.
- Ah.. C'est toi p'tite puce...
Sa bouche marqua un léger sourire et il se redressa avec peine pour venir affectueusement me frotter les cheveux. Mais qu'est-ce qu'ils avaient tous à faire ça enfin? Je le laissai faire en ne le lâchant pas des yeux. Il pinça à son tour mon nez entre ses doigts pour se venger de mon petit tour et eut un rire rauque.
- Comment tu te sens chef..
- Ça va Joan.. C'est supportable.
- Est-ce que tu permets que je regarde la plaie..?
Christopher hocha la tête et Joan entreprit prudemment de remonter son pantalon jusqu'au genou pour jeter un coup d'œil sur l'état de la griffure. Une main se posa sur sa bouche en constatant que sa peau jaunissait et que les lacérations prenaient une inquiétante couleur verte.
- Comment tu peux me dire que c'est supportable..
- Je n'ai pas envie que tu te fasses trop de souci pour moi..
- Elle a raison Chef, tu n'as pas à faire semblant d'aller bien.
- Marc..
L'état de la jambe de notre chef était assez alarmant. La plaie était vraiment infecté et nous n'avions rien à portée pour essayer de la nettoyer. Du moins c'est ce que nous avions cru jusqu'ici, mais Joan eut un éclair de lucidité qui la poussa à partir dans les rayons à la recherche d'alcool. Ça, même dans les petites supérettes on pouvait être sûr d'en trouver. Le chef n'osa pas regarder son propre état, essayant de ne pas penser à ce qui était entrain de lui arriver.
- Eh Marc, est-ce que tu connais un peu la ville dans laquelle on est?
- Très peu, ma femme y bossait et je n'y passait en général que pour lui rendre visite sur son lieu de travail.
- Est-ce que tu as pu repérer un peu ce qu'il y avait dans le coin?
- J'y réfléchis depuis ce matin et je me rappelle qu'il y a un supermarché un peu en dehors de la ville. Je pense que si il n'a pas été infesté, on pourrait s'y installer. Il y aurait sans doute beaucoup de choses que l'on pourrait utiliser pour subvenir à nos besoins.
- Ça ce serait pas mal.. Et on mettrait combien de temps à s'y rendre d'après toi?
- Je ne sais pas vraiment où le situer d'ici, mais si je devais te faire une estimation approximative je dirais deux heures puisqu'on progresse lentement.
- Les gars j'ai trouvé de l'alcool !
Joan arriva en courant, une bouteille à la main. C'était un alcool fort dont l'étiquette s'était décollé. Impossible d'en connaître la nature. Elle se laissa tomber près de nous et imbiba un petit paquet de cotons démaquillants du dit liquide avant de l'appliquer sans force sur la zone à désinfecter. La réaction de Christopher fût immédiate, il se tendit brusquement en mordant sa lèvre pour contenir un cri. Mais malheureusement elle n'eut pas d'autre choix que de poursuivre, ajoutant de l'alcool pour bien en recouvrir toute la plaie. Vu l'état des croûtes, elle ne pouvait pas se permettre de les laisser continuer de se former ni même de ne rien faire pour celles déjà apparues.
- Attention ça va faire très mal Chris...
Elle frotta plus fort, essayant de détacher la mauvaise cicatrisation qui s'était déjà durcie, faisant hurler Christopher qui perdit l'équilibre et se fracassa sur le dos.
- AH ! AH STOP ! STOP JOAN !
- Un peu de courage ça ne va pas durer longtemps je te le promet.
Elle continua ses gestes en serrant les dents. Mon père vint maintenir Christopher pour lui éviter de trop bouger, lui mettant un bâton dans la bouche.
- Mords ça Chef..
Le chef en larmes hocha la tête en refermant ses dents sur le bois, étouffant un peu ses cris d'agonie. Les ouvertures étaient à présent à vif et suintaient un liquide jaunâtre qui à sa vue me donna des nausées. Je me mis dos à la scène, ne supportant plus d'y assister. J'enlaçai mes jambes en attendant que ça se passe, haletant d'angoisse. Joan avait fait le plus dur. Elle nettoya la plaie avec plus de douceur, laissant enfin respirer Christopher dont le visage était couvert par la sueur.
- Voila Chris.. Encore un dernier effort... Je vais bander la plaie maintenant..
Le chef retira le bâton de sa bouche et ferma les yeux en reprenant son souffle, soulagé que la douleur se soit enfin un peu calmé. Mon père lui tapota l'épaule dans un geste de soutien.
- T'as été fort mon gars. Bravo.
- Merci Marc...
La femme aux yeux de jade termina de faire ses nouveaux bandages à Christopher avec les derniers qu'elle possédait dans son sac puis baissa sa jambe de pantalon jusqu'à sa cheville. C'était terminé.
Après cette épreuve, la colonie pu enfin entreprendre de se nourrir. Les restes de la veille nous servirent de petit déjeuner salé bien que notre estomac soit encore retourné de nos émotions. Le silence faisait une fois de plus son règne dans le groupe et la tension était de retour en vigueur pendant la totalité de notre repas.
Une fois le ventre pleins, du moins autant qu'il pouvait l'être, il était à présent temps de rassembler nos affaires. Les adultes décidèrent de faire un dernier tour dans les rayons pour y récupérer ce qui serait utile pour notre voyage et je me mis donc comme eux en quête de quoi davantage alourdir mon sac. Je me promenais au milieu des petits rayons, haussant un sourcil à la vue de l'étalage de magazines. Quelque chose venait d'attirer mon attention plus haut sur les étages. Grimpant sur le premier rebord, je tendis la main pour attraper le premier volume passant à portée et le ramenai jusqu'à moi pour en étudier la première page. Il s'agissait d'une femme qui ne portait pas de vêtements. Elle avait des lolos énormes et portait beaucoup trop de maquillage. Une grimace déforma ma bouche alors que je me demandai pourquoi de telles photos apparaissaient sur des magazines tout publique et le laissa tomber à mes pieds. La ligne la plus haute ne comportait que ce genre de lecture ce qui me fît me questionner à propos de leur utilité. En tout cas ils n'en avait aucune dans notre cas de figure et je me remis à chercher ce pour quoi j'arpentais ces couloirs à l'origine, essayant de chasser cette sale image de ma tête.
Un frisson traversa mon dos lorsqu'une odeur nauséabonde vint piquer mon nez. Ayant déjà assisté à pas mal d'horreurs jusqu'ici, un sentiment d'hésitation s'empara de moi alors que mon attention se porta vers le rideau en velours vert qui marquait la séparation entre le magasin et la remise. Encore une fois emporté par ma curiosité, je passai la tête dans l'ouverture pour m'assurer de ce qui pouvait bien produire cette puanteur épouvantable. Il faisait sombre dans la pièce et je dû m'y engager pour essayer d'y voir un peu mieux. Qu'est-ce que je faisais là encore? Mon cœur s'arrêta alors que mon pied s'enfonça dans un bruit tout aussi visqueux que la texture qui entourait à présent ma chaussure. Je déglutis avec appréhension, fermant les yeux pour me donner le courage de regarder plus bas. L'odeur. Je pouvais affirmer avec certitude qu'elle se dégageait de ce dans quoi ma semelle trônait en ce moment même.
- Ouh.. Allez Camille.. Ça peut pas être si terrible que ça..
Ce mensonge à moi-même me permit d'enfin prendre connaissance de ce dans quoi j'avais marché. A l'instant où je me rendis compte de ce dont il s'agissait, un hurlement sourd s'échappa de ma bouche alors que mes yeux s'écarquillèrent de terreur. La réalité était bien pire que tout ce que j'avais pu m'imaginer. J'avais le pied dans la cage thoracique ouverte d'un demi cadavre en décomposition. Les yeux de ce qui avait dû un jour être un humain étaient remplis d'autant de peur que les miens et sa bouche maintenant noire était grande ouverte, comme si il était mort en poussant des cris. Ma gorge se déchirait toujours sous le coup des miens, paralysée par la vision d'épouvante qui s'était offerte à moi. Mais ma voix s'étouffa quand mon estomac se tordit, me faisant me plier en avant. Un mouvement de recul me fît cogner dans un meuble dont le contenu se fracassa au sol dans un bruit de céramique. J'enlaçai mon ventre douloureux, me penchant à un nouveau tiraillement. Je n'arrivais plus à respirer tellement mon corps était prit de spasmes. Soudain, je sentis mon petit déjeuner remonter dans le sens inverse pour s'échapper par ma bouche et s'éparpiller sur le sol dans un gémissement douloureux. Mon père et Joan passèrent la porte avec panique, ayant entendu ma détresse.
- Camille ça va ma chérie !?
Mon père m'aperçut entrain de vomir dans le coin de la pièce et se précipita sur moi pour me serrer contre lui et me rassurer. Il me porta au dessus du sol en m'appuyant contre son buste et me fît cacher la tête dans son cou, sa grosse main posée sur ma tête, alors que Joan s'approcha du cadavre en grimaçant de dégoût.
- Quelle horreur.. La pauvre petite.. Il fallait qu'elle tombe sur un truc pareil...
Papa ne perdit pas de temps et m'emmena immédiatement hors de la remise pour m'éloigner de cette scène ignoble. Notre chef s'approcha de nous, posant sa main dans mon dos dès qu'il me vit pleurer.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé..?
- Il y a un cadavre à moitié dévoré dans l'arrière boutique et Camille l'a vu.
- C'est affreux... Camille ça va ma puce..?
Christopher ne reçut aucune réponse de ma part, toujours sous le choc de la scène à laquelle je venais d'assister. J'étais devenue pâle et mon corps ne voulait pas arrêter de trembler. J'avais en boucle des flashs de ce pauvre homme dont les tripes avaient été répandues sur le sol.
Je n'entendais plus ce qu'il se passait autour de moi car seule ma terreur bourdonnait dans mes oreilles. Je me sentais trimbalée de bras à d'autres et je savais qu'on essayait de me parler mais plus rien ne pouvait m'atteindre à cet instant. C'était comme si mon cerveau avait mit mon corps sur pause et que mon esprit s'était enfermé dans le néant pour se protéger, j'avais l'impression que plus rien n'existait autour de moi et tout était devenu beaucoup plus calme d'un seul coup.
- Tu as fais quoi à l'école aujourd'hui Camille?
- Aujourd'hui, je me souviens pas très bien. C'était ennuyeux.
- Bon alors pas à l'école.. Tu as fais quoi avec tes copains?
- Henri m'a prit à la course et j'ai failli gagner ! Mais il est trop rapide j'arrive jamais à le battre..
- Tu y arriveras un jour ne t'en fais pas. Tu es forte.
- Oui...
- Camille ?
- Oui ?
- Camille, je vais devoir m'en aller tu sais..
- Mais pourquoi...
- C'est comme ça. Un jour je suis près de toi, et le lendemain je dois partir. C'est tout..
- Mais pour aller où..?
- Camille.
-Tu vas où maman..?
- Camille? Tu m'entends?
- Quoi..?
- Camille ! Tu m'entends !?
La voix de mon père me ramena tout à coup à la raison. J'ouvris les yeux, me rendant compte que je m'étais évanouie. Je sentais encore mes membres tout engourdis et eu du mal à me mouvoir tout de suite. J'étais dans les immenses bras de papa qui était agenouillé au sol entouré des deux autres et sentis trois paires d'yeux fixées surmoi. Son regard remplis de larmes témoignait de la panique qu'il avait dû ressentir pendant mon absence et à cette vue je ne pu m'empêcher de poser ma main sur sa joue.
- Camille !
- Eh papa..
Il embrassa mon front en se sentant soulagé de me voir à nouveau consciente. Mon pauvre papa, j'allais lui faire faire une crise cardiaque à force de lui faire peur comme ça. Me sentant à nouveau capable de bouger, je sautai de mon hamac vivant pour retomber sur mes pieds.
- Ça va chérie..?
- Oui Joan ne t'en fais pas.
- Tu nous a fait une belle peur ma grande.
- Désolé Christopher..
Papa et les autres m'expliquèrent que pendant mon temps d'inconscience ils avaient enterré le pauvre homme de la réserve sous un arbre à l'extérieur pour qu'il puisse reposer. Le plus triste était de savoir que personne ne viendrait probablement le voir sur sa tombe à présent. Il était mort dans la solitude et certainement dans l'ignorance de tous. Probablement aussi dans l'agonie mais je préférais ne pas m'attarder sur cette probabilité.
Avec tout ça, il n'était plus temps de traîner. Le soleil commençait à être haut dans le ciel et il fallait se presser si nous voulions avoir une chance de trouver notre prochain abri avant la fin de la journée.
En sortant de l'édifice, je m'arrêtai devant la croix qu'avaient bricolé les adultes pour ce dénommé « X » et joignit les mains pour lui adresser quelques mots. J'ignorais qui était cette personne mais sa mort m'avait beaucoup touché. Je m'inclinai dans un dernier au revoir et partit au trot pour rejoindre ma colonie qui s'éloignait sans moi. Ma main droite saisit celle de mon père et ma gauche celle de Christopher tandis que Joan était à l'avant pour nous guider.
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LA FAUCHEUSE ROUSSE
Fiksi IlmiahCamille LAMY est une jeune fille dont l'enfance va être écourtée suite à une monstrapocalypse qui va toucher la planète entière. Elle va se retrouver à devoir lutter pour sa vie auprès des quelques survivants l'accompagnant, laissant petit à petit d...