Pluie rouge

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     Mes lèvres étaient glacées, soufflant une brume légère à chaque nouvelle respiration qui broyait mes poumons. Mon corps gelé était semblable à la pierre dont il se voyait partiellement recouvert. Certains de mes membres refusaient d'obéir, comme détachés de mon corps. Les doigts de ma main gauche, bien que raidis par le froid, remuaient tout de même à ma demande. Mon bras maintenu douloureusement au dessus de ma tête et pendant dans le vide avait lui plus de mal à imiter ses congénères. Dû à ma position quelque peu inconfortable, l'irrigation sanguine s'était stoppée au niveau de l'épaule, plongeant ainsi tout ce qui y était rattaché dans un profond sommeil. Il me fallut un certain temps avant d'être en mesure de le ramener au niveau de mon ventre pour l'y faire s'y reposer. Mon être n'était que douleur mais cela ne signifiait qu'une chose : j'étais en vie.

     Mes yeux se perdirent dans la brèche qu'avait provoqué l'effondrement du toit pour y découvrir un ciel d'un bleu presque noir parsemé de milliers de loupiotes brillantes

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     Mes yeux se perdirent dans la brèche qu'avait provoqué l'effondrement du toit pour y découvrir un ciel d'un bleu presque noir parsemé de milliers de loupiotes brillantes. Une sphère blanche illuminait le tout, éclairant légèrement le fouillis qui m'entourait. Il faisait nuit. Mon regard dévia plus bas pour venir se poser ce qui me servait de reposoir. Ma main, ayant à présent retrouvé toute sa mobilité, s'y aventura avec curiosité pour effleurer l'étrange texture du bout des doigts. Il ne s'agissait pas de la rigidité de la pierre mais bien d'une surface plus tendre au toucher. Celle sur laquelle mon dos tordu avait trouvé repos et qui était probablement la responsable de ma survie. Les pièces du puzzle s'assemblèrent dans ma tête et je compris sans plus de réflexion que j'étais étendue sur le corps du monstre qui avait de par sa chute amorti la mienne. Mon corps tout entier voulut bondir de la carcasse mais une douleur lancinante dans mon bras droit coupa mon élan. M'attardant sur la raison de ma peine, je constatai avec horreur que mon membre était retenu sous une dalle en béton provenant du toit. Je tirai une nouvelle fois dessus pour tenter de me dépêtrer mais le supplice fût tel que mon effort se stoppa aussitôt. Après quelques secondes pour encaisser, je me penchai autant qu'il m'était possible pour essayer de voir à travers l'ouverture et comprendre comment me sortir d'ici. J'étais à pleine vue et sans défense, si l'une des bestioles qui avait décimé ma colonie refaisait apparition, il n'aurait pas été d'utilité pour moi de survivre à ma chute. Je devais trouver un moyen de me tirer de là au plus vite. Plusieurs minutes passèrent avant que je ne comprenne le problème. Un débris pesait plus loin au niveau de mon poignet et pliait mon coude dans un sens qui n'avait pas été prévu par la nature. Si je venais à forcer un peu trop dessus, il se briserait au niveau de l'articulation. Il fallait réfléchir intelligemment si je ne voulais pas m'estropier le bras.
     Déjà fatiguée de ce peu d'efforts, je laissai retomber ma tête en arrière, butant contre la carapace molle de la créature sur laquelle j'étais allongée. Ma respiration se coupa nette lorsque j'aperçus entre les éclats de roche une marre de sang qui s'était rependue jusqu'entre les joints des carreaux de béton. Même si j'essayais de me voiler la réalité, mon esprit de déduction s'était chargé de me faire comprendre qu'il s'agissait de celui de Thomas qui était lui aussi tombé du toit. Ma bouche s'étouffa d'un sanglot alors que ma gorge se nouait de chagrin. Je tendis mon bras valide en direction de la flaque écarlate comme si ce geste allait magiquement me rapprocher d'elle, puis finalement le laissa retomber à sa place initiale au dessus de ma tête.
Un fracas me ramena à la raison, me faisant scruter les alentours avec attention. Mais un bruit de collision proche de moi me rassura sur la provenance du raffut, un morceau du toit s'était à nouveau détaché pour venir s'écraser au milieu de ses semblables. Fort heureusement, il ne s'agissait pas d'un autre de ces affreux monstres, mais je venais de réaliser que si ça avait été le cas je serais sûrement déjà dans son estomac. Il fallait que je m'extirpe d'ici. Je me redressai tant que possible et, mordant ma lèvre avec une forte appréhension, je tirai d'un coup sec sur mon bras qui se libéra dans un craquement raisonnant en écho avec hurlement qui déchira ma gorge. Ma main était bleu et mon articulation pliait dans le mauvais sens. Venant le saisir de son jumeau valide, je le ramenai contre mon ventre pour l'y maintenir, craignant que la dislocation ne soit un risque que mon membre s'arrache. Mon corps traumatisé tremblait encore plus que lors d'un début d'hypothermie. Je m'assis contre un gravât en resserrant mes jambes contre moi-même, mes dents éclatant ma lèvre entre elles pour ne pas en laisser échapper de nouveaux hurlements.
     Ma volonté dévorante de courir retrouver Thomas ne pesait rien face à mes jambes incapables de se mettre debout à la suite de ce que je venais de me faire subir. J'en avais même du mal à respirer. J'étouffais sous tant de douleur. Elle me montait doucement à la tête, tambourinant de plus en plus dans mes tempes au rythme des pulsions de mon cœur. Si je ne me décidais pas très vite à faire quelque chose, j'allais retomber dans les pommes. Il fallait que j'improvise pour maintenir mon bras sans avoir à le tenir par moi-même avant d'essayer de quitter mon coin. Retirant avec précaution mon poncho, puis avec bien plus de difficulté ma chemise, je nouai celle-ci comme une écharpe en m'aidant de mes dents pour y accueillir le membre blessé. Puis avec tout autant de difficulté, je hissai à nouveau l'étendue de laine sur mes épaules pour ne pas avoir le comble de mourir de froid.
     Il était temps pour moi de bouger. Après de nombreuses tentatives se terminant sur les fesses, je pu enfin me redresser sur mes jambes en me tenant aux bords possibles qui se présentaient à moi. J'avançai avec prudence, un pas après l'autre pour ne pas retomber. Je descendis précautionneusement du cadavre de la bestiole pour m'en éloigner avec soulagement. Il n'était pas difficile de deviner où mes pieds me portaient, venant fouler la surface pourpre dans un clapotis visqueux. Je m'agenouillai alors sans m'embarrasser de tâcher mon jean. Sa peau était de neige et l'arrière de sa tête enfoncé, son crâne s'étant brisé à l'impact. Mon regard embrumé cherchait désespérément le réconfort du siens sans ne jamais le trouver, se perdant dans la pluie qui venait de se mettre à tomber. 

LA FAUCHEUSE ROUSSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant