Dernier saut

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     Mon père refusait de m'adresser la parole. Toute la colonie ressentait la tension entre ces petits murs et notre grande famille était un peu à cran ces derniers temps. Notre dispute s'était déroulé trois semaines plus tôt et la situation n'avait absolument pas eu l'occasion d'évoluer depuis car malgré toutes mes tentatives il refusait de me laisser l'approcher. Les paroles que j'avais tenu à propos de ma mère lui avaient fait beaucoup de mal et je m'en étais rendu compte bien trop tard pour pouvoir revenir sur ce que j'avais dis. Je ne m'étais absolument pas rendu compte que malgré les années mon père souffrait toujours de la mort de ma mère et qu'il avait tout ce temps redoublé d'efforts pour que son chagrin n'impacte pas ma vie ou mon éducation. J'avais bien conscience que tout ça était de ma faute mais j'en voulais beaucoup à mon père de ne même pas me laisser la chance de m'expliquer. Aucune de mes approches n'avait été fructueuse, alors je finis pas décider de changer de tactique. La chasse était désormais à oublier et le tricot de mamie remplaça mes activités quotidiennes. Après avoir goûté au plaisir d'intégrer ce groupe dont j'avais tant rêvé, je devais y renoncer aussitôt pour une histoire stupide de dispute familiale. Chaque jour je jouais du crochet sur les laines que m'avait offert papa en ravalant ma frustration de ne plus pouvoir participer aux chasses, espérant qu'il verrait les efforts que je me faisais endurer pour gagner son pardon.
     Christopher me tenait souvent compagnie depuis que je m'étais mise aux activités manuelles, il tenait mes pelotes ou me conseillait sur la façon de faire tel ou tel motif. Je l'ignorais, mais notre chef avait un certain goût pour les arts créatifs. M'étant un peu éloigné de lui ces dernières années puisqu'il n'avait plus à diriger notre colonie, ça me faisait du bien de pouvoir passer un peu de temps à ses côtés. Ses blagues vaseuses me faisaient rire et je maintenais mon moral grâce à lui. Joan donnait aussi son maximum pour moi quand elle en avait le temps. Elle me perça même de nouveau lorsque j'eus enfin choisi l'emplacement de mes nouveaux bijoux, les joues. Un de chaque côté, ce qui avait pour effet d'accentuer mes fossettes lorsque je souriais.
Ma relation avec Thomas, elle, était devenue un peu bizarre. La plupart du temps il agissait comme si rien ne s'était passé entre lui et moi, mais il lui arrivait parfois de venir me trouver discrètement pour que nous puissions échanger quelques baisers furtifs avant de me laisser en plan et de retourner à ses occupations. Ce n'était pas quelque chose qui arrivait souvent mais ça se produisait de temps à autres et souvent sans prévenir. J'avais beau essayer de réfléchir sur le sujet, je ne trouvais aucune explication à son comportement envers moi. Il ne semblait pas s'agir de sentiments mais plus de pulsions qu'il n'arrivait pas à contrôler. Lui qui était toujours si droit et si sérieux, le voir céder face à la tentation de mes lèvres restait un mystère pour moi. Étais-ce parce que mon corps commençait doucement à ressembler à celui d'une femme? Parce que mes lèvres étaient devenues pulpeuses avec l'âge? Parce que passer la ligne de mon premier baiser ensemble ne nous permettait pas de revenir en arrière? Je n'en avais aucune idée. Mais une chose était sûre, je prenais un malin plaisir à profiter tout aussi égoïstement que lui à chacun de nos échanges. Si il ne le faisait que pour lui, alors je ne le ferais que pour moi.

     Aujourd'hui était encore un jour de chasse qui allait se dérouler sans moi. J'étais assise là, à une chaise, les pieds sur la table, tricotant ce poncho noir et blanc dont je ne voyais plus la fin. J'attendais tout comme les autres le retour de nos amis en me rongeant de ne pas avoir pu encore une fois les accompagner. Alors que je me noyais comme toujours dans mes pensées, je me rendis compte que mes crochets tournaient dans le vide depuis déjà un bon petit moment. Lorsque je baissai les yeux pour vérifier ce qui n'allait pas, je me rendis compte que la laine des pelotes était terminée et que j'étais enfin venu à bout de ma pièce. Je posai avec fracas les aiguilles sur la table et me levai pour étendre le vêtement et l'admirer dans toute sa longueur. Une grimace de désillusion déforma mon sourire satisfait car je venais de me rendre compte qu'il n'était pas très beau en fait. Le maillage était réussi, mais les motifs se mélangeaient un peu et formaient une sorte de fouillis dont il était difficile de discerner les paternes. Je lâchai un soupire de frustration en repensant aux heures d'acharnement qui m'avaient conduit à ce résultat. Christopher ne pu s'empêcher de rire en voyant mon désarroi et me donna une tape dans le dos pour essayer de me décontracter un peu.

     - Tu y arriveras mieux la prochaine fois Camille !
     - Ah non hein ! Pas de prochaine fois c'est hors de question ! Ce que c'était chiant à faire ce truc !

     Christopher éclata une nouvelle fois de rire, se tenant les côtes. Le voir faire me mit comme d'habitude le sourire aux lèvres. Sa bonne humeur était toujours si contagieuse. Un claquement de porte attira mon attention vers l'entrée, signifiant que l'esquade de chasse était de retour. Je posai mon poncho sur la table et courut les trouver dans l'escalier pour si il y avait des blessés. La première chose que je remarquai était une grosse griffure à l'épaule de Joan. Je l'allégeai de son sac pour qu'elle parte se soigner et aidai les chasseurs à ranger tout ce qu'ils avaient pu trouver aujourd'hui. Pendant que tout le monde s'attelait à la tâche, je ne pu m'empêcher de retenter une approche vers mon père. Mon œuvre à la main, je m'avançai vers lui lentement avec angoisse. Une fois plantée devant le géant, je tendis ce que je tenais dans ma main en sa direction.

     - Eh.. J'ai fais ça pour toi regardes.. Avec les laines que tu m'as donné.
     Il cessa de ranger, daignant enfin m'adresser un regard, ou plutôt l'adresser au poncho que j'avais tricoté. Puis d'une main hésitante il l'attrapa pour l'étendre devant lui et l'admirer longuement. Je pinçai mes lèvres, appréhendant la moindre de ses réactions. La peur d'à nouveau me faire repousser par lui venait de me prendre à la gorge plus que jamais. Je voulais qu'il me pardonne. Mes doigts s'agitaient les uns contre les autres en attendant son verdict. Sa grande main se posa sur mon épaule et il s'agenouilla face à moi, l'air plus tendre.

     - Je te remercie ma puce.
     - Ce.. C'est rien papa tu sais.. J'ai juste fais usage de ton cadeau..
     - Tu t'es très bien débrouillé. Je l'aime beaucoup. Et tu sais quoi?
     - Non quoi..?
     - Je vais te donner ma chemise en échange.
     - Ta chemise?

     Il se redressa et déboutonna sa chemise, se mettant torse-nu au milieu de tout le monde sans l'ombre d'une gêne. En même temps avec un corps pareil..  Il la posa entre mes mains en souriant. Bien qu'embarrassant, son cadeau me faisait plaisir car il représentait son pardon. Je le remerciai d'un geste de la tête et l'enfila par dessus mon t-shirt, la laissant ouverte. Je nageais dedans mais l'odeur de mon père était rassurante. Il rit et enfila à son tour le vêtement que je lui avais offert, mais c'est un rire général qui nous fît comprendre tout deux le problème. Il était bien trop petit pour la masse de son corps ! Je ne pu m'empêcher de pouffer, une main coupable sur la bouche. Ce qu'il ne tarda pas à imiter, retirant mon poncho de ses épaules et me le tendant.

     - Je crois que tu vas devoir le garder aussi chérie.
     - Je te rend ta chemise?
     - Non non, je te l'ai donné elle est à toi.

     Il frotta affectueusement mes cheveux comme à son habitude que je détestais, puis je me reculai pour le faire stopper son geste. Je lui attrapai la main entre les miennes et le tirai un peu à pars des autres.

     - On peut parler papa..?
     - Est-ce que tu es sûre de vouloir parler?
     - Et toi, tu veux..?
     - J'ai bien l'impression que l'on n'arrivera plus à éviter le sujet de toutes façons.

     Il s'assit face à moi et je me mis sur la chaise opposée à la sienne. Nous étions seuls dans la cuisine et tout le monde avait compris qu'il ne valait pas mieux nous déranger pour le moment.

LA FAUCHEUSE ROUSSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant