Disgrâce

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     Une nouvelle journée avait commencé, une des plus tendues que j'ai pu connaître depuis le début de cette foutue apocalypse, hormis évidemment celle où toute ma colonie s'était faite massacrer et que j'avais frôlé la mort de près. Je rasais les murs de ma propre maison, espérant me fondre en eux comme une ombre pour éviter de croiser le moindre membre de ma colonie sur mon passage. Mes yeux foulaient mes pieds, y restant accrochés dans la peur de rencontrer un regard et d'y lire de la rancœur ou de la pitié. Bonne ou mauvaise, je ne voulais en aucun cas ressentir les impressions des autres sur l'incident qui s'était déroulé la veille. La dernière chose dont j'avais envie était de rendre des comptes. Alors je me faisais discrète, errant comme un fantôme dans les endroits les moins fréquentés du refuge en priant pour que personne ne vienne à ma rencontre. Et surtout pas Henri. J'espérais pouvoir l'esquiver au moins le temps d'une journée, mais je n'étais pas stupide. Nous étions tout deux enfermés entre ces quatre murs, il était impossible de ne pas nous croiser régulièrement dans l'enceinte du refuge. Rien qu'à cette idée, une boule se forma dans mon ventre. J'avais peur de recroiser ses yeux perfides et son faux sourire dissimulant sa langue fourchue. Ce sale type se parait d'un visage d'ange et sifflait de belles paroles pour me pousser plus facilement à croquer la pomme qui me condamnerait à la sentence qu'il aurait prononcé pour moi.
     A force de fixer le bout de mes chaussures, je fini inévitablement par buter contre quelqu'un au long d'un couloir. En levant les yeux, je fis face à Daniel qui arqua un sourcil en apercevant mon air ailleurs. Nerveuse, je me mis à  frotter mon bras, balayant l'endroit du regard pour éviter la confrontation visuelle. Il se racla la gorge, se rendant bien compte que mon comportement était différent de celui de d'habitude. Il croisa les bras, essayant d'adopter une posture rassurante malgré le pli soucieux qui avait creusé son front de manière permanente.

     - Quelque chose ne va pas Camille? Tu as l'air perdue.
     - Ce n'est rien Daniel. Je me demandais juste si j'arriverais un jour à trouver ma fonction dans cette colonie.

     J'avais menti pour ne pas éveiller l'intérêt de mon chef sur les derniers faits ayant eu lieu au sein de la colonie. Il soupira, relâchant les épaules mollement, probablement las de toujours m'entendre parler des mêmes choses. Puis il désigna le cadre de porte vide se situant derrière lui d'un geste du pouce.

     - Tu sais qu'il y a pleins de choses à faire ici pour t'occuper n'est-ce pas? Qu'est-ce que tu fais encore ici à cette heure d'ailleurs? J'espère que tu ne commences pas à faire la fainéante. Je ne tolérerais pas que quelqu'un ici se la coule douce pendant que les autres travaillent.

      Je me retins de lui répliquer un sarcasme bien placé, étouffant ma plainte en prenant une longue inspiration. Je tentai autant que possible de garder mon calme face à mon nouveau chef, trouvant qu'il avait bien du culot de m'accuser de fainéantise alors que je me démenais pour essayer de participer aux chasses qu'il ne m'autorisait tout simplement pas à rejoindre. J'avais la sensation d'être le point noir de notre colonie alors que je donnais tout mon possible pour essayer de m'adapter et de me rendre utile. Je déglutis bruyamment, ravalant ma fierté par la même occasion pour essayer de lui donner une réponse qui le satisferait.

     - Bien sûr que non. J'allais justement collecter les herbes au potager pour les mettre en jarres. Si je ne peux pas sortir de la colonie pour aller chasser, je pourrais tout de même essayer de profiter de l'air frais en faisant du jardinage. Être dehors sans être dehors.
     - C'est une excellente idée. Je suis content que tu deviennes enfin raisonnable à propos de cette histoire d'excursions à l'extérieur.
     - Disons que certaines personnes ont su se montrer convaincantes pour me faire changer d'avis.

     C'était absolument faux, mais si je pouvais au passage plomber discrètement Henri de m'avoir fais souffrir égoïstement, je le faisais volontiers. Daniel haussa les sourcils, ajoutant de nouvelles rides au pli déjà bien marqué au dessus des arcades. Il donnait l'impression d'avoir lu dans mes pensées, me faisant rougir de honte à cette simple idée.

LA FAUCHEUSE ROUSSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant